Covid-19 et loyers commerciaux

Le locataire d'un bail commercial a-t-il le droit de ne plus payer ses loyers du fait de la crise sanitaire liée au covid-19 ?

Publié le : 06/04/2020 06 avril avr. 04 2020

Ce n’est pas ce que prévoient l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de COVID-19, ni son décret d’application 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité, modifié par le décret n° 394-2020 du 2 avril 2020, auquel elle renvoie.

Contrairement à ce qui a pu être soutenu (ou espéré ?), l’ordonnance du 25 mars 2020 n’autorise nullement les locataires commerçants à s’abstenir du paiement de leur loyer.
 
Cette ordonnance prévoit seulement que l’entreprise qui remplit toutes les conditions restrictives qui seront détaillées et qui ne règle pas les loyers et charges dont l’échéance intervient entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020, ne pourra faire l’objet des sanctions habituelles en cette matière :
 
« Pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages et intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou tout clause prévoyant une déchéance, ou d’activations de garanties ou cautions. »
 

Quels sont les bénéficiaires qui se trouvent exonérés de sanction en cas de retard de paiement des loyers et charges ?

Les conditions cumulatives pour prétendre à l’exonération de sanction en cas de défaut de paiement du loyer commercial sont les suivantes :
 
SOIT :
 
  • Faire l’objet d’une mesure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;
 
A noter que selon une circulaire du Ministère de la Justice, ce type de procédure ne parait pas en principe relever de l’urgence permettant une saisine du tribunal de commerce en période de confinement, de sorte que ne sont concernées que les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure collective ouverte avant le 12 mars 2020.
 
SOIT :


Cumuler toutes les conditions suivantes :
 
  • Avoir débuté son activité avant le 1er février 2020 ;
 
  • Ne pas avoir déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 ;
 
  • Avoir un effectif salarial inférieur ou égal à 10 ;
 
  • Avoir un chiffre d’affaires annuel hors taxes inférieur à un million d’euros lors du dernier exercice clos ou si aucun exercice n’a encore été clos, un chiffre d’affaire mensuel moyen de 83.333,00 euros ;
 
  • Les personnes physiques ou les dirigeants des personnes morales ne sont pas titulaires d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension vieillesse ou n’ont pas bénéficié d’indemnités journalières de plus de 800 euros entre le 1er et le 31 mars 2020 ;
 
  • La société ne doit pas être contrôlée par une société holding ;
 
  • Si la société contrôle une ou plusieurs autres sociétés, c’est le nombre de salariés et le montant du chiffre d’affaires de l’ensemble des entités qui devra être pris en considération ;
 
  • Ne pas avoir été en difficulté au 31 décembre 2019 au sens de l’article 2 du règlement de la commission du 17 juin 2014 (notamment pertes de plus de la moitié du capital social ou liquidation judiciaire).
 
ET, l’une des deux conditions suivantes :
 
  • Avoir vu son établissement fermé selon arrêté intervenu entre le 1er et le 31 mars 2020, cette situation étant de fait assez répandue ;
Ou bien :
 
  • Avoir subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % (et non plus 70 % depuis le décret modificatif du 2 avril 2020) durant la période comprise entre le 1er et le 31 mars 2020.
 

Quels sont les loyers et charges impayés concernés par le retard de paiement non sanctionnable ?

Ceux dont l’échéance intervient entre le 12 mars et le 27 juillet 2020, c’est-à-dire concrètement, si le loyer est trimestriel et à échoir, ceux des 2ème et 3ème trimestres 2020.
 
Cela signifierait - a contrario - que les retards de paiement intervenus sur des loyers dus antérieurement seraient toujours sanctionnables ; ce qui revient à exclure l’application de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire (..) aux délais de paiement des loyers de charges pour les entreprises qui ne répondent pas aux conditions précitées.
 

Concrètement, quelle attitude doit adopter le bailleur ou l’administrateur d’un local commercial diligent ?

Les avis d’échéance doivent être normalement émis et les relances effectuées.
 
En cas de retard ou d’incident de paiement, il est préférable de prévoir, dans la mise en demeure, une formule rappelant ses droits au locataire et dans l’éventualité où il entendrait solliciter un report de paiement, lui demander de fournir les justificatifs visés en annexe dans un délai préfixé par exemple.
 
A défaut de produire ces éléments, la poursuite du paiement pourra être faite selon le mode habituel : commandement de payer visant la clause résolutoire, saisie conservatoire de créance sur compte bancaire, mobilisation des garants éventuels.
 
Les procédure de recouvrement pourront également être entreprises, même si elles seront évidemment beaucoup plus longues, aucune audience de référé acquisition de clause résolutoire ne se tenant actuellement en France.
 
A savoir : Si le bailleur est une entreprise qui répond aux conditions d’éligibilité du fonds de solidarité, il pourra, comme son locataire, voir reportées les échéances de paiement des factures de fourniture de gaz et d’électricité exigibles entre le 12 mars et le 24 juillet 2020 ; une aide précieuse, notamment si lui-même ne peut pas en obtenir le paiement dans les charges récupérables auprès de son locataire.
 

Et ceux qui ont cessé toute activité ?

Se pose la question de la possibilité pour le locataire dans cette situation d’invoquer la force majeure pour se soustraire au paiement de son loyer.
 
Or, la force majeure permet surtout de différer le paiement de son loyer mais non de s’y soustraire définitivement, la Cour de cassation ayant déjà exclu l’obligation de paiement de cette cause exonératoire (Cass, com, 16 septembre 2014, n° 13-20.306).
 
La jurisprudence interprète généralement de manière restrictive les critères de la force majeure : le locataire devra démontrer le caractère imprévisible irréversible et insurmontable de sa situation et le juge devrait se reposer sur les critères et conditions posés par la loi pour exclure cette exception d’inexécution.
 
Dans l’incertitude, le maître mot reste, comme toujours en gestion de patrimoine, un certain pragmatisme :
 
Certains bailleurs pourront envisager en cas de cessation totale d’activité une résiliation amiable avec la possibilité de reprise de locaux qu’ils souhaitent valoriser, ou auront au contraire intérêt à aider leur locataire à maintenir une activité en convenant d’échéanciers de règlement adaptés.


Cet article a été rédigé par Cécile MERILLON-COURGUES
Il n'engage que son auteur.

 

Auteur

Cabinet Antarius avocats
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