Le projet de réforme du bornage

Publié le : 28/10/2009 28 octobre oct. 10 2009

Le bornage se résume actuellement au seul article 646 du code civil aux termes duquel : « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs.»

Gare au bornage...Le bornage occupe peu de place dans l’actuel Code Civil, puisqu’il se résume au seul article 646 aux termes duquel :
« Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs
Rompant avec la volonté annoncée de simplification, le projet de réforme du Livre II du Code Civil relatif aux biens comporte un chapitre VII intitulé « Du bornage » comptant six articles.

Le projet d’article 652 pose le principe contenu à l’actuel article 646 selon lequel tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës.

Est donc maintenue la reconnaissance d’un « droit au bornage ».

Le non respect de ce droit est naturellement sanctionné en justice.

Toutefois, la réforme opère ici un bien curieux renversement …

C’est ainsi le projet d’article 653 ci après reproduit qui retiendra l’attention :

« Le propriétaire qui n’a pas accepté une proposition de bornage amiable contradictoire établie par un professionnel agréé doit intenter l’action en bornage judiciaire dans les six mois de la signification, par son voisin, du projet de bornage.
A défaut, la limite proposée est réputée lui être opposable et définitive

Ces dispositions seraient destinées à « sanctionner les blocages abusifs » relatifs aux bornages amiables …

Un pré supposé les dicte, qui pose en principe que le propriétaire auquel est soumise la proposition de bornage commettrait un blocage abusif en ne ratifiant pas la limite signifiée par son voisin.

Toutefois, les juristes savent bien que, souvent, derrière une simple demande en bornage, se dissimule, plus ou moins ouvertement, une revendication de propriété …

Le bornage n’est alors que l’instrument de cette revendication.

C’est pourquoi le juge détermine toujours avec le plus grand soin la mission qu’il confie au géomètre- expert qu’il va désigner et l’invite ainsi à examiner tous les titres, à vérifier l’usucapion, etc., …

Un propriétaire ne peut être privé de ces garanties du seul fait de son abstention !

En effet, ce propriétaire pourrait bien - rebuté par le coût et les désagréments d’une procédure - s’abstenir de saisir le juge, alors même qu’il ne serait pas d’accord avec les limites proposées, alors même que ces limites seraient discutables !

Certes le plan proposé est œuvre d’expert, mais hors tout contrôle judiciaire, quelles garanties pour le propriétaire qui ne saura peut être pas produire les titres, actes, ou tous autres éléments nécessaires à la bonne appréciation des limites de propriété ?

La pratique révèle qu’il n’est pas rare que la limite proposée par l’expert désigné par le juge, exerçant sous son contrôle dans le respect des règles de la procédure civile, ne coïncide pas avec le plan établi à la requête de l’une ou l’autre des parties …

Souvent d’ailleurs, l’expert judiciairement désigné propose plusieurs tracés distincts, laissant au juge le soin de dire si telle portion a fait ou non l’objet d’une prescription acquisitive, ou de trancher tel point de droit (comme la validité ou la portée d’un titre) soulevé au cours de ses opérations et dont la solution influera sur la limite retenue.

En outre, même si le bornage n’a pas autorité de chose jugée au pétitoire (1), dire que la limite proposée est réputée être opposable et définitive revient à faire produire à une abstention des effets de droit, aussi graves que, le cas échéant, une sorte d’expropriation privée !

Cette solution heurte le principe selon lequel le silence ne peut valoir acceptation, particulièrement en dehors de toute relation de nature contractuelle.

Il paraît donc difficile d’admettre que pèse sur celui qui ne demande rien et se contente des limites de propriété apparentes, la charge de saisir le juge (2) !

Ce ne peut être qu’à celui qui demande le bornage de saisir le juge en cas d’opposition du propriétaire voisin.

En revanche, aucun délai ne devrait lui être imparti.

En effet, dans la rédaction proposée, le voisin qui demande le bornage devrait attendre six mois à compter la signification de la proposition pour que soit entérinée la limite proposée - ce qui est fort long - et si l’autre propriétaire attend le dernier jour du 6ème mois pour saisir le juge, le premier aura donc perdu 6 mois avant que soit engagée la procédure !

La proposition de rédaction de l’article 653 ne peut décidément pas être approuvée par les praticiens du droit (quoique puissent en penser les praticiens du mesurage) !

Pourtant, une simplification aurait été bienvenue, qui aurait consisté à transférer au tribunal de grande instance le contentieux du bornage (comme l’a été, par la loi du 26 janvier 2005, celui des actions possessoires, à présent condamnées par le projet de réforme) - alors même que la nature pétitoire de l’action paraît reconnue - et à régler ainsi la difficulté découlant de la limitation actuelle des pouvoirs du juge d’instance qui - tout en pouvant se prononcer sur tout moyen de nature pétitoire - ne peut statuer sur une revendication de propriété.


Index:
(1)Ch. Atias, Les Biens, 9ème édition, LITEC
(2) Et ce, sans compter les difficultés qui ne manqueraient pas de surgir en cas de propriété indivise du fonds et de désaccord entre les indivisaires !



Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

CHARLES-NEVEU Brigitte
Avocate Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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