L'entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL): Avatar

Publié le : 26/04/2010 26 avril avr. 04 2010

L'entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) va permettre à l’entrepreneur de créer un patrimoine professionnel (et même plusieurs!) séparé de son patrimoine personnel.

L'EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée)1 - A défaut de prendre de la consistance, le patrimoine de l’entrepreneur individuel va acquérir du relief.

En effet, l’EIRL (c’est son sigle) va permettre à l’entrepreneur de créer un patrimoine professionnel (et même plusieurs !) séparé de son patrimoine personnel.
Dès lors, le juriste devra se munir de lunettes en 3D pour contempler ce patrimoine venu d’ailleurs comme les personnages du film Avatar.
Ce terme ne doit pas d’ailleurs être entendu ici dans un sens péjoratif mais plutôt comme un synonyme de métamorphose, qui lui convient mieux.

La naissance de ce patrimoine d’affectation, qui s’oppose au concept d’unité et d’unicité du patrimoine célébré par AUBRY et RAU, ne se résume pas en un simple changement d’apparence mais en une transformation digne d’une véritable métamorphose que l’on peut donc traduire désormais en langage actuel par : Avatar.
Il s’agit d’un choc culturel encore plus important que celui de la Fiducie qui est encore perçue comme un mécanisme financier réservé aux grandes sociétés (alors qu’elle ne l’est plus depuis la Loi du 04/08/2008) car il touche la personne même de l’entrepreneur.

2- Le projet de Loi de l’EIRL adopté par l’Assemblée Nationale, en procédure d’urgence le 17/02/2010 et substantiellement amendé par le Sénat dans sa séance du 08/04/2010, et dont la forme définitive n’est pas encore connue devrait entrer en vigueur le 01/01/2011.

Dans l’intervalle le Gouvernement doit proposer un projet d’Ordonnance réformant la procédure collective (pour la troisième fois depuis cinq ans !) ou plutôt l’adaptant à la situation particulière de l’EIRL.

Il serait d‘ailleurs judicieux que le Gouvernement saisisse cette occasion pour procéder à une adaptation plus large des règles de la procédure collective à l’entrepreneur indépendant, les mêmes solutions de redressement ne pouvant être trouvées pour ces petites ou micro-entreprises que pour les entreprises de taille significative.
Mais il faudra également, toujours par ordonnance, adapter le droit des suretés, le droit des procédures civiles d’exécution, le droit des régimes matrimoniaux et des successions …, bref l’onde de choc est considérable.

3- Il faut, tout d’abord, revenir rapidement sur le cheminement qui a conduit le Gouvernement et plus particulièrement son Secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Industrie, Monsieur NOVELLI, à mettre l’accent sur ce projet qui apparait complémentaire à celui mis en œuvre récemment avec le statut de l’auto-entrepreneur.


I – Du patrimoine d'affectation à l'EIRL

4- L’origine du projet se fonde sur une idée ancienne, qui constitue d’ailleurs un véritable « serpent de mer », mais réactualisé avec le dépôt d’un rapport remis par Monsieur Xavier De ROUX en novembre 2008.
Quelle mouche avait donc piqué cet Avocat, ancien Député, pour oser s’attaquer à l’un des dogmes les plus établis du Droit français, c'est-à-dire l’unité de patrimoine qui repose sur un simple syllogisme : toute personne a un patrimoine, seules les personnes ont un patrimoine, il n’existe qu’un seul patrimoine par personne ?
Mais, la simplicité ne rime pas toujours avec la réalité. Surtout lorsqu’on observe le comportement humain et en particulier celui de l’entrepreneur.

La révolte est donc venue du constat que l’entrepreneur individuel était allergique à la société à laquelle il n’arrive pas à s’identifier totalement même si il s’agit d’une EURL qui ne se résume qu’à lui-même.

Ainsi, la moitié des entrepreneurs français se refuse à emprunter la forme sociale pour créer leur entreprise. L’entrepreneur reste attaché à son entreprise comme on peut l’être à un enfant qui porte votre nom. Il préfère la posséder que la partager. Il perçoit bien que l’intérêt social et le sien propre ne se confondent pas et qu’il ne peut notamment procéder à sa guise à un prélèvement sur le patrimoine social comme il peut le faire sur le sien propre.

5- Il faut ajouter que plus d’un million d’entrepreneurs français n’a pas de salarié et que ce phénomène va grandissant depuis l’instauration du statut de l’auto-entrepreneur.
La citadelle du droit du travail est à l’instar du mariage, assiégée tant par ceux qui veulent y entrer que par ceux qui veulent en sortir.

Il demeure que l’entrepreneur reste profondément allergique à la complexité et à la lourdeur du droit du travail, ce qui constitue le frein le plus constant et le plus fort à l’embauche.

6- Toutefois, si l’entrepreneur est très attaché à son entreprise, il éprouve dans le même temps quelques craintes car il a peur que celle-ci l’entraîne dans sa chute.
Or, la vie d’une entreprise est toujours incertaine, elle peut se développer ou s’effondrer sous le coup d’événements extérieurs sur lesquels son dirigeant n’a souvent que peu de prise.

La complexité, l’instabilité de la vie économique créent un risque qu’il accepte de plus en plus difficilement d’assumer. Enfin, il faut dire que le profit est tellement érodé par les prélèvements obligatoires qu’il constitue plus une peau de chagrin qu’une véritable incitation. Dès lors, le désir d’entreprendre peut se muer en peur d’entreprendre. L’ombre de César BIROTTEAU est toujours présente dans les esprits et son parfum toujours présent dans les débats parlementaires.

7- Comment dès lors ranimer la flamme de l’esprit entrepreneurial ?

La réponse du Législateur réside dans la limitation de la responsabilité de l’entrepreneur. L’accent a donc été mis sur cette responsabilité limitée plutôt que sur le patrimoine affecté qui est une notion juridique complexe. Le titre est d’ailleurs trompeur car il n’y a pas de diminution de la responsabilité de l’entrepreneur, qui demeure entière, mais une diminution des conséquences pécuniaires de celle-ci, ce qui n’est pas la même chose.

8- Il aurait été sans doute plus efficace et beaucoup plus courageux de s’attaquer aux causes qui entraînent mécaniquement les défaillances des entreprises. On aurait pu ainsi s’interroger sur le point de savoir s’il était raisonnable qu’une entreprise, dont ce n’est pas le but, continue à financer la protection sociale ou encore à alimenter les transferts sociaux ? Ce débat engagé mais rapidement écourté, lors de l’annonce quelque peu prématurée d’une TVA sociale demeurera donc dans les oubliettes. En attendant, les contraintes et les prélèvements de toute sorte contribuent à augmenter inlassablement les défaillances d’entreprises. Ainsi, le Législateur a-t-il préféré créer un nouveau mode d’exercice (on pourrait même parler de niche d’entreprise) pour tenter de traiter ces effets délétères au lieu de s’attaquer aux causes.

9- Il convient de faire un premier bilan en effectuant une rapide comparaison entre l’EIRL et les dispositifs avec lesquels elle peut entrer en concurrence.


II – Comparatif: fiducie, insaisissabilité, EURL/EIRL

10- La fiducie, tout d’abord (Loi du 17/02/2007) ne semble pas avoir répondu aux préoccupations de l’entrepreneur individuel : trop chère, trop lourde et surtout basée sur un transfert de propriété qui n’est pas souhaité. La fiducie tarde d’ailleurs à prendre son envol.

11- L’insaisissabilité de la résidence principale (Loi du 01/08/2003) étendue à tous les biens fonciers bâtis ou non bâtis non affectés à un usage professionnel (Loi du 04/08/2008) n’a pas eu également le succès qu’on lui promettait. Douze mille déclarations d’insaisissabilité depuis 2003, c’est très peu au regard du nombre des chefs d’entreprises français (1,4 millions).

Ce système souffre également d’une maladie congénitale dans la mesure où l’’insaisissabilité n’est opposable qu’aux créanciers antérieurs à la déclaration et aux créanciers non professionnels. Dès lors, en liquidation judiciaire, donc dans une situation où l’entrepreneur malheureux attend qu’elle joue son rôle protecteur, la déception peut être à la mesure de l’espérance.
En effet, le liquidateur peut chercher à faire vendre le bien au motif que figurent dans la collectivité des créanciers, un ou plusieurs créanciers auxquels l’insaisissabilité n’est pas opposable (bien que la Cour de Cassation n’ait pas à ce jour apporté une réponse nette à cette délicate question).

Devant ce constat d’échec, le Législateur avait même envisagé de la supprimer mais finalement il est revenu à de meilleurs sentiments et a conservé le dispositif. L’EIRL a même bénéficié de ce maintien de façon indirecte puisque les créanciers non professionnels ne peuvent agir sur le patrimoine affecté qu’en cas d’insuffisance et d’ailleurs uniquement sur le bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos (article L 626-11), ce qui corrélativement les prive de toute action en l’absence de bénéfice. On ajoutera que le prix de vente d’un bien déclaré insaisissable devient lui-même saisissable (sauf réemploi dans le délai d’un an – article L 626-3) alors qu’à l’inverse le prix de vente d’un bien du patrimoine affecté le demeure en raison de la règle de l’universalité du patrimoine. Il est donc à l’abri des poursuites des créanciers non professionnels.

12– Mais, c’est avec l’EURL que la compétition est la plus serrée au point que certains dénient toute utilité à l’EIRL et la qualifient de gadget ou la rangent au rang des fausses bonnes idées. Il est vrai que cette société filiforme est déjà une institution ancienne et éprouvée (création en 1985) qui s’est même bonifiée avec le temps (pas de capital minimum : Loi du 01/08/2003, statuts types et allégement de la gestion et de l’approbation des comptes : Loi du 02/08/2008 et 04/04/2008, dispense du rapport de gestion : Loi du 19/10/2009). Mais, malgré tous ses attraits et l’âge qui l’embellit, elle n’a pas séduit les entrepreneurs (6,2% des entrepreneurs ont choisi l’EURL en 2008). Sa simplicité d’organisation est sans doute supérieure ou au moins équivalente à celle de l’EIRL (statuts contre déclaration, gestion sociale contre bilan).

En revanche, la simplicité juridique plaide en faveur de l’EURL mais la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a, et l’EURL reste une société. En revanche, dans l’EIRL l’entrepreneur reste propriétaire de son patrimoine qu’il peut affecter à son gré, à son exercice professionnel ou à son patrimoine personnel, alors qu’en créant une société, il l’aliène et il n’en est plus le maître. Cette « souplesse patrimoniale » n’a pas d’équivalent en EURL puisque les conséquences peuvent en être sévères, tout abus étant sanctionné pénalement (article L 241 à L 241-9 du Code du Commerce). Cette liberté d’affectation des biens, même immobiliers, peut se faire sans payer de droit de mutation puisque le propriétaire ne change pas (à l’occasion d’un acte notarié est perçu seulement un droit fixe – article L 526-8 alinéa 2). Le patrimoine est donc à géométrie variable et ne supporte pas de véritable contrainte, à l’exception de celle du dépôt d’une déclaration complémentaire simplifiée (article L 526-10 alinéa 2 pour les biens communs, article L 526-8 alinéa 3 pour les immeubles mais rien pour les meubles).

A l’inverse, la « désaffectation » des biens du patrimoine professionnel vers le patrimoine personnel peut sembler plus délicate, mais le texte (article L 626-11) ne prévoit de sanction qu’en cas de fraude et infraction aux règles de la séparation des patrimoines (comptabilité autonome, ouverture d’un compte bancaire séparé, dépôt des comptes au greffe). Toutefois, si le patrimoine professionnel, dont l’entrepreneur est responsable de l’évaluation, est suffisant pour répondre des dettes de même nature, on ne voit pas quelle conséquence un transfert même irrégulier pourrait avoir puisqu’il n’y a pas d’intérêt social.
En résumé, c’est cette extrême « plasticité » des patrimoines séparés qui constitue l’avantage majeur de l’EIRL sur l’EURL, puisque sur le plan fiscal il y a égalité, l’entrepreneur pouvant opter pour le régime de l’IS.

Cet outil « d’optimisation patrimoniale » peut donc avoir un avenir prometteur.

13- Toutefois, toutes les questions posées par la création de l’EIRL sont loin ici d’être épuisées car la prudence commande d’attendre de connaître le texte définitif et les textes subséquents pour pouvoir les aborder. Mais, en attendant, on peut déjà faire tourner les tables et poser la question rituelle : « patrimoine es-tu là ? »







Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

NEVEU Pascal
Avocat Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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