Marchés publics

Le caractère définitif d’une décision jugeant irrégulière l’offre d’un candidat le prive de tout intérêt à agir en référé précontractuel dans le cadre de la procédure d’attribution

Publié le : 30/08/2023 30 août août 08 2023

Le Conseil d’Etat est venu préciser sa jurisprudence relative à l’intérêt à agir des candidats évincés dans le cadre d’un référé précontractuel.
Cet arrêt du conseil d’Etat du 1er juin 2023, n°468930, porte sur la procédure d’attribution du contrat de concession de l’aéroport Tahiti-Faa’a initiée par la publication, au mois de novembre 2019, d’un avis de concession par l’Etat.

Par un courrier en date du 15 septembre 2021, le groupement composé de la Chambre de commerce, d’industrie, des services et des métiers (CCISM), la société Meridiam SAS, la société Aéroport Marseille Provence et la société Boyey a été informé du rejet de son offre, arrivée en troisième position, et de l’attribution du contrat au groupement Egis Airport Opération / Caisse des dépôts et consignations.

La CCISM a formé un référé précontractuel contre cette procédure et, par une ordonnance en date du 28 octobre 2021, le juge des référés du Tribunal administratif de la Polynésie Française a annulé la décision d’attribution de la concession[1] du fait de l’irrégularité de l’offre du groupement porté par EGIS, décision confirmée par le Conseil d’Etat par une ordonnance en date du 2 mars 2022[2].

Par une lettre en date du 9 septembre 2022, le Directeur du transport aérien a informé Egis Airport Opération de la reprise de la consultation et, ainsi, de l’attribution du contrat de concession à la société Vinci Airports, arrivée deuxième à l’issue de l’analyse des offres.
La société Egis Airport Opération a à son tour introduit, le 20 septembre 2022, un référé précontractuel visant à obtenir l’annulation de l’ensemble des décisions se rapportant à l’attribution du contrat de concession.

Le Tribunal Administratif de Polynésie Française a fait droit à cette demande par une ordonnance du 18 octobre 2022, au motif d’une atteinte portée au principe de liberté d’accès à la commande publique du fait de l’interdiction faite aux entreprises de bâtiment et travaux publics de participer à plusieurs groupements.

La question était d’ailleurs intéressante, et devait s’apprécier au vu du très faible tissu concurrentiel des entreprises du BTP en Polynésie Française.

Mais le Conseil d’Etat n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce point puisque, sur pourvoi de la société nouvellement attributaire, il annule l’ordonnance du TA de Polynésie Française et rejette les demandes de la Société EGIS Airport Opération, considérant que celle-ci était dépourvue de qualité pour agir[3] puisque son offre avait été jugée irrégulière par l’ordonnance du TA du 28 octobre 2021, devenue définitive.

Rappelons que la notion de qualité pour agir d’un candidat dont l’offre a été jugée irrégulière dans le cadre d’un référé précontractuel a connu plusieurs évolutions jurisprudentielles.

Le Conseil d’Etat a tout d’abord estimé que l’irrégularité de son offre privait le candidat évincé d’intérêt pour agir, dès lors qu’il  n’était pas susceptible d’être lésé par un quelconque manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence[4].Dans un second temps, et sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne[5], le Conseil d’Etat a infléchi sa position en jugeant que [6]:

« La circonstance que l'offre d'un concurrent évincé, auteur du référé précontractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, pour contester l'attribution du contrat, de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire. »

Le candidat évincé peut donc contester la régularité de l’offre attributaire, même si son offre est elle-même irrégulière. Il dispose en effet d’un intérêt légitime à ce qu’aucune offre ne puisse être retenue.

Cette évolution est reprise par le Conseil d’Etat au sein de la décision commentée.

Troisième temps, l’arrêt commenté précise que :

« Toutefois, si l’offre de ce concurrent évincé a été jugée irrégulière par une décision juridictionnelle devenue définitive annulant la décision d’attribution du contrat, il ne peut être regardé comme ayant un intérêt à conclure le contrat et habilité à agir contre la nouvelle décision en portant attribution après reprise de la procédure. »

Cette précision est, elle aussi, inspirée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans un arrêt en date du 11 mai 2017[7], avait jugé que :

« La décision d'exclusion dudit soumissionnaire avait, dans cette affaire, été confirmée par une décision ayant acquis l'autorité de la chose jugée avant que la juridiction saisie du recours contre la décision d'attribution du marché ne statue, de telle sorte que ledit soumissionnaire devait être considéré comme étant définitivement exclu de la procédure de passation du marché public en cause. »

Le Conseil d’Etat acte ainsi de la perte de l’intérêt à agir pour former un référé précontractuel, peu importe le moyen soulevé, d’un candidat dont l’offre aurait définitivement été reconnue comme irrégulière.

Cette précision apparait logique dans la mesure où, dans le cas contraire, le juge administratif pourrait être conduit à remettre en cause une décision juridictionnelle devenue définitive qu’il aurait, dans la plupart des situations, lui-même rendue.

L’irrecevabilité de l’offre du candidat attributaire, selon qu’elle a été ou non retenue définitivement, impacte donc directement son intérêt à agir.


Cet article n'engage que son auteur.
 
[1] TA Polynésie française, 28 octobre 2021, n°2100484
[2] CE, 2 mars 2022, n°458354
[3] CE, 1er juin 2023, n°468930
[4] CE, 11 avril 2012, n°354652
[5] CJUE, 4 juillet 2013, n°C-100/12
[6] CE, 27 mai 2020, n°435982
[7] CJUE, 11 mai 2017, n°C-131/16

Auteurs

Pierre JAKOB
Avocat Associé
CORNET VINCENT SEGUREL LYON
LYON (69)
Voir l'auteur Contacter l'auteur Tous les articles de l'auteur Site de l'auteur
Emile VERRIER
Avocat
CORNET VINCENT SEGUREL LYON
LYON (69)
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