
Retrait d’un associé : la société doit-elle rembourser le compte courant ?
Publié le :
09/10/2025
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Le compte courant d’associé constitue un mécanisme essentiel dans la vie des sociétés commerciales, permettant à leurs associés ou dirigeants d’assurer temporairement le financement de l’activité sociale, sans procéder à une augmentation de capital. Régulièrement utilisé dans la pratique, ce dispositif juridique soulève des interrogations récurrentes, notamment quant à son sort lors du retrait d’un associé ou de la cession de ses titres.
Nature et régime juridique du compte courant d’associé
Le compte courant d’associé correspond à une créance détenue par un associé, un dirigeant ou toute autre personne habilitée sur la société. Il s’agit d’un prêt consenti par une personne à la société, qui peut consister soit en une avance de fonds, soit en un renoncement temporaire au remboursement de sommes dues (dividendes, rémunérations, remboursements de frais, etc.). Cette opération n’entraîne pas de transfert de propriété du capital, mais crée une obligation de remboursement au profit du titulaire du compte.Selon la doctrine, le compte courant d’associé ne constitue ni une mise en capital, ni une opération de crédit relevant du monopole bancaire, dès lors qu’il est ouvert dans les conditions légales par une personne remplissant les critères exigés par le Code monétaire et financier. En effet, seules les personnes ayant la qualité d’associé détenant au moins 5 % du capital social ou les dirigeants de société peuvent consentir de tels prêts à la société sans méconnaître le monopole bancaire.
Sur le plan juridique, le compte courant d’associé repose sur une convention de prêt, expresse ou tacite, conclue entre l’associé et la société. Cette convention peut prévoir un taux d’intérêt (fixé dans le respect du taux de l’usure) ou être consentie à titre gratuit.
Cependant, lorsque le titulaire du compte courant est une personne morale, c’est-à-dire une société qui apporte des fonds à une autre société, la rémunération du compte courant devient obligatoire. En effet, dans ce cas, l’absence d’intérêt constituerait un acte anormal de gestion et serait susceptible d’être requalifiée fiscalement. Ainsi, la société prêteuse doit percevoir une rémunération conforme au taux du marché pour éviter tout redressement en matière d’impôt sur les sociétés.
Les sommes inscrites en compte courant sont exigibles selon les modalités prévues contractuellement ou, à défaut de stipulations, immédiatement lorsqu’aucun terme n’a été convenu. En cas de difficultés financières de la société, le titulaire du compte courant est traité comme un créancier chirographaire, sauf s’il bénéficie de garanties particulières (nantissement, caution, etc.). Il ne détient aucun privilège spécifique, mais peut, à ce titre, réclamer le remboursement de sa créance dans les conditions de droit commun.
Sort du compte courant d’associé en cas de retrait ou de cession de titres
La question du remboursement du compte courant d’associé lors du retrait d’un associé ou de la cession de ses parts sociales donne lieu à de fréquentes confusions. Il est souvent affirmé, à tort, que la perte de la qualité d’associé entraînerait nécessairement le remboursement du compte courant détenu. Cette interprétation résulte d’une assimilation erronée entre la qualité d’associé et celle de créancier.Or, le droit positif distingue clairement ces deux statuts. En effet, la cession des titres sociaux met fin à la qualité d’associé, mais n’affecte pas la qualité de créancier attachée au compte courant. Autrement dit, la créance née du compte courant subsiste indépendamment du lien capitalistique. Le cédant demeure créancier de la société tant que sa créance n’a pas été remboursée, sauf s’il a expressément transféré le compte courant au cessionnaire ou à un tiers.
La société n’est donc pas tenue de rembourser le compte courant à l’occasion du départ de l’associé, sauf si une clause contractuelle ou statutaire prévoit expressément le contraire. Le remboursement ne s’impose que dans les cas où la convention de compte courant stipule une exigibilité liée à la perte de la qualité d’associé ou à la cession des titres. À défaut d’une telle stipulation, le remboursement intervient selon les règles de droit commun des prêts à durée déterminée ou indéterminée.
Ainsi, le départ d’un associé n’entraîne pas, par lui-même, l’exigibilité du compte courant. Le cédant peut soit conserver sa créance, soit en céder le bénéfice au repreneur, à titre onéreux ou gratuit. Cette dissociation entre les deux qualités juridiques (associé et créancier) consacre la logique patrimoniale du compte courant, instrument financier autonome et détachable de la participation au capital.
Portée pratique et conséquences juridiques
Cette distinction est loin d’être purement théorique : elle produit des conséquences concrètes sur la gestion et la transmission des créances détenues sur la société. Le compte courant d’associé peut être librement cédé, nanti ou transmis, sans que le bénéficiaire ait à revêtir la qualité d’associé. Il constitue donc un actif patrimonial susceptible d’entrer dans le commerce juridique au même titre qu’une créance ordinaire.Une fois l’associé retiré de la société, celui-ci ne peut plus effectuer d’opérations nouvelles sur le compte courant. Toutefois, en sa qualité de créancier, il conserve le droit de réclamer le remboursement de la créance existante, soit immédiatement si la convention est à durée indéterminée, soit selon les échéances convenues lorsqu’un terme a été stipulé. En cas de refus injustifié de remboursement, le créancier peut engager une action en justice pour obtenir le paiement des sommes dues, sous réserve du respect des délais de prescription applicables.
La Cour d’appel d’Angers a eu l’occasion de rappeler cette distinction dans un arrêt du 25 janvier 2022 (n° 18/01446), en jugeant que la cession des titres ne prive pas le cédant de son droit au remboursement du compte courant, dès lors que la créance résulte d’une avance antérieure et que le contrat de prêt demeure valable et exigible selon ses termes. Cette décision illustre la position constante de la jurisprudence, qui reconnaît la pleine autonomie du compte courant d’associé par rapport à la qualité d’associé.
Conclusion
Le compte courant d’associé est un outil souple de financement interne, dont la nature juridique de créance en fait un instrument distinct de la participation au capital. La cession de titres ou le retrait d’un associé ne modifient en rien le droit au remboursement de cette créance, sauf disposition contraire. L’associé sortant demeure un créancier de la société, et son compte courant peut être transmis ou remboursé selon les stipulations contractuelles applicables.Ainsi, contrairement à une idée reçue largement répandue, le départ de l’associé n’emporte pas, de plein droit, l’obligation pour la société de rembourser le compte courant d’associé. Celui-ci suit les règles de droit commun du prêt, et son exigibilité dépend uniquement des conventions conclues entre les parties. Par ailleurs, lorsque le titulaire du compte est une personne morale, la rémunération du compte courant constitue une exigence légale et fiscale incontournable, condition essentielle à la régularité et à la neutralité de l’opération.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur

Christophe Delahousse
Avocat
Cabinet Chuffart Delahousse, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ARRAS (62)