Coronavirus et interruption chantiers

Covid-19 : comment cela se passe pour l'interruption des chantiers du fait du risque épidémique ?

Publié le : 06/04/2020 06 avril avr. 04 2020

Alors que le gouvernement et les professionnels du bâtiment et travaux publics, représentés par les fédérations du bâtiment, des travaux publics et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, déclaraient le 21 mars 2020 qu’un terrain d’entente avait été trouvé pour maintenir l’activité de la plupart des chantiers en cours malgré l’épidémie Covid-19, le plan de prévention diffusé par l’OPPBTP (Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux publics), contenant les préconisations qui ont été en définitive retenues pour assurer la sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction, interpelle très clairement.
 
La plupart des professionnels du bâtiment, et notamment les architectes qui n’ont pas manqué de le faire savoir dans la presse (Entretien avec Denis DESSUS, président du Conseil national de l’ordre des architectes, Le Monde, jeudi 26 mars 2020, « Non à une reprise à risque des chantiers »), s’accordent pour considérer que les directives de sécurité sanitaire sur les chantiers sont intenables pour la plupart d’entre eux.
 
Indépendamment des problèmes d’approvisionnement, les difficultés qui découlent de la nécessité de respecter toutes les prescriptions édictées par le plan de continuité de l’OPPBTP, censé assurer des conditions de travail acceptables malgré la pandémie, ne peuvent que conduire bon nombre de maîtres d’ouvrage, de maîtres d’œuvre et d’entreprises, à s’interroger sur l’opportunité d’interrompre les chantiers en cours.
 
Or, si des dispositions spécifiques ont été prises par le gouvernement concernant les marchés de travaux publics, par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, dans le cadre de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, il n’en est rien s’agissant des marchés privés, ce qui nécessairement doit conduire les différents acteurs à s’interroger sur les modalités d’interruption des chantiers en cours et leurs conséquences, au regard des circonstances.
 

I -  Rappel des aménagements spécifiques consacrés par le gouvernement en cas d'interuption des marchés de travaux publics :

Dès le 18 février 2020, lors d’une allocution à l’attention des partenaires sociaux, monsieur Bruno LEMAIRE, Ministre de l’Economie et des Finances, avait très clairement indiqué que l’Etat considérerait le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises, de sorte qu’il ne leur serait pas réclamé de pénalités en cas de retard de livraison.
 
L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, a autorisé le gouvernement à adapter par ordonnance les règles prévues par le Code de la commande publique, ainsi que les stipulations des contrats publics, de passation et de délais de paiement, d’exécution et de résiliation des marchés publics, et notamment celles relatives aux pénalités contractuelles.
 
C’est dans ce contexte que le gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique, et des contrats publics qui n’en relèvent pas, pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19.
 
L’Etat a ainsi reconnu la crise sanitaire Covid-19 comme étant un « cas de force majeure » pour l’ensemble des marchés de travaux publics, protégeant ainsi les entreprises contre le risque de se voir infliger des pénalités contractuelles de retard ou de voir résilié leur marché en cas de retard d’exécution.
 
Il sera à cet égard rappelé que la jurisprudence administrative considère classiquement que la force majeure implique la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir que (Conseil d’Etat, 15 novembre 2017, n° 403367) :
 
  • Le titulaire du marché public doit être confronté à une difficulté matérielle imprévisible.
 
  • La difficulté matérielle ne doit pas être imputable à l’entreprise.
 
  • La difficulté matérielle doit être d’une ampleur et d’une nature telle qu’elle rende l’exécution des obligations contractuelles impossible provisoirement ou définitivement.
 
Le titulaire peut alors s’exonérer de toute responsabilité, échapper à toute pénalité contractuelle, ou encore contester une éventuelle demande de résiliation de son marché pour inexécution.
 
Par ailleurs et sous réserve qu’il soit fait référence dans le marché au CCAG Travaux, l’article 19.2.2 relatif aux délais contractuels peut toujours être opposé au maître d’ouvrage public, en ce qu’il dispose que :
 
« Une prolongation du délai de réalisation de l’ensemble des travaux ou d’une ou plusieurs tranches de travaux ou le report du début des travaux peut être justifié par (…) une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; un ajournement de travaux décidé par le représentant du pouvoir adjudicateur ; un retard dans l’exécution d’opérations préliminaires qui sont à la charge du maître d’ouvrage ou de travaux préalables qui font l’objet d’un autre marché. »
 
Dans tous les cas en définitive, il incombe à l’entreprise défaillante de justifier d’une difficulté matérielle imprévue lors de la conclusion du marché de travaux et d’une ampleur telle qu’elle rend l’exécution contractuelle impossible.
 
La démonstration par le titulaire de ces difficultés matérielles ne va pas nécessairement de soi, puisqu’elle implique que soit rapportée la preuve d’une impossibilité effective et objective d’assurer le respect des préconisations de sécurité sanitaire sur le chantier.
 
Sur ce, l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 règle la difficulté, en disposant en son article 4 que les clauses pénales, les clauses résolutoires, ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas produit d’effet, si ce délai a expiré pendant la période d’état d’urgence sanitaire.
 
La prise de décision de suspension du chantier par le maître d’ouvrage public, en concertation avec les entreprises et la maîtrise d’œuvre, du fait des contraintes découlant de la pandémie, s’en trouve donc facilitée.
 
Pour sa part, l’entreprise titulaire ne peut toutefois pas solliciter l’indemnisation d’un éventuel préjudice découlant du différé d’exécution de ses travaux, du fait de la suspension du chantier, dès lors que l’article 18-3 du CCAG Travaux, si tant est qu’il soit visé au marché, ne concerne que l’indemnisation des pertes, avaries ou dommages provoqués par un phénomène naturel ou un cas de force majeure sur le chantier.
 
S’il advenait que le maître de l’ouvrage public entend poursuivre le chantier, ce qui est peu probable compte tenu des circonstances, en considérant qu’il lui est possible de s’assurer du respect des préconisations de sécurité sanitaire, l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 prévoit un certain nombre de mesures destinées à sécuriser les titulaires de marchés de travaux publics, de sorte que :
 
  • A la demande du titulaire du marché de travaux, le délai contractuel d’exécution peut être reporté pour une durée équivalente à la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de deux mois, si le respect du délai contractuellement prévu s’avère impossible, ou de nature à entraîner une charge manifestement excessive pour le titulaire du marché.
 
  • En cas d’impossibilité pour le titulaire d’exécuter le marché de travaux, ou dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives du fait de l’importance de la charge en découlant pour lui, le maître d’ouvrage public peut librement conclure à ses frais un nouveau marché de travaux avec un tiers, garantissant le respect du délai initialement prévu, sans qu’il puisse être infligé de pénalités ou engagé d’action en responsabilité du titulaire.  
 
  • Le titulaire du marché de travaux public, dont les modifications nécessaires à la poursuite de son exécution entraineraient des charges manifestement excessives au regard de sa situation financière, peut solliciter une indemnisation.
 
Cette dernière disposition renvoie à la théorie de l’imprévision de l’article 6-3 du Code de la commande publique, dont il résulte que : « Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité. »
 
Le fait est que les dispositions prises à l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 ne peuvent être de nature à inciter les titulaires de marchés de travaux publics à trouver des mesures d’adaptation sur les chantiers en cours, afin de satisfaire aux exigences de sécurité sanitaire et donc poursuivre leur exécution, alors que bon nombre de maîtres d’ouvrage publics, et tout particulièrement les collectivités territoriales, n’ont pas tardé à se manifester pour ordonner la suspension des chantiers, compte tenu notamment des risques de mise en cause de leur responsabilité en cas de non-respect des prescriptions sanitaires.
 
Le régime de protection qui a été adopté en cas de suspension des chantiers publics du fait de la pandémie est bien loin de prévaloir pour les marchés de travaux privés, alors que concomitamment le gouvernement insistait auprès des organisations professionnelles du BTP sur la nécessité de maintenir l’activité dans le secteur de la construction, conduisant à l’adoption d’un plan de continuité des activités édité par l’OPPBTP, dont les modalités de mise en œuvre laissent dubitatif ... 
 

II - L’interruption des marchés de travaux privés du fait du risque épidémique covid-19 :

L’arrêté du 14 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, complété par l’arrêté du 15 mars 2020, pas plus que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, ne sauraient constituer en soit des circonstances suffisantes pour justifier l’interruption d’un chantier en cours à l’initiative des entreprises.
 
La diffusion d’un nouveau virus dont le caractère pathogène et contagieux est avéré, justifiant d’ailleurs que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaisse dès le 30 janvier 2020 une situation d’urgence de santé publique de portée internationale, ne suffit pas plus à caractériser l’existence d’un cas de force majeure, de nature à justifier sans faute une inexécution contractuelle.
 
Ni le virus, ni les mesures de confinement qui ont été prodiguées, avec les contraintes importantes qui en découlent, ne constituent en soit des circonstances caractérisant l’existence d’un cas de force majeure.
 
Il est au-demeurant de jurisprudence constante que la seule existence d’une épidémie ne suffit pas à caractériser un cas de force majeure, même s’il est tout à fait certain que les contraintes qui découlent de l’obligation de confinement (distanciation sociale et respect des gestes barrières notamment), ainsi que des restrictions de déplacement (article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020), rendent beaucoup plus difficile l’exécution des marchés de travaux.
 
Au-demeurant, malgré les différentes mesures gouvernementales qui ont été prises afin de lutter contre la pandémie, les entreprises du BTP n’ont eu de cesse d’être invitées par le Ministre de l’Economie et des Finances à poursuivre les chantiers en cours, afin de soutenir l’activité économique du pays.
 
Il est donc tout à fait clair que le risque épidémique ne constitue pas à lui seul un cas de force majeure de nature à justifier l’interruption d’un chantier en cours.
 
Les principes juridiques applicables à la notion de force majeure sont parfaitement connus et découlent de la combinaison des articles 1231-1 et 1218 du Code civil.
 
L’article 1231-1 du Code civil dispose que :
 
« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’inexécution a été empêchée par la force majeure. »
 
L’article 1218 du Code civil dispose pour sa part que :
 
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
 
« Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
 
Par un arrêt de principe en date du 14 avril 2006, l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass, ass. plén, 14 avril 2006, n° 02-11168) a précisé les conditions cumulatives de la force majeure, permettant au débiteur de s’exonérer sans faute de son obligation contractuelle :
 
  • Un évènement qui échappé au contrôle du débiteur.
 
  • Un évènement qui ne peut pas être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat.
 
  • Un évènement dont les effets ne peuvent pas être évités par des mesures appropriées.
 
  • Un évènement qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.  
 
Bien entendu, ces dispositions n’étant pas d’ordre public, la notion de force majeure, permettant au débiteur de s’exonérer sans faute de ses obligations contractuelles, peuvent parfaitement être aménagées dans le cadre du marché de travaux, notamment par référence aux normes AFNOR NF P 03.001 (article 10.3.1.2) et NF P 03.002 (article 10.5.1.2), prévoyant les modalités de prolongation du délai d’exécution du marché.
 
Si les caractères d’extériorité et d’imprévisibilité ne posent pas à priori de difficulté en l’espèce, compte tenu de la nouveauté du virus, sous réserve toutefois que les marchés de travaux aient été régularisés avant le 30 janvier 2020 et à tout le moins avant le 12 mars 2020, l’étude de la jurisprudence sur la relation entre pandémie et force majeure apporte des informations utiles sur la notion d’irrésistibilité, qui ne procède pas du virus lui-même, mais de ses conséquences.
 
L’analyse de la jurisprudence sur le risque épidémique, abondamment citée dans de nombreux articles publiés, mais non relative à des interruptions de chantier, indique que c’est pour l’essentiel l’irrésistibilité qui doit être établie par le titulaire, c’est-à-dire l’impossibilité de prévenir le dommage que constituerait en l’espèce l’interruption du chantier :
 
  • Cour d’appel de Basse-Terre, 1ère ch. civ, 17 décembre 2018, n° 17-00739 (au sujet de l’épidémie de Chikungunya) :
 
« En dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue, etc…) et de sa prévalence dans l’arc antillais et singulièrement sur l’ile de Saint Barthélémy courant 2013-2014, cet évènement ne comporte pas les caractères de la force majeure au sens des dispositions de l’article 1148 du Code civil. En effet, cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n’ayant pas fait état d’une fragilité médicale particulière) et que l’hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période. »
 
Sur ce, l’interruption d’un chantier en cours n’apparait pouvoir se justifier que s’il n’est pas objectivement possible de garantir le strict respect des préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de construction contenues dans le plan de continuité édité par l’OPPBTP, qui constitue le document de référence.
 
Seule l’impossibilité matérielle de garantir le respect de ces prescriptions est de nature à caractériser l’existence d’un cas de force majeure, puisqu’étant alors établi que l’interruption du chantier, découlant d’un évènement extérieur et imprévisible, ne pouvait pas être évitée par la prise de mesures appropriées nécessaires à l’exécution de l’obligation contractuelle.
 
Il s’agit donc d’une appréciation in concreto, en considération de la nature de chaque chantier, de son état d’avancement et des entreprises qui sont amenées à intervenir.
 
En l’état, poursuivre l’activité du chantier sans s’assurer du strict respect des règles sanitaires qui sont prescrites constitue une infraction, de nature à engager la responsabilité pénale du maître d’ouvrage et des commettants, alors qu’il est constant que l’entreprise est tenue d’une obligation de sécurité concernant la santé de ses salariés, en application des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail.
 
L’article L 4121-1 alinéa 2 du code du travail dispose d’ailleurs que l’entreprise se doit d’adapter les mesures habituelles de prévention du risque pour tenir compte du changement des circonstances.
 
Mais interrompre par principe le chantier, au motif que la pandémie et les mesures gouvernementales de confinement caractériseraient un cas de force majeure, constitue une faute, de nature à exposer l’entreprise non seulement à une action en responsabilité, mais également au paiement des pénalités contractuelles de retard.
 
On mesure alors toute l’importance que revêt la maîtrise d’œuvre dans l’accompagnement du maître d’ouvrage pour la prise de décision, au titre de son devoir de conseil et d’information, tout autant qu’à l’égard des différents intervenants sur le chantier, s’agissant d’une mesure qui doit nécessairement être évaluée collectivement. 
      

1- La prise de décision d’interruption du chantier en cours :

Le maître d’ouvrage, qui est le garant de la sécurité du chantier, est seul habilité à régulariser un ordre de service d’interruption des travaux.
 
S’agissant des marchés de travaux publics, les conditions de forme posées par l’article 49.2 du CCAG doivent être impérativement respectées en cas d’interruption du chantier, puisqu’à défaut de notification de la décision d’ajournement, ou en dehors des cas précisément définis à l’article 15.4 du CCAG, le titulaire s’expose à la constatation d’un abandon de chantier, avec mise en œuvre des mesures coercitives prévues à l’article 48.
 
S’agissant des marchés de travaux privés, le principe est strictement identique, puisque c’est au maître d’ouvrage et à lui seul de prendre la décision d’interrompre un chantier en cours et de la notifier par un ordre de service.
 
Sur ce, il est de la responsabilité du maître d’ouvrage de régulariser un ordre de service d’interruption du chantier, dès lors qu’il est constaté que le plan de continuité des activités n’est pas susceptible d’être respecté, compte tenu notamment de la nature des travaux à réaliser et de la multiplicité des entreprises intervenantes en co-activité.
 
Au nombre des obligations essentielles figurant dans le plan de prévention de l’OPPBTP, figurent le strict respect des gestes barrières, impliquant la fourniture d’éléments de protection individuels aux salariés, le respect d’une distance minimum d’un mètre entre chaque salarié, la mise à disposition de moyens de nettoyage et de désinfection, la mise en place de cantonnements de chantier, avec sanitaires et réfectoires adaptés, ainsi que l’interdiction de toute co-activité et la vérification de l’état de santé des intervenantes sur le chantier.
 
Dès lors que la simple constatation, par le maître d’ouvrage, d’une cessation d’activité n’est pas de nature à caractériser une suspension du chantier du fait du risque épidémique Covid-19, il est absolument indispensable qu’un document valant ordre de service soit établi, afin d’éviter une situation de fait propre à laisser les intervenants dans la plus parfaite insécurité juridique.
 
De surcroît, l’ordre de service a vocation à préciser la nature des mesures qui auront été prises pour sécuriser le chantier, alors que si les entreprises demeurent gardiennes de leurs ouvrages jusqu’au prononcé de la réception, le maître d’ouvrage demeure pour sa part gardien des existants.
 
Egalement, l’ordre de service d’interruption du chantier doit-il prévoir les modalités de sa reprise, qui devra elle-même donner lieu à la régularisation d’un nouvel ordre de service.
 
Rester sur une situation de fait apparait être la pire des choses pour tous.
 
Dans sa prise de décision, le maître d’ouvrage pourra en tout premier lieu s’appuyer sur le maître d’œuvre, à qui il incombe de solliciter la remise d’un avenant au contrat du CSPS, lorsque son concours est rendu obligatoire par les dispositions de l’article L 4532-1 du Code du travail.
 
Le CSPS devra alors, dans le cadre de sa mission étendue, définir les conditions selon lesquelles le plan de continuité des activités pourra être respecté sur le chantier, afin de garantir la parfaite mise en œuvre des préconisations de sécurité sanitaire.
 
Si cela lui apparait possible, il lui appartiendra de solliciter les entreprises, afin qu’elles mettent à jour le PPSPS, dont il incombe au CSPS d’assurer la coordination et la mise en œuvre.
 
Faute de remise de ces éléments par le maître d’ouvrage, il incombe alors au maître d’œuvre de lui demander, éventuellement par une mise en demeure, de régulariser un ordre de service d’interruption des travaux.
 
En l’absence de CSPS, c’est au maître d’œuvre et aux entreprises qu’il appartient d’apprécier les conditions selon lesquelles les préconisations de sécurité sanitaire de l’OPPBTP sont susceptibles d’être garanties, avec une reprise des travaux dans un mode nécessairement dégradé.
 
Selon un évident principe de bonne foi contractuelle, il appartient à chaque entreprise de collaborer loyalement avec le maître d’œuvre et le CSPS, puisque le défaut de réponse ou de prise de position constitue une faute.
 
Dès lors qu’il advient que le strict respect des préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de construction ne peut pas être garanti sur le chantier, le maître d’œuvre se doit de demander au maître de l’ouvrage de notifier sans délai un ordre de service d’interruption, à l’attention des différents intervenants.
 
L’impossibilité d’éviter l’arrêt du chantier par des mesures appropriées, ce que le CSPS et le maître d’œuvre seront à même de confirmer, constitue l’élément d’irrésistibilité propre à caractériser l’existence d’un cas de force majeure, au regard des dispositions de l’article 1218 du Code civil.
 
Sur ce, l’entreprise ne peut voir son marché résilié, dès lors que l’empêchement n’étant que temporaire, l’exécution de ses obligations contractuelles se trouve suspendue, sauf au maître d’ouvrage de justifier qu’il en résulterait un retard préjudiciable à la poursuite des travaux, en cas de non interruption du chantier.
 
En tout état de cause, du fait de l’existence d’un cas de force majeure, l’entreprise ne saurait être exposée au risque de paiement des pénalités contractuelles de retard.
 
Cette situation s’étend aux constructeurs de maison individuelle, qui sont redevables d’une pénalité minimum de 1/3000ème du prix du marché par jour de retard en cas de non-respect du délai contractuellement fixé aux conditions particulières du contrat, en application des dispositions de l’article L 231-2-i du Code de la construction et de l’habitation.
 
En effet, il est admis que le délai de construction et la date de fin du délai contractuel de construction peuvent être prorogés de la durée des interruptions pour cas de force majeure ou cas fortuits notamment.
 
Il est toutefois nécessaire que le constructeur notifie au maître d’ouvrage un ordre de service d’interruption des travaux, en justifiant très précisément les raisons pour lesquelles il ne lui aura pas été possible de prendre les mesures appropriées pour assurer le respect des mesures de sécurité sanitaire sur le chantier.
 
Très clairement, il s’agit d’une appréciation au cas par cas, et la notification de courriers circulaires contenant une motivation générale, non individualisée au chantier considéré, pourrait donner lieu à contestation de la part du maître d’ouvrage, tendant à remettre en cause l’existence d’un cas de force majeure, afin de solliciter le paiement des pénalités contractuelles de retard.
 
Quel que soit donc la nature juridique du contrat de construction, il s’impose au constructeur, au maître de l’ouvrage et aux entreprises de justifier précisément, et au cas par cas, des circonstances particulières qui justifient qu’il ne soit pas possible de garantir le respect sur le chantier des préconisations de sécurité sanitaire, ce qui bien évidemment peut être associé à des difficultés établies d’approvisionnement. 
 

2- L’indemnisation des entreprises :

Dès lors que le maître d’ouvrage ne fait que se soumettre au respect des prescriptions légales et règlementaires en notifiant une interruption du chantier, après s’être assuré qu’il ne soit pas possible de garantir le respect des préconisations de sécurité sanitaire, l’entreprise ne saurait prétendre à l’indemnisation d’un éventuel préjudice.
 
Il en irait tout autrement si, le respect du plan de continuation étant possible sur le chantier compte tenu des assurances données par la maîtrise d’œuvre, le CSPS et les entreprises, le maître d’ouvrage persistait dans sa décision d’interrompre le chantier …
 
A défaut, le préjudice éventuel de l’entreprise n’est pas susceptible d’être indemnisé, sauf dispositions contractuelles particulières liées au risque de pandémie dans le marché de travaux, ce qui s’avère des plus improbable, ou plus généralement à l’existence d’une clause de renégociation, dite de hardship, s’il apparait que la poursuite du marché de travaux sera rendue excessivement plus onéreuse du fait notamment des contraintes inhérentes au déconfinement.
 
A cet égard, il sera précisé qu’en situation d’interruption du chantier, les dispositions de l’article 1195 du Code civil, relatives à la notion d’imprévision, n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce, puisque ne concernant que les cas d’exécution plus onéreuse du marché de travaux en mode dégradé.
 
Il s’agit là du pendant de l’article 6-3° du Code de la commande publique, lorsque survient en cours de chantier un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant l’économie du contrat.
 
L’absence de répercussion d’un éventuel enchérissement du coût des travaux à réaliser, du fait du respect des préconisations de sécurité sanitaire, semble également s’imposer au constructeur de maison individuelle.
 
En effet, la révision du prix de la construction, appelé prix convenu, qui est par principe forfaitaire et définitif, est la seule modification du prix autorisée en dehors d'un avenant sollicité par le maître d’ouvrage pour des prestations qui sont librement demandées après la signature du contrat.
 
Or, la révision du prix ne peut intervenir, selon des modalités au-demeurant rappelées dans les conditions générales, qu’en fonction de l’indice BT 01.
 
Il en résulte donc que le constructeur ne saurait solliciter une révision du prix du contrat de construction, du fait d’un enchérissement du coût des travaux consécutif aux contraintes sanitaires ou d’approvisionnement notamment, de la même façon qu’il ne saurait arguer de cette seule circonstance pour y trouver la démonstration de l’existence d’un cas de force majeure.


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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