Procédure civile

Demande en nullité consécutive : Le plaidant aboie, le juge passe

Publié le : 15/02/2023 15 février févr. 02 2023

Après trois articles consacrés aux exceptions de procédure qui ne cessent de nous étonner (à défaut, d’épater), et surtout un dernier article sur les diligences exigées de la part des huissiers dans le cadre de l’article 659 du Code de procédure civile, l’actualité jurisprudentielle offre une très belle démonstration d’une mise en pratique qui devrait en avertir plus d’un.

La deuxième chambre civile en effet rendu une décision le 12 janvier dernier, n° 21-19.102

« 2. La société Eugenandre et son mandataire judiciaire se sont pourvus en cassation contre un arrêt, rendu sur déféré, qui a infirmé l’ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 28 octobre 2020 sauf sur les indemnités de procédure, et statuant à nouveau, a dit que la signification du 2 octobre 2019 est irrégulière mais que faute d’être saisi d’une demande en ce sens, il n’y a lieu à prononcer la nullité et a rejeté en conséquence la demande tendant au prononcé de la caducité de la déclaration d’appel.
3. Cet arrêt n’a pas tranché le principal ni mis fin à l’instance.
4. Il résulte de l’article 902 du code de procédure civile que la caducité de la déclaration d’appel, faute de signification régulière par l’appelant, n’est encourue qu’en cas d’annulation préalable de la signification.
5. Ayant constaté l’absence de demande de nullité de la signification irrégulière
, la cour d’appel a, sans excéder ses pouvoirs, rejeté la demande de caducité de la déclaration d’appel.
6. En conséquence, en l’absence de disposition spéciale de la loi, le pourvoi n’est pas recevable. »

Alors, celle-là… elle est incroyable.

Non seulement on a un avocat qui obtient l’irrégularité de la signification d’une déclaration d’appel, mais on a en plus des magistrats qui se refusent à prononcer la caducité consécutive pour défaut de demande en nullité.

Petit flashback sur l’arrêt de la cour d’appel de Caen du 24 juin 2021, n°20/02143 :

« La signification de l'acte à la SCI en la personne de Me Lize est en conséquence irrégulière

Mais la cour n'est pas saisie, dans le dispositif des conclusions conformément à l'article 954 du code de procédure civile, d'une demande tendant à voir prononcer la nullité de cet acte, qui constitue un préalable nécessaire au constat de la caducité de la déclaration d'appel, et la demande de confirmation de l'ordonnance ne peut en tenir lieu, dès lors que le conseiller de la mise en état n'a pas prononcé la nullité de la signification, mais faisant droit à la demande principale présentée devant lui, a prononcé la caducité de la déclaration d'appel au motif d'une absence de signification.
Dès lors il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de la signification, et par voie de conséquence la caducité de la déclaration d'appel. »

Pour la petite histoire, la signification était irrégulière pour vice de fond.

L’acte a en effet été adressé au mandataire liquidateur alors même que le gérant de la société adverse conservait ses pouvoirs de contrôle, et donc que le mandataire n’avait pas de prérogatives en représentation. 

En plein dans l’article 117.

Et pourtant, pas de caducité de l’appel ? Pourquoi ? Parce que malgré le fait que l’irrégularité ait été dénoncée et que cette sanction ait été réclamée, la défenderesse n’a pas exigé au préalable la nullité de l’acte attaqué.

N’était-ce pas nécessairement induit ? Quel intérêt de soulever une exception de nullité, sinon pour obtenir une nullité ?

Tant la cour d’appel que la Cour de Cassation sont catégoriques : pas de nullité, pas de caducité. 

Normalement, pas ici que l’on devrait interroger l’office du juge ? Qu’il vienne un peu à la rescousse !

L'article 5 du Code de procédure civile fait obligation au juge de se prononcer « sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ». 

Néanmoins, il doit pour se faire justement définir cet objet du litige, jusqu’à restituer aux conclusions des parties leur véritable portée juridique, dès lors qu'il ne modifie pas l'objet de la demande.

C’est ainsi que dans une décision rendue par la première chambre civile en date du 22 avril 1997, n° 95-12.152 :

« Vu l'article 1116 du Code civil, ensemble l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande de M. A... fondée sur l'existence d'un dol, l'arrêt retient que M. A... demande la résolution de la vente, alors que le dol constitue un vice de consentement dont la sanction n'est pas la résolution, mais l'annulation de la vente ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de restituer à la sanction du dol son exacte qualification, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »

On allègue donc un dol et formule une demande de résolution, réinterprétée en annulation. 

Dès lors, dans notre histoire d’exception de nullité et de caducité de l’appel, on aurait peut-être pu avoir une interprétation de la « véritable portée juridique » ?

Oui, mais en même temps, le juge ne peut pas se prononcer à propos de ce qui n'est pas demandé par les parties : ce serait statuer ultra petita.

Ainsi, la deuxième chambre civile dans un arrêt du 28 septembre 2017, n° 15-26.640, a été claire :

« Attendu que pour prononcer l'annulation du jugement du tribunal de commerce, l'arrêt retient qu'à défaut de saisine régulière de ce tribunal, le jugement qui en est résulté ne l'est pas davantage, de sorte que la qualification de cette décision n'est plus le cœur du litige ;

Qu'en statuant ainsi alors qu'elle était uniquement saisie d'une demande tendant à voir constater le caractère non avenu du jugement d'un tribunal de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; »

Une demande visant à voir un jugement « non avenu » ne saurait être requalifiée en demande en annulation de ce dernier.

Tout de même un exercice d’équilibriste : restituer l’entière portée des prétentions soumises, mais ne pas statuer au-delà de ce qui est réclamé.

Dans cet exercice, il convient de rappeler cependant qu’il est interdit au juge de relever d’office un moyen de défense, à l’instar des fins de non-recevoir ou des exceptions de nullité.

Sauf si elles sont d’ordre public.

Comme le défaut de signification au curateur d’une personne sous protection. Ou le défaut d’habilitation du syndic. Ou le défaut de personnalité morale de l’adversaire assigné. 

Mais pas le défaut de pouvoir d’une partie, ainsi que c’était le cas dans les faits qui nous intéressent.

Donc, pas de secours du juge, encore moins aéroporté.

Mettons. Bon, déjà, difficile à croire qu’il s’est trouvé des magistrats pour dénier la possibilité de s’éviter la motivation d’une décision en saisissant la perche de la nullité, mais admettons.

D’abord, que penser de cette absence de sanction à l’endroit d’une partie qui n’a même pas respecté le sacro-saint principe du contradictoire ? 

Et puis, franchement, on en revient à cette histoire d’irrégularité et de caducité. La demande en nullité intermédiaire était-elle équivoque ? N’allait-elle pas de soi ? Quelle autre possibilité avait celui qui se prévalait de tels arguments, fondés qui plus est ?

Du zèle excessif, identique à celui du fameux « Dire et juger ». Rendre irrecevables les prétentions en justice sans même se soucier de savoir si l’emploi de ce terme les amène à l’ambiguïté, c’est dénaturer l’office du juge.

Ici, c’est la même chose en sens inverse. Oui et cent fois oui à la vigilance des parties dans la présentation et la formulation de leurs demandes, mais la procédure est là pour les servir dans un idéal d’accès au juge. Pas l’inverse.

Alors quoi, si l’on s’installe à table devant un bol de soupe, on risquerait d’apporter une fourchette si l’on ne se montrait pas suffisamment méthodique ?

Ou bien dans ce cas, qu’on laisse les convives préparer le repas. Et on y vient en procédure civile, à force d’être bouche-bée par de telles décisions, elles se font les meilleurs arguments des modes alternatives de règlements des conflits.

Non pas pour leur efficacité. Mais parce qu’elles seraient moins pires que les affres d’une procédure qui paraît bien avoir renoncé au sens commun.

Sauf à se heurter à une opiniâtreté qui nous caractérise. La leçon sera retenue, jusqu’au prochain round. Il faudra aboyer mieux, et plus fort. 


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Etienne MOUNIELOU
Avocat Collaborateur
MOUNIELOU
SAINT GAUDENS (31)
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