Les dommages aux existants sont-ils soumis au régime de la garantie RC décennale obligatoire des constructeurs ?
Publié le :
21/11/2017
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La Cour de cassation soutient donc désormais une jurisprudence qui est très clairement contraire au texte, ce qui n’est pas sans rappeler la position qu’elle avait déjà adoptée à l’occasion de l’arrêt CHIRIGNAN, dès lors qu’il a toujours été dans l’intention du législateur de ne pas soumettre les dommages aux existants au régime de la garantie RC décennale obligatoire des constructeurs.
Par un arrêt CHIRIGNAN désormais célèbre parmi les praticiens du droit de la construction (Cass, 1ère civ, 29 février 2000, n° 97-19143), la Cour de cassation avait étendu la garantie de l’assureur RC décennale aux existants qui ne constituaient donc pas les ouvrages à la réalisation desquels l’entrepreneur avait contribué, alors que la garantie facultative relative aux dommages causés aux existants, du fait de l’exécution des travaux objets du marché, n’avait pas été souscrite.
La Cour de cassation avait alors dû traiter un vide juridique, puisqu’à cette époque la notion d’existant était parfaitement ignorée du législateur, dont le code civil ou le code de la construction et de l’habitation ne faisaient aucunement référence.
La décision avait fait grand bruit, ce d’autant plus qu’elle émanait de la 1ère Chambre civile, dont le droit de la construction n’est pas la matière de prédilection et qu’il y avait quelque chose d’assez paradoxal à ce qu’elle soit amenée à déterminer ainsi le champ d’application de la responsabilité décennale des constructeurs, avec d’aussi lourdes conséquences.
Cet arrêt faisait suite à une précédente décision rendue le 30 mars 1994 (Cass, 3ème civ, 30 mars 1994, n° 92-11996) qui avait retenu l’application de la garantie RC décennale pour l’indemnisation de l’ensemble des dommages, dans une situation où il n’avait pas été possible de dissocier les existants des travaux neufs qui étaient devenus indivisibles par leur incorporation à l’immeuble.
La position adoptée par la Cour de cassation était éminemment contestable, dès lors que la lecture de l’article 1792 du code civil ne laissait à priori entrevoir aucun doute sur le fait que la garantie RC décennale des constructeurs ne concernait que les ouvrages neufs qui sont l’objet du marché de travaux, les autres dommages devant être traités dans le cadre de la responsabilité contractuelle de droit commun.
L’arrêt du 29 février 2000 ayant été rendu au visa des articles L 241-1 et L 243-1 du code des assurances, il n’y avait à priori aucun doute sur le fait que la position adoptée par la Cour de cassation ne concernait pas seulement le régime de responsabilité applicable, mais également celui de la garantie de l’assureur, à savoir celui de la garantie RC décennale obligatoire.
En réaction à cette jurisprudence rejetée par les assureurs, qui avaient entrepris d’y résister en soutenant que l’étendue de la réparation des dommages due par les constructeurs sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil divergeait de celle de l’indemnisation due au titre de l’assurance RC décennale obligatoire, l’article L 243-1-1 II. du code des assurances, issu de l’Ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, a très clairement indiqué, s’agissant du champ d’application de la garantie obligatoire RC décennale, que : « Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
La situation était ainsi parfaitement clarifiée.
Pour autant, par un arrêt rendu le 15 juin 2017 au visa de l’article 1792 du code civil (Cass, 3ème civ, 15 juin 2017, n° 16-19640), la Cour de cassation a cru devoir indiquer que les désordres qui affectent les éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur un existant, relèvent de la responsabilité décennale, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.
« Qu’en statuant ainsi, alors que les désordres affectant les éléments d’équipement dissociables ou non d’origine ou installés sur l’existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Cette décision, remarquée et destinée à être publiée au Bulletin, implique une remise en cause du principe qui était jusqu’à présent régulièrement rappelé par la jurisprudence depuis plusieurs années, selon lequel la garantie décennale issue de l’article 1792 du code civil n’a vocation à ne s’appliquer qu’aux seuls éléments d’équipement adjoints à un ouvrage d’origine et non à un ouvrage existant.
La mise en œuvre de la garantie décennale était donc conditionnée à l’existence de désordres affectant un ouvrage ou un élément d’équipement adjoint à un ouvrage existant, dès lors que l’installation pouvait être assimilée à des travaux de construction d’un ouvrage « de par sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments à la construction immobilière. » (Cass, 3ème civ, 23 février 2017, n° 15-26505).
A défaut, les désordres qui affectaient un élément d’équipement simplement adjoint à un ouvrage existant relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur, non garantie au titre de la garantie RC décennale obligatoire.
La décision du 15 juin 2017 remet donc très clairement en cause la pertinence de cette distinction lorsque les désordres qui affectent l’élément d’équipement ont pour conséquence de rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble.
De la sorte, la Cour de cassation institue une jurisprudence très clairement contra-legem, dès lors que les dispositions de l’article 1792 du code civil ne font état que de la construction d’un ouvrage et aucunement d’un élément d’équipement et que l’article L. 243-1-1. II du code des assurances indique que les dispositions relatives à la garantie RC décennale obligatoire ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.
La Cour de cassation a confirmé sa position dans un arrêt du 29 juin 2017 (Cass, 3ème civ, 29 juin 2017, n° 16-16637), toujours au visa de l’article 1792 du code civil uniquement, à propos cette fois-ci d’un élément d’équipement inerte dissociable installé sur un existant, qui relevait jusqu’alors tout à fait classiquement de la responsabilité contractuelle de droit commun :
« Mais attendu qu’ayant relevé que les désordres affectant le revêtement du sol, élément d’équipement des locaux, consistaient notamment, en des poinçonnements au droit des points d’appui des meubles, des défauts d’adhérence se matérialisant par un cloquage, des dégradations mécaniques du revêtement, et des défauts d’adhérence, et souverainement retenu que ces différentes dégradations, incompatibles avec la nécessité de procéder au déplacement des meubles, de les mettre en valeur et d’offrir aux clients potentiels un cadre attractif pour inciter à leur achat, rendaient ces locaux impropres à leur destination, la cour d’appel a exactement déduit de ces seuls motifs que ces désordres engageaient la responsabilité décennale de la société Sunset. »
Au passage, il peut être constaté que la Cour de cassation entend rappeler que l’appréciation de la notion d’impropriété de l’ouvrage à sa destination relève de la compétence souveraine des juges du fond, qui se doivent uniquement de le caractériser dans leurs décisions pour justifier de l’application de la garantie légale des constructeurs, ce dont il est alors fait application en présence de désordres essentiellement esthétiques, mais affectant un hall d’exposition.
La Cour de cassation a encore réitéré sa position concernant des incendies imputables à un insert installé sur un ouvrage existant dans un arrêt du 14 septembre 2017 (Cass, 3ème civ, 14 septembre 2017, n° 16-17323), toujours au visa de l’article 1792 du code civil.
Il était alors permis de se demander si la Cour de cassation entendrait cantonner l’extension du champ d’application de l’article 1792 du code civil aux dommages causés aux existants du fait de l’adjonction d’un élément d’équipement défaillant au seul régime de la responsabilité des constructeurs, ou si elle entendait l’étendre également au régime de la garantie décennale obligatoire, l’article L 243-1-1. II du code des assurances n’étant visé dans aucune de ces trois décisions.
La réponse vient d’être apportée par un arrêt du 26 octobre 2017 (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2017, n° 16-18120) :
« Mais attendu, d'une part, que les dispositions de l'article L. 243-1-1 II du code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant, d'autre part, que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la garantie décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ; que la cour d'appel a relevé que la cheminée à foyer fermé avait été installée dans la maison de M. et Mme X... et que l'incendie était la conséquence directe d'une absence de conformité de l'installation aux règles du cahier des clauses techniques portant sur les cheminées équipées d'un foyer fermé ; qu'il en résulte que, s'agissant d'un élément d’équipement installé sur existant, les dispositions de l'article L. 243-1-1 II précité n'étaient pas applicables et que les désordres affectant cet élément relevaient de la garantie décennale ; que, par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié. »
La volonté de la Cour de cassation d’étendre le régime de la garantie RC décennale obligatoire aux dommages causés aux existants par la réalisation de travaux neufs ne fait donc plus aucun doute, ce d’autant plus que toutes les décisions rendues depuis le 15 juin 2017 sont destinées à être publiées au Bulletin et au Rapport de la Cour de cassation.
Le message est donc parfaitement clair, mais aussi brutale soit-elle et lourde de conséquences, la position aujourd’hui adoptée par la Cour de cassation était annoncée par de nombreuses décisions antérieures.
En effet, pour appliquer le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun à des désordres affectant des éléments d’équipement, et notamment des éléments d’équipement dissociables et non destinés à fonctionner, la Cour de cassation avait pris soin de relever préalablement l’absence d’atteinte à la destination de l’ouvrage, ou d’atteinte à sa solidité, laissant ainsi entendre que s’il en avait été autrement, nonobstant la mise en œuvre d’un élément d’équipement sur un existant, la garantie légale des constructeurs aurait eu vocation à s’appliquer (Cass, 3ème civ, 13 février 2013, n° 12-12016 : « … lorsqu’ils ne rendent pas l’ouvrage impropre à sa destination ou n’affectent pas sa solidité, ne peut être fondée, avant comme après réception, que sur la responsabilité contractuelle de droit commun. »)
Il n’en reste pas moins que l’analyse aujourd’hui portée par la Cour de cassation n’est pas satisfaisante et appelle très certainement une clarification de la part du législateur.
D’une part, en indiquant dans un attendu de principe que : « les dispositions de l'article L. 243-1-1 II du code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », la Cour de cassation dénature totalement l’esprit de l’article 3-VII de l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, qui dispose que : « Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
La Cour de cassation soutient donc désormais une jurisprudence qui est très clairement contraire au texte, ce qui n’est pas sans rappeler la position qu’elle avait déjà adoptée à l’occasion de l’arrêt CHIRIGNAN, dès lors qu’il a toujours été dans l’intention du législateur de ne pas soumettre les dommages aux existants au régime de la garantie RC décennale obligatoire des constructeurs.
Ainsi donc, si le principe reste toujours celui selon lequel la garantie RC décennale obligatoire ne s’applique qu’aux éléments d’équipement installés au moment de la construction de l’ouvrage et non aux éléments d’équipement simplement adjoints à l’existant, celui-ci peut être renversé lorsque :
- Les travaux d’adjonction d’éléments d’équipement à l’existant peuvent être assimilés à des travaux de construction d’un ouvrage, ce qui n’est toujours pas le cas du revêtement de sol installé sur un ouvrage existant.
- Les désordres qui affectent l’élément d’équipement rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, ce qui est typiquement le cas de l’incendie provoqué par la défaillance d’un élément d’équipement simplement adjoint à un existant, tel qu’un insert ou un poêle à bois, ou bien encore un ensemble de cellules photovoltaïques.
D’autre part, cette analyse emporte des conséquences non mesurées et difficilement mesurables au-demeurant pour les assureurs, dès lors que l’économie du contrat d’assurances s’en trouve totalement bouleversée.
Alors que l’assureur RC décennale déterminait jusqu’à présent le montant de sa prime en fonction du chiffre d’affaires de l’assuré, il lui faudra désormais en ajuster le montant en considération de la valorisation des existants, ce qui sur le plan pratique d’avère extrêmement compliqué, voir tout simplement impossible.
Enfin, la position adoptée par la Cour de cassation risque d’emporter des conséquences absolument dramatiques pour tous ceux qui, souvent en toute bonne foi, pensent ne pas être redevables de la garantie RC décennale obligatoire, puisque ne procédant qu’à l’installation d’un élément d’équipement, dissociable parfois, sur un existant.
La situation est d’autant plus inquiétante que la réforme de la prescription en matière pénale par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 a porté le délai de la prescription du délit de défaut de souscription d’une assurance RC décennale, prévu à l’article L 241-1 du code des assurances, de trois à six ans, alors que la jurisprudence, pour sa part, n’a jamais eu de cesse de rappeler qu’en tout état de cause le défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire au titre des dommages matériels constitue pour le chef d’entreprise une faute détachable qui engage sa responsabilité personnelle sur le fondement des dispositions des articles 1382 du code civil et L 223-22 du code de commerce (Cass, com, 28 septembre 2010, n° 09-66255).
Sur le plan civil, l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre du dirigeant, sur le fondement de la faute de gestion détachable de ses fonctions tirée des dispositions de l’article L 223-22 du code de commerce, doit être alors engagée dans les trois ans à compter du fait dommageable ou, si la faute a été dissimulée, dans les trois ans de sa révélation, conformément aux dispositions de l’article L 223-23 du code de commerce.
Il a d’ores et déjà été jugé que l’absence de souscription de l’assurance obligatoire dès l’ouverture du chantier constitue en soit un préjudice certain pour le maître d’ouvrage, même en l’absence de tout dommage à l’ouvrage, du fait de la privation d’une garantie de prise en charge en cas de survenance d’un désordre avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale.
On comprend alors aisément le risque extrêmement important qui est désormais encouru par tout entrepreneur qui intervient sur un existant pour installer un élément d’équipement, dissociable ou non, sans s’être préalablement assuré de la souscription d’une assurance RC décennale au titre des dommages matériels.
Une nouvelle rédaction de l’article L 243-1-1. II du code des assurances apparait donc absolument nécessaire dans les délais les plus brefs.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Michael Flippo - Fotolia.com
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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Le devoir de conseil de l'architecte
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Branches d'un arbre empiétant sur le terrain voisin et droit de propriété
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