Sanction du défaut d’assurance RC décennale et absence d’ouvrage
Publié le :
05/01/2015
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L’article L 241-1 du code des assurances dispose que : « Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance. »L’obligation d’assurance s’impose à l’entrepreneur, à l’architecte, au maître d’œuvre, au fabricant d’EPERS, au contrôleur technique, au constructeur de maison individuelle avec fourniture de plan, au vendeur d’immeuble après achèvement, au vendeur d’immeuble à construire, au promoteur immobilier et au maître d’ouvrage délégué.
N’étant pas lié au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792-1 du code civil, le sous-traitant qui n’est pas réputé constructeur, n’est pas quant à lui soumis à l’obligation de souscription d’une assurance RC décennale.
Il résulte des dispositions de l’article L 243-3 du code de la construction et de l’habitation que le défaut de souscription de l’assurance obligatoire de responsabilité civile décennale est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois et d’une amende de 75.000,00 €, ou de l’une de ces deux peines, sauf si le défaut de souscription concerne une personne physique qui a entrepris la construction d’un logement pour l’occuper elle-même ou le faire occuper par son conjoint, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint.
Le délit se prescrit par trois ans à compter du jour de l’ouverture du chantier.
Sur le plan civil, l’infraction aux dispositions des articles L 241-1 et suivants du code des assurances que constitue l’absence de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire, est susceptible de constituer une faute personnelle du dirigeant sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du code civil, ce dont il doit alors répondre sur ses deniers personnels.
La jurisprudence tend en effet à considérer que le dirigeant d’une personne morale qui s’abstient de souscrire l’assurance RC décennale obligatoire, commet à l’égard du maître de l’ouvrage une faute détachable de ses fonctions, en application des dispositions de l’article L 223-22 du code de commerce (Cass, com., 28 septembre 2010, n° 09-66255).
L’action du maître de l’ouvrage à l’encontre du dirigeant, sur le fondement de la faute de gestion détachable de ses fonctions, tirée des dispositions de l’article L 223-22 du code de commerce, doit être alors engagée dans les trois ans à compter du fait dommageable ou, si la faute a été dissimulée, dans les trois ans de sa révélation, conformément aux dispositions de l’article L 223-23 du code de commerce.
Il a d’ores et déjà été jugé que l’absence de souscription de l’assurance obligatoire dès l’ouverture du chantier constitue en soit un préjudice certain pour le maître d’ouvrage, même en l’absence de tout dommage à l’ouvrage, du fait de la privation d’une garantie de prise en charge en cas de survenance d’un désordre avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale.
Il est vrai que l’assurance obligatoire RC décennale survit à l’assuré, dont la mise en cause n’est jamais exigée dans le cadre de l’exercice d’une action directe (Cass. 2ème civ., 5 novembre 1998, n° 96-14.148).
En cas de survenance d’un désordre, le préjudice du maître de l’ouvrage s’analyse alors en une perte de chance, s’imposant de ce fait la condamnation personnelle du dirigeant à l’indemniser de ses différents chefs de préjudices dans les limites de ce qui aurait du être pris en charge par l’assurance obligatoire.
Le principe est logique et trouve tout son intérêt en cas de défaillance de la personne morale, du fait de l’ouverture d’une procédure collective notamment.
Il n’en demeure pas moins qu’il doit être à tout le moins justifié de l’existence d’un ouvrage susceptible d’être couvert par la garantie au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil et d’un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice dont il est demandé réparation, ce que n’a pas manqué de rappeler le Tribunal de Grande Instance d’Angers dans un jugement rendu le 15 décembre 2014 (TGI d’Angers, 15 décembre 2014, Osmont/M., 13/00626).
Dès la période de mise en chauffe, des difficultés étaient apparues sur l’installation de chauffage, avec pour conséquence une insuffisance de température en raison d’une puissance insuffisante compte tenu des déperditions de l’immeuble.
L’expert judiciaire qui fut désigné sera amené à conclure que le désordre est imputable à la régulation de la pompe à chaleur qui n’est pas correctement adaptée à l’installation, qui n’est donc pas en mesure d’apporter le confort et l’économie qui étaient contractuellement attendus.
L’entreprise ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, le maître de l’ouvrage assigna son dirigeant devant le Tribunal de Grande Instance d’Angers, afin de solliciter sa condamnation personnelle à l’indemniser de ses différents chefs de préjudices sur le fondement des articles L 241 et L 243-3 du code des assurances, au motif que constitue une faute personnelle de gestion le fait de n’avoir pas souscrit d’assurance responsabilité décennale.
En défense, il fut alors rappelé que ce principe ne pouvait valoir que pour autant qu’il soit justifié de l’existence d’un ouvrage susceptible de relever du régime de l’assurance obligatoire, ce qui n’était manifestement pas le cas de la fourniture et de la pose d’une pompe à chaleur en complément d’une chaudière existante.
Qui plus est, il était rappelé que de jurisprudence constante, la garantie biennale de bon fonctionnement d’une durée de deux ans à compter de la réception de l’ouvrage, visée par les dispositions de l’article 1792-3 du code civil, ne concerne pas les éléments d’équipement dissociables seulement adjoint à un ouvrage existant.
La garantie de bon fonctionnement, au même titre que la garantie décennale, n’ont vocation à être mobilisées que dans l’hypothèse de la construction d’un ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Tel est le cas de l’installation d’un système de climatisation dans le local déjà construit d’un laboratoire de météorologie d’une usine par le raccordement d’un climatiseur à des conduites et des réseaux d’air dont la mise en fonctionnement n’a nécessité aucun travaux de bâtiment ou de génie civil (Cass. 3ème civ., 10 décembre 2003, n° 02-12.215).
L’exclusion de la garantie décennale est encore retenue pour des désordres qui affectent un ensemble mécanique et électrique composé de moteurs et de transformateurs, installés dans un bâtiment industriel déjà construit parfaitement démontable, ne faisant pas corps avec le bâtiment dont les opérations de montage n’avaient appelé aucun travaux de construction (Cass. 3ème civ., 12 janvier 2005, n° 03-17281).
La position avait été identique dans un jugement du Tribunal d’Instance de Laval en date du 11 décembre 2012 :
« Les époux S. soutiennent que les vices affectant la pompe à chaleur installée par la société M. rendent l’immeuble impropre à sa destination de sorte que la responsabilité décennale de la société M et la garantie d’AXA France IARD seraient engagées. »
« Cependant la mise en jeu de l’article 1792 du code civil ne concerne que la responsabilité du constructeur d’un ouvrage lorsque, notamment, l’élément d’équipement mis en œuvre rend l’ouvrage impropre à sa destination. »
« La société M. a simplement posé au domicile des époux S. une pompe à chaleur qui n’est qu’un élément d’équipement, quel que soit le pris élevé de cet élément, en l’espèce : 25.000 euros. »
« Contrairement à ce qu’allèguent les époux S, le devis ne comprend pas l’installation de radiateurs et donc de raccordements nécessaires et un ensemble de canalisations. »
« Le devis accepté le 19 avril 2008 stipule la fourniture d’une pompe à chaleur SDEEC haute température pour 19 923,00 euros, ainsi que la pose et les accessoires à hauteur de 2.559,24 euros et la mise en service pour 1.611,38 euros. »
« Il ressort également des pièces versées aux débats, que les propriétaires ont également conservé leur ancienne chaudière à gaz. »
« L’adjonction sur l’installation existante, d’un élément d’équipement dissociable comme en l’espèce la pompe à chaleur mise en œuvre et simplement raccordée à l’installation de chauffage en place ne saurait constituer un ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil. »
« La société M. n’a pas créé un ouvrage au sens de cet article, de sorte que sa responsabilité décennale n’est pas susceptible d’être engagée. Il s’ensuit que la garantie décennale suivant contrat auprès d’AXA ASSURANCES IARD ne peut être mobilisée. »
Il était donc soutenu qu’il ne pouvait être prétendu que la personne morale aurait commis une faute, dont son ancien gérant devrait répondre à titre personnel, pour n’avoir pas souscrit une assurance RC décennale pour les besoins des travaux qui lui avaient été confiés et qu’en tout état de cause, il n’était aucunement justifié de l’existence d’une quelconque perte de chance et donc d’un préjudice indemnisable, susceptible d’être pris en charge sur le fondement des dispositions de l’article 1382 du code civil.
Tel est le raisonnement suivi par le Tribunal de Grande Instance d’Angers dans sa décision du 15 décembre 2014, qui apparait tout à fait conforme à la jurisprudence, en ce sens que :
« Il ne peut à ce stade être affirmé que l’impropriété à destination de la maison de M. et Mme O. a pour origine la défaillance de l’élément d’équipement que constitue la pompe à chaleur. »
« La responsabilité décennale du constructeur suppose un ouvrage défini comme des travaux réalisés dans le cadre d’un contrat d’entreprise et ayant nécessité la mise en œuvre de techniques de construction ou de génie civil pour leur réalisation, l’ouvrage devant être attaché à l’immeuble à perpétuelle demeure, c’est-à-dire dont le démontage est impossible dans détérioration ou enlèvement de matière. »
(…)
« De ces éléments, il apparaît que le démontage de la pompe à chaleur est possible sans détérioration ou enlèvement de matière. »
« La responsabilité de la société T. dans l’installation de la pompe à chaleur ne peut être engagée sur le fondement de la responsabilité des dispositions de l’article 1792 du code civil. »
Et le tribunal dans tirer alors les conséquences qui s’imposent s’agissant de la responsabilité personnelle du dirigeant :
« La responsabilité décennale de la société T. n’étant pas retenue, la faute de Mme. M en tant que gérante de cette société pour n’avoir pas souscrit une assurance dommage-ouvrages (lire responsabilité civile décennale) n’a pas de lien de causalité avec le préjudice qu’ils invoquent. »
La décision rendue est manifestement conforme au droit, sauf à devoir relever qu’il eut été sans plus judicieux de constater qu’en l’absence d’ouvrage, il n’avait été commis aucune faute à ne pas souscrire l’assurance RC décennale, en l’absence de toute obligation, plutôt que de justifier le débouté du maître de l’ouvrage sur le fondement de l’absence de préjudice indemnisable.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Michael Flippo - Fotolia.comEn l’espèce, une entreprise s’était vue confier dans le courant de l’année 2010 la fourniture et la pose d’une pompe à chaleur en complément d’une chaudière existante, selon un devis d’un montant de 13 467,98 euros, comprenant la fourniture de la PAC et des kits nécessaires à son fonctionnement en relève de la chaudière fuel, à savoir le kit de gestion de la régulation, le kit de sécurité antigel et un kit ballon de 200 litres.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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