Acquiescement et procédure civile

L’acquiescement tacite existe-t-il encore ?

Publié le : 20/04/2023 20 avril avr. 04 2023

L’acquiescement en procédure civile revêt une importance majeure. Il s’agit d’un acte unilatéral par lequel une partie consent à adhérer soit à une demande formée par son adversaire, soit à l'ensemble d'un jugement. 
Cet acquiescement aura un double effet. D’abord, il emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action. Puis, il entraîne également l’extinction de l'instance, qui devra être constatée par un jugement. 

L’article 410 du Code de procédure civile dispose en outre que l’acquiescement peut être exprès ou tacite. Dans le premier cas, il résultat d’une intention claire et non équivoque, peu importe sa formalité. Dans le second, il peut être déduit du seul comportement qui ne laisse subsister aucun doute sur l’intention de son auteur. 

Par exemple, dans une décision du 15 novembre 1995 (n° 93-20.093), la Cour avait pu décider :

« Mais attendu que, l'exécution sans réserve d'un jugement non exécutoire vaut acquiescement sans qu'il ait lieu de rechercher si la partie qui a exécuté avait ou non l'intention d'y acquiescer ;
Qu'en exécutant le chef de l'arrêt relatif à la prestation compensatoire, qui n'avait pas à être versée en raison de l'effet suspensif du pourvoi en cassation, M. L. a acquiescé aux chefs de la décision prononçant le divorce des époux et en conséquence son pourvoi n'est pas recevable ; »

C’est sur cet aspect de la procédure civile que la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a rendu une singulière décision le 23 mars derniers (n°21-20.289) :

« Vu les articles 409 et 410 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ces textes que si l’acquiescement peut être exprès ou implicite, il doit toujours être certain. Il doit résulter d’actes ou de faits démontrant avec évidence et sans équivoque l’intention de la partie à laquelle on l’oppose.

8. Pour constater la volonté d’acquiescer manifestée par la société et déclarer l’appel irrecevable, l’arrêt retient que la société a non seulement payé les condamnations exécutoires prononcées à son encontre par le jugement, mais aussi celles, non susceptibles d’exécution provisoire, correspondant aux dépens et à l’indemnité de procédure.
9. En statuant ainsi, alors que la seule exécution de cette décision du premier juge ne pouvait valoir acquiescement, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Cet arrêt présente une solution radicalement différente de celle exposée en 1995, sans cesse rappelée depuis lors.

Pourtant, la cour d’appel de VERSAILLES, dans sa décision du 8 juin 2021 (n°20/01184) avait exposé un raisonnement qui semblait solide :

« La cour retient qu'il résulte de l'interprétation des deux derniers articles en visa, telle qu'issue d'une jurisprudence établie (Civ 2ème , 21/06/89, Bull 1989, II, n° 130 ; 26/11/1990, Bull 1990, II, n° 23 ; 15/04/91, Bull 1991, II, n° 123 ; 1/06/92, Bull 1992, II, n° 156) que le paiement sans réserve des dépens et de l'indemnité de procédure, non susceptibles d'exécution provisoire peut valoir acquiescement au jugement entrepris en ce qu'il démontre de façon non équivoque l'intention d'acquiescer.

En l'espèce, la SAEM Citallios a payé sans réserve le 12 février 2020 non seulement les condamnations exécutoires prononcées à son encontre par le jugement dont elle avait fait appel le 6 février précédent mais aussi celles, non susceptibles d'exécution provisoire, correspondant aux dépens et à l'indemnité de procédure.

Par ailleurs, elle ne fait valoir aucune circonstance ni aucun argumentaire permettant à la cour d'estimer, au vu des circonstances qu'il lui appartient d'apprécier, conformément à l'interprétation établie qui précède, que ce paiement sans réserve n'est pas pour autant sans équivoque.

En cet état, la cour estime que la SAEM Citallios ne disconvient pas avoir manifesté sans équivoque sa volonté d'acquiescer au jugement entrepris et de renoncer à son appel.

L'appel de la SAEM Citallios doit donc être déclaré irrecevable. »

Si l’on cerne bien les termes qui y sont employés, une partie appelante à l’encontre de qui on émettrait une irrecevabilité pour acquiescement s’en échapperait sur la seule base de sa volonté contraire ?

Cela reviendrait tout bonnement à nier le principe même d’un acquiescement tacite. 

Ou alors, si celui-ci survit à cette décision, il faudrait que le tacite soit accompagné d’autres éléments de preuves qu’un simple contexte d’exécution : peut-être, par exemple, l’intermédiaire de professionnels n’ayant pu que renseigner, au titre de leur devoir de conseil, sur le sens même de cette exécution ?

Et encore, dans l’arrêt d’espèce, il y avait bien des avocats de part et d’autre, la procédure dépassant de très loin le montant au-delà duquel la représentation est obligatoire. 

Plus troublant, la Cour d’appel, seule à même de connaître des faits, avait bien reconnu l’absence de tout caractère équivoque établi par l’appelant. 

Bref, le tacite est devenu explicite.

Ce qui revient effectivement à le nier, et à admettre que l’acquiescement ne peut plus être désormais que formel ou informel. 

Prudence à ceux qui espéreront tirer de l’exécution spontanée une cause d’irrecevabilité en appel. Prudence, jusqu’à ce que cette très récente décision trouve du renfort dans les prochains arrêts. 


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Etienne MOUNIELOU
Avocat Collaborateur
MOUNIELOU
SAINT GAUDENS (31)
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