Diffamation : l’erreur dans la qualification des faits imputés exclue la bonne foi du journaliste
Publié le :
09/01/2025
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2025
Cass. crim., 13 novembre 2024, n°23-81.810
1.
En décembre 2017, le magazine « causeur.fr » publie, sur sa page internet, un article intitulé « [l] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre ».
Dans le cadre de cet article, il est fait état du fait que [l] [G] a été « reconnu coupable » de « complicité de tentative de meurtre » lors de sa comparution devant le Tribunal de Bobigny en 2011.
L’article précise également les faits en répression desquels Monsieur [l] [G] a été ainsi condamné à savoir « ils se rendent au domicile de l’amant, le frappent, l’enferment dans le coffre de la voiture. Ils vont ensuite chercher un bidon d’essence, avant de se diriger vers une forêt de Seine et Marne. Lorsque la voiture est à l’arrêt, ils font sortir le prisonnier du coffre et le frappent à nouveau ».
Et l’auteur d’attribuer les intentions suivantes à la personne visée « la charia doit s’appliquer. [X] appelle son frère [S] et son ami [l] pour qu’ils le secondent dans sa mission ».
C’est dans ce cadre que Monsieur [l] [G] dépose une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation publique et pour diffamation publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion ; le directeur de la publication et l’auteure des propos sont renvoyés.
Il considère tout d’abord que l’allégation selon laquelle il a été reconnu coupable de complicité de tentative de meurtre, mais également l’allégation selon laquelle il se serait livré à des violences en réunion, sont diffamatoires, tout comme l’allégation selon laquelle il aurait participé à l’application de la charia.
Le tribunal correctionnel relaxe les prévenus ; la décision est confirmée par la Cour d’Appel saisie sur les intérêts civils, laquelle reconnait la bonne foi au bénéfice des intimés s’agissant des faits de diffamation publique et considère, s’agissant de la diffamation publique à raison de la religion déterminée, que les propos n’imputent aucun fait précis à raison de ladite religion.
2.
Le pourvoi repose sur le raisonnement selon lequel c’est à tort que la Cour d’Appel a retenu la bonne foi du directeur de la publication et de l’auteure dès lors que :
- Les allégations ne reposent pas sur une base factuelle suffisante, laquelle aurait permis de prendre conscience de ce que la personne visée n’a jamais été condamnée pour une tentative d’homicide mais « seulement » pour des faits de séquestration ;
- L’erreur dans la qualification juridique des faits, même commise par un non-juriste, exclut nécessairement le principe de la bonne foi puisque les faits de violence imputés ne sont pas identifiés dans la condamnation prononcée par le Tribunal correctionnel de Bobigny.
Parallèlement, il est avancé que l’imputation à raison de la religion supposée est suffisamment précise.
3.
C’est à un rappel aux obligations journalistiques que s’est livrée la Cour de Cassation en accueillant l’ensemble des moyens et en annulant l’arrêt d’appel.
Rappelons en effet que si les affirmations diffamatoires sont présumées être faites de mauvaise foi, le mis en cause peut justifier de sa bonne foi dès qu’il fait la preuve, cumulativement, de l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’expression, la légitimité du but poursuivi et le sérieux d’une enquête préalable à travers l’existence d’une base factuelle suffisante.
Depuis longtemps, la Cour de Cassation apprécie, plus ou rigoureusement ce dernier critère, en raison de la qualité de la personne poursuivie et juge que les professionnels de l’information, en raison de leur déontologie, doivent, plus que les particuliers, justifier d’une enquête sérieuse préalable :
- « Qu’en effet, le devoir d'objectivité du journaliste lui impose de vérifier préalablement l'exactitude des faits qu'il publie ; » (crim., 26 novembre 1991, n°90-83.897) ;
- « Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris sur le seul appel de la partie civile, la cour d'appel relève notamment que, dans le cadre d'une interview, il est admis que les journalistes n'ont pas à justifier d'une enquête sérieuse ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la reprise, par le journaliste, des propos tenus par un tiers, ne fait pas disparaître l'obligation à laquelle il est tenu d'effectuer des vérifications sérieuses pour s'assurer que ceux-ci reflètent la réalité des faits […] » (crim. 8 avril 2008, n°07-82.972) ;
- « D’autre part, le prévenu, qui n'est pas un professionnel de l'information, n'était pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu'un journaliste […] » (crim. 15 octobre 2019, n°18-83.255).
Cette jurisprudence exigeante ne bénéficie pas du courant d’assouplissement des critères de la bonne foi (crim. 21 avril 2020 n°19-81.172 ; 19 décembre 2023, n°22-87.516) énoncé au seul bénéfice des non-professionnel de l’information.
L’exigence d’exactitude des faits publiés, incombant aux journalistes, s’impose y compris lorsque lesdits faits sont de nature juridique (et vraisemblablement même technique mais ce n’est pas dit dans la décision) ce qui pourrait complexifier leur appréhension.
C’est en tout cas le sens de l’arrêt commenté.
4.
Tout d’abord, la Cour de Cassation vient rappeler que s’agissant des allégations selon lesquelles [l] [G] aurait été déclaré coupable de complicité de tentative de meurtre, le jugement correctionnel produit au titre de la bonne foi fait en réalité apparaitre une condamnation pour séquestration.
Elle considère alors que ce jugement ne constitue pas une base factuelle suffisante dès lors que les faits de séquestration, infraction délictuelle, qui y sont réprimés ne peuvent être assimilés aux faits de complicité de tentative d’homicide allégués, lesquels relèvent d’une infraction criminelle.
Dans un second temps, elle considère, s’agissant des faits de violence imputés à [l] [G], qu’une lecture attentive du jugement correctionnel fait apparaitre que ce dernier n’a pas été condamné, contrairement à ses coprévenus, pour les violences décrites dans l’article.
La Cour relève notamment que la peine de [l] [G] était d’ailleurs minorée en raison du fait qu’il ne s’était pas rendu coupable de violences.
Enfin, et de manière peut être moins marquante, la Cour considère que les allégations selon lesquelles [l] [G] a ainsi participé à l’application de la charia sont suffisamment précises au sens de la jurisprudence traditionnellement rendue.
C’est ainsi que l’erreur, commise par un journaliste non-juriste, dans la qualification des faits retenus par une juridiction anéantit la justification de la base factuelle suffisante des éléments présentés comme caractérisant la bonne foi.
La même erreur commise par un particulier, ni journaliste ni juriste, n’aurait probablement pas été appréciée avec la même inflexibilité.
Invoquant ici une jurisprudence ancienne et constante, la Cour de Cassation rappelle aux professionnels de l’information la rigueur avec laquelle ils doivent non seulement vérifier mais plus encore interpréter leur source, faute de prendre le risque de se voir refuser le bénéfice de la bonne foi.
Loin d’être une jurisprudence rendue au préjudice des journalistes, il semble plutôt que la sévérité soit ici le corolaire tant de la protection spécifique bénéficiant aux journalistes que de l’estime qu’il convient d’avoir, en démocratie, pour la presse.
D’ailleurs, on pourrait s’étonner que le rappel d’une jurisprudence ancienne ait justifié que cette décision soit rendue par le premier Président de la Cour de Cassation : pour autant, la solennité de cette formation semble devoir être interprétée comme une mise en garde face à des pratiques journalistiques peu rigoureuses.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Clément Launay
Avocat directeur
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
Historique
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