Entreprise de travail temporaire et contrat de mission

Publié le : 18/03/2008 18 mars mars 03 2008

Le droit du travail temporaire, rencontre des difficultés à s'affirmer juridiquement et à s'affranchir des problématiques purement politiques ou de convictions plus ou moins hostiles à l'intérim en lui-même, qu'il soit conforme à la Loi ou pas (1).

L'impossible requalification ?C'est pourtant une évolution remarquable qui se dégage de la Jurisprudence, dans le sens d'une plus grande précision.

A cet égard, la question de la requalification de la mission de travail temporaire à l'égard de l'entreprise de travail temporaire illustre particulièrement ce mouvement.

En effet, après une évolution marquée par le passage d'un régime d'assimilation "entreprise temporaire - entreprise utilisatrice", à un régime de distinction cependant toujours permissif quant à la requalification à l'égard de la société de travail temporaire (I), on ne peut que s'interroger sur le fondement juridique de l'action en requalification à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire (II) avant de constater les signes forts posés par deux Arrêts récents de la Cour de Cassation dans le sens d'une impossibilité (III) (2).


(1) voir par exemple :"les précarités, les percevoir pour mieux les combattre" ; Dossier de la CGT février 2002
(2) Cass. Ch. Soc. 13/12/2006 n° 05-44.956 ; Cass. Soc. 11/07/2007 n° 06-41.732


I- LES GRANDES LIGNES DE L'EVOLUTION DU DROIT DE LA REQUALIFICATION A L'EGARD DE L'ENTREPRISE DE TRAVAIL TEMPORAIRE :

Le droit du travail temporaire est un droit original qui met en présence trois parties et deux contrats (1).

En ce qui concerne les parties, il s'agit de :

- l'entreprise de travail temporaire ;
- le salarié intérimaire ;
- l'entreprise dite "utilisatrice".

En ce qui concerne les deux contrats, il s'agit :

- du contrat de mise à disposition, contrat commercial qui lie la société de travail temporaire à la société utilisatrice (article L.124-3 du Code du Travail) ;
- du contrat de mission, qui lui succède et qui lie l'entreprise de travail temporaire au salarié intérimaire (article L.124-4 du Code du Travail).

Du fait de la multiplication des actions en requalification du "contrat de travail temporaire" en contrat à durée indéterminée, dans le cadre général de la lutte contre "les précarités", la Jurisprudence a rapidement admis nonobstant la lettre des articles L.124-7 et L.124-7-1 du Code du Travail que l'action en requalification pouvait s'étendre indifféremment voire même concomitamment tant à l'égard de l'entreprise utilisatrice qu'à l'égard de l'entreprise de travail temporaire (2).

Aux termes de cette Jurisprudence, les dispositions de l'article L.124-7 du Code du Travail n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire en requalification en contrat de droit commun lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.

La conséquence de la requalification aboutit, dès lors que le contrat de mission est la plupart du temps arrivé à terme le jour où les juridictions ont à connaître de l'action en requalification, à la condamnation non seulement au titre de l'indemnité de requalification prévue par le Code du Travail, mais également au titre des indemnités de rupture, la fin de la période de mission étant qualifiée de rupture sans cause réelle et sérieuse.

Après une période durant laquelle un certain flou régnait, en ce qui concerne l'imputation des indemnités de requalification et les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour de Cassation amorçait en 2005 une distinction entre la société de travail temporaire et la société utilisatrice, tout en maintenant la faisabilité d'une requalification en contrat de droit commun à l'égard de la société de travail temporaire.

En premier lieu, le principe d'une absence de condamnation solidaire possible entre la société de travail temporaire et la société utilisatrice a été posé, parfaitement légitimement d'ailleurs, la solidarité ne pouvant se présumer en aucun cas à défaut d'un texte (art. 1202 du Code Civil).

(1) Circulaire DRT 18/90 du 30/10/1990
(2) Cass. Soc. 19/04/2000 n° 97-45.508 P+B ; Liaisons Sociales : Hors série Mars 2007 Mémo social n°1858


A l'occasion d'un premier Arrêt (1), la Cour de Cassation a précisé qu'il convient pour la société de travail temporaire d'assumer ses responsabilités au regard de l'article L.124-4 du Code du Travail, c'est-à-dire essentiellement de répondre aux exigences de forme liées à la sécurité du contrat et à la nécessité d'un écrit, alors qu'il appartient à l'utilisateur d'assumer sa responsabilité au regard de l'article L.124-3 du Code du Travail, c'est-à-dire en ce qui concerne les obligations de fond (déclaration du salaire de référence, motif de recours, etc... ).

Par la suite, se fondant par là même sur une lecture stricte de l'article L.124-7-1 du Code du Travail qui prévoit dans l'hypothèse d'une requalification une indemnité dite "de requalification" à la charge de l'entreprise utilisatrice, il a été précisé que ladite indemnité ne pouvait pas être supportée par la société de travail temporaire à défaut d'un texte l'autorisant (2).

Pour autant, l'action en requalification contre l'entreprise de travail temporaire était toujours parfaitement admise (3).


II- LES INTERROGATIONS NE MANQUENT PAS QUANT AU FONDEMENT JURIDIQUE D'UNE REQUALIFICATION A L'EGARD DE LA SOCIETE DE TRAVAIL TEMPORAIRE :

Il apparaît que la requalification d'un contrat en un autre et singulièrement du contrat de mission en contrat à durée indéterminée de droit commun ne peut résulter que de deux situations :

- soit, elle est prévue par la Loi à titre notamment de sanction,
- soit, elle n'est prévue par la Loi, et dans le cadre du pouvoir général qui appartient au Juge à qui il incombe de restituer aux faits leur exacte qualification notamment en matière de nature de contrat, la requalification résulte de cette qualification exacte des faits (4).

En ce qui concerne la première hypothèse, la Loi ne permet en aucun cas la requalification à l'égard de la société de travail temporaire puisqu'au contraire les dispositions des articles L.124-7 et L.124-7-1 du Code du Travail ne prévoient sans aucun doute possible la requalification qu'à l'égard de la société utilisatrice à titre de sanction.

L'article L.124-7 dispose en effet une requalification éventuelle exclusivement à l'encontre de l'utilisateur ("...ce salarié réputé lié à l'utilisateur par un contrat de travail à durée indéterminée..."), et l'article L.124-7-1 du Code du Travail prévoit également une indemnité spéciale d'un mois en cas de requalification exclusivement supportée par l'utilisateur ("...à la charge de l'utilisateur une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire...").


(1) Cass. Soc. 13/04/2005 n° 03-41.967 P+B+R+I ; Sem. Soc. LAMY 9/05/2005 n° 1214 p. 11 ; RJS 6/05 n° 688 p. 488
(2 et 3) Cass. Soc. 1/12/2005 n° 04-41.005 RS+P+B
(4) "Le Juge doit alors rétablir la véritable qualification du contrat qui est d'ordre public et ne peut dépendre de la seule volonté des parties, conformément aux dispositions de l'arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation du 04 mars 1983" (VERDIER - COEURET - SOURIAC : Droit du Travail - Mémento Dalloz - 11ème édition - page 278).


En ce qui concerne la deuxième hypothèse de requalification, il paraît peu probable dans les faits sauf situation extraordinaire, que le contrat de mission puisse faire l'objet d'une requalification de fait à l'égard de la société de travail temporaire.

En effet, dans le cadre de la décomposition des droits et obligations respectifs liés à la relation tripartite de travail temporaire, il n'est pas sérieusement contestable que le salarié intérimaire travaille sous la direction et le contrôle de l'entreprise utilisatrice (L.124-4-6 notamment du Code du Travail) excluant tout lien de subordination avec la société de travail temporaire, ledit lien de subordination étant tout de même le critère premier de la définition du contrat de travail de droit commun au sens propre du terme.

En effet, il ne paraît pas possible de requalifier une mission de travail temporaire obéissant aux dispositions spécifiques de l'article L.124-4 du Code du Travail dans les rapports entre le salarié intérimaire et la société de travail temporaire en contrat de travail pur et simple au sens du droit commun, à défaut notamment du lien de subordination.

Egalement, il apparaît que le contrat de mission ainsi éventuellement requalifié à l'égard de la société de travail temporaire aboutit à un acte étranger à l'objet social de la société de travail temporaire puisque tous les métiers possibles sont susceptibles d'être l'objet de l'un de ces contrats éventuellement requalifiés, alors que le seul objet social d'une société de travail temporaire est lié aux métiers de l'intérim (1).

C'est ainsi qu'à défaut de texte, et à défaut d'une situation de fait permettant réellement la requalification du contrat de mission en un contrat de travail de droit commun à durée indéterminée à l'égard de la société de travail temporaire, une telle requalification paraît impossible à fonder juridiquement ce que les arrêts précités ne cautionnent pas d'ailleurs.


III- SUR LA NATURE REELLE DE LA RESPONSABILITE DE LA SOCIETE DE TRAVAIL TEMPORAIRE :

Il apparaît exclu compte-tenu des obligations qui pèsent sur la société de travail temporaire au sens du Code du Travail, dans un domaine particulièrement réglementé, de ne pas retenir le principe selon lequel la société de travail temporaire doit rendre compte de sa responsabilité à l'égard du salarié intérimaire en cas de manquement.

Il doit être relevé ici que l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice pourront exercer l'une à l'encontre de l'autre telle ou telle action en garantie ou en responsabilité mais devant les Juridictions compétentes qui ne sont pas celles du travail compte-tenu de la nature commerciale ou civile du contrat de mise à disposition.

Dans les rapports entre la société de travail temporaire et le salarié intérimaire, la Cour de Cassation dans deux Arrêts récents semble poser les premiers jalons d'une responsabilité contractuelle voire même quasi-délictuelle de la société de travail temporaire à raison de ses obligations prévues par le Code du Travail, distinctes de celles de l'entreprise utilisatrice ainsi que la distinction en a déjà été faite depuis 2005, mais ayant pour conséquence uniquement l'allocation de dommages et intérêts proportionnels au préjudice subi, à l'exclusion de toute requalification avec ses conséquences quasi-automatiques, ce qui constitue l'enjeu de la question.


(1) CHAPUT Yves : objet social ; Répertoire Sociétés ; DALLOZ, ed avril 2005


Dans un premier Arrêt du 13 décembre 2006 , la Cour de Cassation pose la règle selon laquelle "si les dispositions de l'article L.124-7 du Code du Travail qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L.124-2 à L.124-2-4 du même Code n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées ; qu'il en est ainsi lorsqu'un contrat de mission n'a été établi par écrit, ce manquement de l'entreprise de travail temporaire causant nécessairement au salarié intérimaire un préjudice qui doit être réparé". (1)

Par là même, la Cour de Cassation ne retient pas à l'encontre de la société de travail temporaire au titre de la sanction une requalification en contrat de droit commun contrairement à la Jurisprudence du 19 avril 2000 précitée mais une indemnisation du préjudice qui a nécessairement été causé au salarié intérimaire.

Il appartiendrait dès lors au salarié intérimaire d'apporter la démonstration du quantum de son préjudice.

Cette ultime précision dans la distinction des recours initiée le 13 avril 2005 (2) par la Cour de Cassation Cassation que l'on a pu déceler dans l'Arrêt sus-évoqué est manifestement confirmée dans un Arrêt plus récent (3) dans le cadre duquel la Cour de Cassation retient la possibilité d'une condamnation in solidum de l'entreprise de travail temporaire avec l'entreprise utilisatrice dans l'hypothèse d'une entente illicite démontrée.

A titre d'infléchissement sensible par rapport à la Juridisprudence du 19 avril 2000, la Cour de Cassation retient dans ce denier arrêt du 11 juillet 2007 que les dispositions de l'article L.124-7 du Code du Travail qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L.124-2 à L.124-2-4 du même Code n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire pour obtenir sa condamnation in solidum avec l'entreprise utilisatrice, lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.

Que dans les cas d'espèce la Cour de Cassation retenait que la Cour d'Appel avait mis en évidence une entente illicite entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice qui fonde la condamnation de la société de travail temporaire in solidum.

A contrario, en retenant la condamnation in solidum et non pas solidaire conformément à la distinction classique, la Cour de Cassation retient que l'action à l'égard de l'entreprise utilisatrice et l'action à l'égard de la société de travail temporaire ont des fondements juridiques distincts même si sur certaines des conséquences, en l'occurrence les dommages et intérêts, les deux sociétés peuvent se rejoindre dans une condamnation in solidum.

(1) Cass. Soc. 13 décembre 2006 n° 05-44.956 FS-P ; Liaisons Sociales Jurisprudence théma n° 28/2007 p. 11
(2) op cit
(3) Cas. Soc. 11/07/2007 n° 06-41.732 D


Pour autant, la requalification ne pourra pas toucher l'entreprise de travail temporaire.

En effet, l'action à l'égard de l'entreprise utilisatrice obéit bien aux dispositions des articles L.124-7 et suivants du Code du Travail qui impliquent en cas de condamnation la requalification avec ses conséquences quasi-automatiques, alors que la Cour de Cassation dans le cas d'espèce susvisé précise que la responsabilité éventuelle de l'entreprise de travail temporaire est une responsabilité d'ordre quasi-délictuel puisque c'est l'entente illicite ayant fait l'objet d'une preuve à la charge du salarié intérimaire qui est retenue à l'égard de l'entreprise de travail temporaire avec pour sanction des dommages et intérêts le cas échéant in solidum avec l'entreprise utilisatrice.


Ainsi, au regard de l'artl'entreprise de travail temporaire doit rendre compte d'une responsabilité contractuelle vis-à-vis du salarié intérimaireicle L.124-4 du Code du Travail et même d'une responsabilité quasi délictuelle potentielle à son égard au titre d'une entente illicite éventuelle avec l'entreprise utilisatrice responsable au regard de l'article L.124-3 du Code du Travail, toutes deux sanctionnées par des dommages et intérêts mais pas par la requalification opposable à la seule société utilisatrice compte-tenu de l'article L.124-7 du Code du Travail.

***

Ainsi, on peut retenir qu'à défaut d'un texte, et à défaut d'une situation de fait de contrat de travail de droit commun possible entre l'entreprise de travail temporaire et le salarié intérimaire, aucune requalification ne devrait pouvoir intervenir à l'encontre de la société de travail temporaire avec ses condamnations automatiques plus ou moins solidaires avec l'entreprise utilisatrice.

Il n'en reste pas moins que la société de travail temporaire reste responsable de ses propres obligations à l'égard du salarié intérimaire, à charge pour elle d'en assumer les conséquences préjudiciables à l'égard du salarié intérimaire sous forme de dommages et intérêts proportionnels au préjudice subi et dont la charge de la preuve repose sur le salarié.

Liens
- Règles concernant le travail temporaire

- Contrat à durée indéterminée (CDI)

- Contrat à durée déterminée (CDD) Cet article n'engage que son auteur.

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