Pratiques anticoncurrentielles

Pratiques anticoncurrentielles dans le domaine du médicament

Publié le : 29/07/2022 29 juillet juil. 07 2022

Cour de cassation, Chambre commerciale, 1er juin 2022, 19-20.999
 

Faits :

Afin d’obtenir une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour un médicament en France, un laboratoire pharmaceutique doit présenter un dossier auprès de l’ANSM[1] présentant notamment différentes données cliniques.

Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique français ou étranger souhaite obtenir une AMM pour un médicament générique, le dossier doit également comporter des études de bioéquivalence avec le princeps.

En l’espèce, le laboratoire Janssen-Cilag commercialise un médicament princeps[2], le Durogesic[3], qui est un antalgique puissant.

En 2008, la société Ratiopharm a présenté une demande d’AMM auprès de l’ANSM (anciennement AFSSAPS[4]) portant sur des médicaments génériques concurrents du Durogesic.

La société Janssen-Cilag, en position dominante sur le marché, souhaitait convaincre l’ANSM de refuser l’octroi au niveau national du statut de générique aux concurrents du Durogesic.

Pour ce faire, Janssen-Cilag, qui avait pourtant connaissance de la réglementation applicable concernant les génériques, a présenté des arguments juridiquement infondés auprès de l’ANSM sur les conditions de fond de délivrance d’une AMM pour des spécialités génériques.

Cette intervention du laboratoire Janssen-Cilag a entraîné un retard dans la délivrance de l’AMM par l’ANSM.

Par ailleurs, l’ANSM ayant tout de même décidé d’octroyer une AMM aux médicaments concurrents du Durogesic, la société Janssen-Cilag a alors dénigré les médicaments génériques concurrents auprès de professionnels de santé, démarche préjudiciable pour la société Ratiopharm.
Un laboratoire pharmaceutique titulaire d’un princeps engage-t-il sa responsabilité parce qu’il diffuse un discours discutable devant l’ANSM chargée de délivrer l’AMM à des médicaments génériques produits par ses concurrents ?

Procédure :

Le 6 mars 2009, la société Ratiopharm a saisi l’Autorité de la concurrence des pratiques mises en œuvre par la société Janssen-Cilag.

Par décision du 20 décembre 2017[5], l’Autorité de la concurrence a alors condamné à 25 millions d’euros la société Janssen-Cilag, ainsi que sa société mère Jonhson & Johnson, pour abus de position dominante[6].

Le 11 juillet 2019, la Cour d’appel de Paris[7] a réformé cette décision de l’Autorité de la concurrence en réduisant le montant de la sanction à 21 millions d’euros.

Les sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson ont alors formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu le 11 juillet 2019 par la Cour d’appel de Paris en soulevant notamment deux moyens :
 
  • L’Autorité de la concurrence n’était pas compétente pour apprécier les arguments juridiques développés devant l’ANSM.
 
  • Le fait de soumettre une argumentation juridique contraire au droit positif existant ou supposé tel à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même les mérites ne relève que de l’exercice normal de la liberté fondamentale d’expression

L’arrêt :

Le 1er juin 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), les autorités de concurrence nationales ne sont pas compétentes pour se livrer à des appréciations scientifiques, notamment concernant la prescription et le conditionnement de médicaments hors AMM[8].  

Toutefois, comme l’avait considéré la Cour d’appel de Paris, cela n’empêche pas l’Autorité de la concurrence « d’établir le cadre juridique dans lequel se sont inscrites les pratiques sanctionnées » et ainsi d’analyser la réglementation juridique afférente au secteur concerné par les pratiques dénoncées, en l’espèce le secteur pharmaceutique.

Par ailleurs, la Cour de cassation a considéré que la liberté d’expression ne pouvait justifier une atteinte à la concurrence.

En effet, il convient de mettre en balance d’une part la position dominante d’une société sur un marché en cause, avec d’autre part le dénigrement de ses concurrents, comportement répréhensible qui ne saurait être couvert par la liberté d’expression.
Afin de préserver la concurrence, cette condamnation des sociétés Janssen-Cilag et Johnson & Johnson ne portait pas une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit de la liberté d’expression.


Cet article n'engage que son auteur.
 
[1] Agence Nationale de Sécurité du Médicament
[2] Princeps : médicament d'origine à partir duquel sont conçus les médicaments génériques
[3] Dispositif transdermique de fentanyl
[4] Agence Française de Sécurité Sanppitaire des Produits de Santé
[5] Décision n°17-D-25
[6] Sur le fondement des articles L.420-2 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) et L.420-2 du Code de commerce.
[7] CA Paris, 11 juillet 2019,, n°18/01945
[8] CJUE, 13 février 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche c/ Commission

Auteur

VUCHER-BONDET Aurélie
Avocate Associée
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
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