Covid-19 : Comment assurer la continuité des soins pendant la fermeture du cabinet médical ?
Publié le :
08/04/2020
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Compte tenu des circonstances actuelles, des cabinets médicaux ont organisé leur fermeture à la patientèle. Même en cette période de crise sanitaire, le praticien doit assurer la continuité de l’ensemble des soins et ne pas focaliser ses messages d’information, sur les seuls potentiels patients atteints du covid-19.
L’article R. 4127-47 du code de la santé publique, dispose que :
« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
Hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.
S'il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins ».
Puis l’article R. 4127-48 du même code, dispose quant à lui que :
« Le médecin ne peut pas abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi ».
Le passage au stade 3, d’une stratégie de prise en charge individuelle vers une logique d’action collective, n’a ni pour objet, ni pour effet d’établir un ordre formel des autorités sanitaires permettant l’abandon des malades, au sens des dispositions précitées.
Ainsi, le praticien demeure sans aucune ambiguïté, soumis aux dispositions de l’article R. 4127-47 précité, relatives à l’obligation déontologique de continuité des soins.
Or, compte tenu des circonstances actuelles, des cabinets médicaux ont organisé leur fermeture à la patientèle.
Comment assurer la continuité des soins en cette période de fermeture exceptionnelle, rendue nécessaire par les circonstances sanitaires actuelles ?
La première des obligations réside dans l’information. Il appartient donc au praticien d’informer les patients sur les modalités de prise en charge, compte tenu de la fermeture du cabinet et donc en l’absence de remplaçant.Cette information sera délivrée par une affiche claire et visible apposée sur la porte du cabinet, ainsi que par l’intermédiaire d’un message téléphonique approprié.
Ces messages devront permettre à tout patient, d’obtenir rapidement les informations utiles, permettant sa prise en charge par des services spécialisés ou par un autre médecin généraliste, en indiquant les coordonnées correspondantes.
Les instances ordinales et les unions régionales des professionnels de santé ont largement communiqué sur ces sujets.
Toutefois, les messages ne doivent pas se borner à s’adresser aux patients qui souhaitaient consulter, car présentant des symptômes du covid-19.
En effet, même en cette période de crise sanitaire, le praticien doit assurer la continuité de l’ensemble des soins et ne pas focaliser ses messages d’information, sur les seuls potentiels patients atteints du covid-19.
Il appartient en effet au praticien d’assurer la continuité des soins notamment de ses patients réguliers, présentant par exemple des maladies chroniques. Il doit donc également prendre les dispositions qui s’imposent auprès de ces patients, pour assurer cette obligation.Il appartient notamment au praticien, de renvoyer certains patients vers d’autres confrères en les informant clairement des situations individuelles rencontrées. La communication auprès des confrères apparaît fondamentale pour les chambres disciplinaires.
Pour exemple, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a considéré dans la décision n° 12614 du 4 juillet 2016, que :
« 3. Considérant, enfin, que la plainte formée contre le Dr M fait grief à ce médecin d’interrompre ses services auprès de ses patients, notamment pour les périodes de congés, sans en informer ses confrères du secteur et sans organiser son remplacement ; que ce grief n’est pas contesté par le Dr M ; qu’un tel comportement qui doit par suite être considéré comme établi constitue un grave manquement au devoir d’assurer la continuité des soins tel qu’il est affirmé par l’article R. 4127-47 du code de la santé publique ».
La chambre disciplinaire nationale confirmait la sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant un mois, prononcée par la chambre disciplinaire de première instance de Languedoc-Roussillon de l’ordre des médecins.
Les chambres disciplinaires évoquent régulièrement dans leurs décisions rendues au visa de l’article R. 4127-47 du code de la santé publique, de « graves manquements ».
Puis la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a considéré dans sa décision n° 13012 du 11 mai 2017, que :
« 2. Considérant qu’à supposer même qu’après retour du courrier adressé à Mme B pour lui transmettre les résultats des analyses médicales en cause, la secrétaire du Dr A ait tenté vainement, lors de la réouverture du cabinet médical, fin août-début septembre 2013, comme le soutient le Dr A en produisant une attestation de cette secrétaire, de prendre contact avec Mme B, ces vaines tentatives, limitées dans le temps, ne peuvent être regardées, loin de là, comme suffisant à établir que le Dr A aurait pris toutes les dispositions nécessaires pour joindre la patiente ; que, certes il n’est pas établi que, comme le retient la chambre disciplinaire de première instance, le numéro de téléphone fixe de Mme C, mère de Mme B, ait été porté sur le dossier médical de celle-ci, avant que Mme C ne vienne retirer ce dossier médical au cabinet du médecin, ou que le recours au médecin-conseil de la sécurité sociale aurait pu lui permettre d’obtenir le numéro de téléphone du médecin traitant ; que, toutefois, en se limitant aux quelques tentatives téléphoniques sus-évoquées, qui ont nécessairement manqué de constance, dès lors qu’il n’est pas contesté que Mme B a conservé sur toute la période le même numéro de téléphone pour lequel elle n’a constaté aucun dysfonctionnement, et en ne prenant même pas le soin de procéder à un second envoi par lettre des analyses en cause, ou encore en ne cherchant pas à vérifier dans son fichier que des patientes au nom de B avaient un lien de parenté avec la patiente recherchée, cas d’une soeur de Mme B, habitant à la même adresse, le Dr A a manifesté une grande légèreté et une grande négligence au regard de ses obligations déontologiques de soins consciencieux et dévoués et de continuité des soins ; que la circonstance que Mme B, constatant qu’elle ne recevait pas les résultats en cause, n’ait pas, elle-même, pris l’initiative de contacter le cabinet médical, ne saurait l’exonérer de cette faute, d’autant qu’il était implicitement convenu entre le Dr A et sa patiente que les résultats ne seraient adressés à celle-ci qu’en cas de problème, et qu’en ce cas, de toutes façons, le médecin prendrait contact avec elle téléphoniquement ; qu’ainsi, le Dr A n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que la chambre disciplinaire de première instance l’a déclarée fautive.
3. Considérant qu’eu égard à la gravité de la faute, la sanction de l’avertissement, la plus faible des sanctions disciplinaires, ne peut être regardée comme disproportionnée ; que la requête du Dr A doit, dès lors, être rejetée ».
Cette motivation pose des obligations particulièrement contraignantes pour les praticiens. Ainsi, dans un cas très particulier où le médecin généraliste serait dans l’attente de résultats, il lui appartiendrait alors de tout tenter pour assurer la continuité des soins.
Dans cette décision précitée, la chambre nationale disciplinaire a considéré la « grande légèreté » et la « grande négligence » du praticien, au regard de ses obligations déontologiques, en se limitant à quelques tentatives téléphoniques.
Même si la sanction d’avertissement prononcée par la chambre disciplinaire de première instance de Champagne-Ardenne dans ce dossier, apparaît en dissonance totale avec les motivations de la décision nationale, il n’en demeure pas moins que les obligations du praticien sont particulièrement accrues, notamment en direction des patients habituels et présentant des maladies chroniques.
Enfin, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a considéré dans sa décision n° 13666 du 10 décembre 2018, également rendue au visa de l’article R. 4127-47 du code de la santé publique, que :
« (…), qu’en particulier, informé le 15 août 2016 par l’infirmière de soins à domicile de nouvelles complications survenues à Mme F B, dont un abondant écoulement au niveau de la stomie, c’est par téléphone qu’il a indiqué que l’intéressée revienne au service des urgences de la clinique, le lendemain ; que c’est également par téléphone qu’il a demandé, le 16 août 2016, un scanner abdomino-pelvien, qu’il en a commenté les résultats avec le médecin urgentiste de garde et qu’au vu d’une image pouvant évoquer une fuite au niveau de la stomie, il a prescrit un refixage de la lame de drainage ; que c’est également par téléphone qu’il a donné instruction, le même jour, de faire poser un cathéter central et arrêté les modalités de sa réalisation ; qu’il ne saurait être objecté par l’intéressé que, joignable à tout moment sur son téléphone portable, il est intervenu chaque fois que nécessaire et à bon escient, alors que, contrairement à ses allégations, il n’a aucunement pris part à la décision de la patiente de revenir consulter au service des urgences de la clinique XY le 6 août 2016 et n’est pas à l’origine de l’attache pris de ce service le 15 août ainsi que l’établissent les pièces versées au dossier par la plaignante (…).
9. Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, notamment du tableau des gardes ainsi que des autres documents relatifs à la gestion de la clinique XY, que le Dr A, en quittant son service le soir du 29 juillet 2016 pour prendre ses congés, ne pouvait ignorer ni la fermeture du bloc opératoire de l’établissement pour travaux pendant tout le mois d’août ni l’absence à la clinique de médecins anesthésiste et vasculaire durant ce mois et de médecin viscéral pendant une partie de celui-ci, alors même qu’en première instance, il a produit un tableau faisant inexactement état de la présence continue au mois d’août du Dr S, chirurgien viscéral et digestif ; que si le Dr A soutient s’être assuré qu’en son absence, sa patiente serait prise en charge par des confrères présentant les garanties de compétence voulues et qui procéderaient aux examens appropriés, ses allégations ne sont pas établies par les pièces du dossier qui ne font état d’aucune démarche en ce sens ; qu’en particulier, l’autorisation de sortie d’hospitalisation de la patiente établie le 29 juillet 2016 ne prévoit pas de surveillance médicale avant le retrait, prévu le 23 août, de la prothèse oesophagienne qui avait dû être posée, mais de simples soins infirmiers à domicile ; qu’en outre, le Dr A n’a pas pris l’attache du Dr S, présent à la clinique jusqu’au 5 août, ainsi qu’il en convient d’ailleurs dans ses dernières écritures ; que, par suite, le Dr A n’a pas assuré la continuité des soins de sa patiente dans des conditions conformes à l’article R. 4127-47 du code de la santé publique ».
Dans cette affaire, la chambre disciplinaire nationale a prononcé à l’encontre du praticien, l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée d’un an.
Ces trois jurisprudences traduisent l’intensité des obligations pesant sur les praticiens quant à la continuité des soins.
Il est très peu probable que les circonstances actuelles, quand bien même elles sont inédites et lourdes de conséquences, aient pour effet de minimiser cette obligation.
Toutefois, les modalités de l’information délivrée par les praticiens seront nécessairement adaptées aux circonstances de l’espèce. Il lui appartient néanmoins de tout mettre en œuvre pour assurer cette continuité des soins, notamment par l’information de confrères, pour des cas qui pourraient présenter pendant la période de fermeture du cabinet, des difficultés particulières.
Le praticien doit donc prendre attache tout particulièrement avec ces patients pour les orienter vers d’autres praticiens en informant ces derniers par écrit. Une gestion téléphonique des cas les plus critiques, ne permet pas d’assurer le respect de l’obligation de continuité des soins.
Ainsi, si dans la période actuelle le praticien doit organiser ses messages de communication, par affiches sur la porte de son cabinet et par messages téléphoniques appropriés, il n’en demeure pas moins qu’il doit mettre en œuvre d’autres actions particulières, pour assurer la continuité des soins.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Thomas PORCHET
Avocat
1927 AVOCATS - Poitiers, 1927 AVOCATS - La-Roche-Sur-Yon, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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