La protection du secret des sources des journalistes

Publié le : 01/02/2010 01 février févr. 02 2010

Accorder le droit à la presse de ne pas divulguer ses sources garantit la liberté de l'information donc de l'opinion et de la pensée, principes essentiels de la démocratie.

"Le secret a la forme d'une oreille" Jean CocteauLa clarté du propos commande de commencer par quelques définitions des mots employés pour le titre.

La protection ici c'est le rempart du droit contre la tentation de l'arbitraire.

Si le secret n'en a plus pour personne, encore faut-il ici préciser que le secret protège non celui qui le détient mais celui qui l'a confié. C'est le rôle social du secret professionnel qui est l'interdiction de révéler un fait dont ils ont connaissance dans le cadre de l'activité auquel se rattache celui des journalistes. Le droit d'informer a pour contrepartie la sécurité de l'informateur.

La source c'est la personne, le groupe, l'autorité, l'organe officiel ou officieux auprès duquel le journaliste récupère l'information destinée au public pour informer celui-ci notamment de faits – qu'il peut interpréter librement – que ce public n'aurait pu connaître sans cela.

Le journaliste c'est le messager, le passeur qui collecte des informations auprès de différentes sources pour les restituer brutes ou accompagnées de son commentaire à un public en général ou ciblé par tout moyen écrit, sonore, visuel de reproduction de l'information.

La garantie de la liberté d'expression, prolongement de celle de penser, reconnue dans les déclarations universelles, européennes et françaises des Droits de l'homme est pourtant toujours sujette à des limitations plus ou moins justifiées par des raisons d'ordre public ou judiciaires tant par les pouvoirs publics que par les juges.

Un long combat arbitré par la Cour Européenne des Droits de l'Homme a opposé la presse aux pouvoirs pendant des années, mettant en péril ces libertés soit directement par la censure soit par le biais du recel d'informations issues d'une violation du secret professionnel ou de l'instruction.

La force supérieure de la Convention Européenne des Droits de l'Homme a fini par user la résistance de la France et le Gouvernement a présenté un projet de loi voté définitivement le 4 janvier 2010 pour garantir la sécurité des sources d'information.

Il faut en aborder les principes avant d'en cerner les applications et d'évoquer les autres sources de la protection du secret et enfin de conclure.



I- Les principes :

La loi sur la presse du 29 juillet 1881 a déjà été modifiée en 1993 dans un sens libéral mais la loi du 4 janvier 2010 assure une protection accrue des attaques directes et indirectes contre le secret des sources; son article 2 alinéa 4 précise que la protection s'étend aux personnes ayant des relations habituelles avec un journaliste.

Elle réserve toutefois encore une exception à la protection du secret lorsqu'existe un impératif prépondérant d'intérêt public et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

Quiconque prend connaissance de cette exception va se trouver confronté à la difficulté de la définition des notions d'intérêt public (variable selon les époques), strictement nécessaires (dont l'acception peut être plus ou moins large), et de but légitime (la légitimité étant subjective en fonction du pouvoir en place).

Toutefois, et heureusement, cette exception est limitée : en aucun cas cette exception oblige le journaliste à révéler ses sources.

Par contre, et malheureusement, cette exception peut être élargie : en matière pénale selon la gravité du crime ou délit, l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité la protection s'efface.


II- Les applications :

Il s'agit non pas des applications du principe de la protection du secret mais de la règlementation des exceptions pour qu'elles s'éloignent le moins possible du principe.

A – Les perquisitions :

Qu'elles se fassent dans les locaux d'une entreprise de presse, de communication audiovisuelle, une agence de communication au public en ligne, au domicile du journaliste ou dans son véhicule, elles ne peuvent être réalisées que par un magistrat sur décision écrite et motivée indiquant la nature de l'infraction et les raisons de l'investigation, portées dès le ébut de la mesure à la connaissance de la personne présente.

Seuls le magistrat et la personne présente peuvent prendre connaissance des documents dont la saisie n'est possible que pour l'infraction mentionnée sur la décision autorisant la perquisition.

La sanction de l'irrespect de ces dispositions est la nullité de la mesure mais rien ne précise de quelle nature (absolue, relative?) est cette nullité.

Les limites à cette mesure exceptionnelle sont les suivantes :

- la perquisition ne doit pas faire obstacle à la diffusion de l'information ou entrainer un retard injustifié de celle-ci.
- La personne présente peut s'opposer à la saisie des documents si elle l'estime irrégulière; les objets seront alors mis sous scellés et le juge des libertés et de la détention sera saisi (par qui, comment?) et devra statuer dans les quinze jours en présence du Procureur de la République, du magistrat qui aura assuré la perquisition, de la personne présente et, si ce n'est pas le journaliste lui-même, de celui-ci.

Le juge des libertés et de la détention peut ordonner soit le versement des pièces à la procédure – ce qui ne l'empêchera pas de pouvoir être démenti par le juge du fond -, soit la destruction du procès-verbal de saisie et la restitution des objets mis sous scellés.

A peine de nullité ne peuvent être versées au dossier les pièces saisies dans le cadre d'une perquisition effectuée en violation de l'article 2 de la loi ci-dessus dans une entreprise de presse.

Les articles 77-1 (assistance d'un technicien pour assister le juge) et 99-3 (perquisition des systèmes informatiques) du Code de Procédure Pénale sont applicables sous la réserve de l'article 56-2 du même Code qui contient les dispositions protectrices des journalistes issus de la loi du 4 janvier 2010.

B – La déposition :

La loi du 4 janvier 2010 complète l'article 326 du Code de procédure pénale; l'obligation de déposer s'applique sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal (à voir) et de la faculté, pour le journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de ses fonctions, de ne pas en révéler l'origine.

Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaitre, de prêter serment et de déposer, sous réserves des mêmes articles du Code pénal.

Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité (mais n'est-il pas en permanence journaliste?) est libre de ne pas en révéler l'origine.

C – Les correspondances :

A peine de nullité ne peut être transcrite les correspondances avec un journaliste permettent d'identifier la source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1981.


III- Les autres sources :

Outre la législation objet du présent article, la protection du secret des sources des journalistes est assurée ou confortée, ou en vie de l'être par d'autres sources, notamment déontologiques ou européennes.

A – La source déontologique :

1 – Française :

Elle est minimale; certes, il y a eu une tentative de charte déontologique commune mais elle n'a pas abouti.

Toutefois le Syndicat National des Journalistes a adopté pour ses adhérents une telle charte dénommée "Charte des devoirs des journalistes" dès 1918, révisée en 1938 qui stipule : " Un journaliste digne de ce nom….garde le secret professionnel" mais aucun tribunal des pairs pour appliquer des sanctions n'a jamais été constitué.

Enfin un projet de Code de Déontologie des journalistes fut présenté par Bruno Frappat au nom d'un groupe des sages constitué à l'issue des Etats Généraux de la presse écrite le 27 octobre 2009 qui reste à discuter par les partenaires sociaux et les professionnels.

Mais il a plus pour objet d'inciter le journaliste à vérifier les sources et à en assurer la traçabilité; le recours à l'anonymat n'est accepté que pour assurer le droit à l'information et le public comme le supérieur hiérarchique doivent en être avisés.

2 – Internationale :

La Déclaration des Droits et Devoirs de 1971élaborée en commun par la Communauté Européenne, la Suisse, l'Autriche (non encore adhérente à ladite Communauté) et diverses organisations internationales ainsi que des Fédérations journalistiques impose aux journalistes "de garder le secret professionnel et de ne pas divulguer les sources des informations obtenus confidentiellement".

Elle reconnaît en outre la revendication du libre accès à l'information et le droit d'enquêter.

B – L'absence de source conventionnelle collective :

La convention collective du 1er novembre 1976 refondue le 4 octobre 1987, limitée certes aux relations entre employeurs de presse et employés, ne prévoit aucune protection vis-à-vis de l'employeur ni des tiers quant au secret des sources.

Elle réaffirme seulement le droit de libre opinion du journaliste en son article 3.

C – La Convention Européenne des Droits de l'Homme :

L'article 10 de la Convention affirme la liberté d'expression et la Cour Européenne des Droits de l'Homme en assure la garantie.

Quelques exemples :

- arrêt du 27 mars 1996 Goodwin : la Cour juge qu'une condamnation prononcée en Grande-Bretagne contre un journaliste qui avait refusé de témoigner en justice constitue une violation du principe fondamental de la liberté d'expression.
- Arrêt du 21 janvier 1999 Roire et Frenoz c/ France : la Cour affirme que la protection vise non seulement l'information mais aussi son support. En l'espèce le journaliste avait publié la feuille d'impôt sur le revenu d'un grand dirigeant d'entreprise et la Cour juge que l'information sur l'impôt ne ressort pas du domaine protégé de la vie privée.

D – Le Droit international :

Dès l'abord il faut rappeler qu'il n'a pas force obligatoire.

1 – La Déclaration Universelle des Droits de l'homme :

Dans son article 19 elle affirme le droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique el droit de rechercher, de recevoir et de répande les informations et les idées.

2 – Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

Daté de1966 en son article 19 alinéa 2 il reprend la formule : " toute personne a droit à la liberté d'expression : ce droit comprend la liberté chercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute nature "; ce pacte est applicable en droit français.


Conclusion :

Le droit, la presse et la démocratie :

Le droit est indispensable pour assurer la liberté de la presse en démocratie.

La presse est indispensable pur assurer en démocratie le respect du droit.

La démocratie est indispensable pour la liberté de la presse et la suprématie du droit.

Accorder le droit à la presse de ne pas divulguer ses sources garantit la liberté de l'information donc de l'opinion et de la pensée, principes essentiels de la démocratie. A ce sujet la suppression proposée du secret de l'instruction par le comité Léger permettrait encore, malgré la conservation du secret professionnel la condamnation de journalistes pour recel non plus du secret de l'instruction mais du secret professionnel reconnu par la Chambre Criminelle de la Cour de cassation.

Or, selon l'adage : "qui révèle sa source la tarit".

Gageons qu'avec cette loi l'oreille de Jean Cocteau n'aura pas à révéler le secret de la bouche qui la renseigne.





Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

PROVANSAL Alain
Avocat Honoraire
PROVANSAL AVOCATS ASSOCIES
MARSEILLE (13)
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