Intérim et requalification des contrats de travail
Publié le :
24/06/2008
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Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 novembre 2007 serait-il une nouvelle étape dans le cadre du droit de la requalification des contrats de travail temporaire?
Intérim: vers une restriction des possibilités de requalification des contrats?Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 novembre 2007 (Cass. soc., 28 nov. 2007, no 06-43.025) serait-il une nouvelle étape dans le cadre du droit de la requalification des contrats de travail temporaire (contrat de mission de l’article L. 124-4 (1) du Code du travail en ce qui concerne l’entreprise de travail temporaire ; contrat de mise à disposition de l’article L. 124-3 du Code du travail en ce qui concerne l’entreprise utilisatrice) ?
Bien que non publié, il offre en effet deux solutions absolument novatrices, s’agissant de deux grands thèmes classiques de requalification :
- La succession durant de nombreux mois, voire de nombreuses années de contrats de mise à disposition de personnel intérimaire, présumée contraire à la règle dite « des 18 mois » ;
- La signature du contrat de mission, tardivement régularisée, présumée dès lors constituer une irrégularité de forme susceptible de permettre la requalification.
Cette décision pose des règles restrictives en matière de requalification constituant un retour à la
lettre du texte que beaucoup appelaient de leurs voeux.
1) Extrapolations et indices d’un retour à la lettre du texte
2) Le litige de l’arrêt du 28 novembre 2007
3) Remarques
Extrapolations et indices d’un retour à la lettre du texte
Pour prendre la mesure de l’intérêt de la question, il convient de rappeler que le droit du travail temporaire met en présence de façon concomitante trois parties, engagées dans deux contrats :
- un contrat de mise à disposition, contrat de nature commerciale qui lie la société de travail temporaire à la société utilisatrice (C. trav., art. L. 124-3) ;
- un contrat de mission, contrat de travail qui lui succède et qui lie l’entreprise de travail temporaire au salarié intérimaire (C. trav., art. L. 124-4).
Ces deux contrats ont pour point commun le fait que le contrat de mission doit reproduire les dispositions du contrat de mise à disposition, c’est-à-dire les déclarations de l’entreprise utilisatrice concernant le motif de recours et les différents éléments liés au salaire de référence, notamment.
Alors que la lettre du Code du travail ne prévoit, dans le cadre de ces contrats, que la possibilité d’une requalification éventuelle à l’encontre de l’entreprise utilisatrice (C. trav., art. L. 124-7 et art. L. 124-7-7), la jurisprudence a rapidement admis que ces dispositions restrictives n’excluaient pas la possibilité pour le salarié d’agir en requalification contre l’entreprise de travail temporaire, lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’oeuvre est interdite, n’ont pas été respectées (Cass. soc., 19 avr. 2000, no 97-45.508, P+B ; SSL no 979).
Cette porte ouverte a généré assez rapidement une croissance importante du nombre d’actions en requalification, souvent portées indifféremment, voire solidairement, nonobstant les dispositions de l’article 1202 du Code civil, à l’encontre de la société de travail temporaire et de la société utilisatrice.
Le 13 avril 2005, dans un arrêt capital, la Cour de cassation a précisé qu’il convenait de distinguer l’action en requalification à l’encontre de la société de travail temporaire et l’action en requalification à l’encontre de la société utilisatrice, de même que leur fondement juridique (Cass. soc., 13 avr. 2005, no 03-41.967, SSL, no 1214).
À compter de cette date, les règles ont été clarifiées :
- la société de travail temporaire doit assumer ses responsabilités au regard de l’article L. 124-4 du Code du travail, c’est-à-dire qu’elle doit essentiellement répondre aux exigences de forme liées à la sécurité du contrat spécial que constitue le contrat de mission (nécessité d’un écrit, délai de transmission de l’écrit, etc.) ;
- l’entreprise utilisatrice doit, elle, répondre de sa responsabilité au regard de l’article L. 124-3 du Code du travail, c’est-à-dire répondre aux obligations de fond (salaire de référence, motif de recours, etc.).
Pour autant, l’action en requalification, bien qu’au titre de responsabilités distinctes et de fondements juridiques distincts, reste parfaitement admise tant à l’encontre de l’entreprise utilisatrice, ce que prévoit l’article L. 124-7 du Code du travail, que de l’entreprise de travail temporaire, ce que ne prévoit pas le Code du travail.
Le retour amorcé au texte a cependant permis assez rapidement de distinguer la règle selon laquelle l’indemnité dite de requalification, prévue à l’article L. 124-7-1 du Code du travail, ne pouvait être mise qu’à la charge de l’entreprise utilisatrice, compte tenu de la rédaction du texte (Cass. Soc., 1er déc. 2005, no 04-41.005).
C’est dans ce contexte jurisprudentiel marqué à la fois par un retour progressif au texte stricto sensu et par la distinction des fondements juridiques des actions menées à l’encontre de l’entreprise utilisatrice ou de l’entreprise de travail temporaire, qu’est intervenu l’arrêt du 28 novembre 2007 (précit.).
Le litige de l’arrêt du 28 novembre 2007
Le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation présentait la singularité de deux moyens juridiques évoqués par le salarié à l’encontre de l’entreprise utilisatrice, accueillis par la Cour d’appel d’Orléans qui avait requalifié les contrats de travail temporaire du demandeur en contrat à durée indéterminée.
En premier lieu, le salarié constatait qu’il avait fait l’objet de très nombreuses missions, sans discontinuité pendant plus de 20 mois, de telle sorte que les dispositions de l’article L. 124-2-2 du Code du travail, qui prévoient que le contrat de travail temporaire peut être renouvelé une fois pour une durée déterminée, qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder 18 mois, n’avaient pas été respectées.
Le second, qui en fait était inopposable à la société utilisatrice, ce que n’a pas relevé la Cour de cassation qui n’était pas saisie de cette question, et qui concerne l’entreprise de travail temporaire, consistait pour le salarié à constater qu’il avait travaillé sans contrat de mission, durant plus d’une dizaine de jours, alors que le contrat de mission doit être régularisé dans les 48 heures de la mise à disposition (C. trav., art. L. 124-4), ce qui aboutissait pour le salarié à avoir travaillé sans contrat, donc dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée au titre de la demande de requalification.
Sur la première question opposable à l’entreprise utilisatrice, la Cour de cassation rejette le mode de raisonnement quantitatif et de durée pour en revenir à la lecture stricte du texte : le délai de 18 mois, un renouvel-lement inclus posé par l’article L. 124-2-2 du Code du travail, ne peut s’appliquer que mission par mission, c’est-à-dire motif de mission par motif de mission.
En ce qui concerne le deuxième moyen, la Cour de cassation a constaté que bien que le salarié ait travaillé pendant un temps, sans contrat régularisé dans les 48 heures, la signature postérieure d’un avenant de prolongation de ce premier contrat vidait de toute critique les irrégularités de forme précédentes.
En d’autres termes, l’irrégularité de forme d’un contrat de travail temporaire (contrat de mission en l’occurrence) est susceptible d’être couverte par la signature postérieure d’un avenant, qui emporte renonciation à se prévaloir de l’irrégularité du contrat initial principal dans le cadre d’une novation.
Le raisonnement mission par mission prend le pas sur le raisonnement quantitatif.
Il doit être rappelé que la tentation de raisonner en matière de contrat de travail temporaire, exclusivement en termes de masse, de volume et de récurrence, résulte de la confusion, souvent constatée, entre des domaines d’appréciation distincts, bien que proches, à savoir :
- la validité du motif de recours au titre du surcroît temporaire d’activité (C. trav, art. L. 124-2-1) ;
- la validité intrinsèque du contrat de travail temporaire au titre de sa durée, (C. trav., art. L. 124-2-2) ;
- la validité du recours au travail temporaire, au regard de la règle selon laquelle il ne doit pas être pourvu durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice (C. trav., art. L. 124-2).
Le raisonnement de type quantitatif évoque la question de l’examen de la validité du motif de surcroît temporaire d’activité : celle-ci ne peut s’apprécier qu’à l’échelle de l’activité même de l’entreprise utilisatrice, selon la voie retenue notamment par les arrêts Sovab rendus le 21 janvier 2004, qui évoquent l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise en se positionnant dans le cadre de cycles de production (« en cas de variation cyclique de production »), le salarié n’étant pas obligatoirement affecté directement au motif de recours (« sans qu’il soit nécessaire que le salarié recruté soit affecté à la réalisation même de ces tâches ») (Cass. soc., 21 janv. 2004, no 03-42.754, P+B+R+I).
Au regard cette fois de la validité du recours au travail temporaire en lui-même, la tentation est grande de s’inspirer de ce type d’analyse en s’éloignant de l’examen intrinsèque du contrat de travail temporaire et en raisonnant en termes purement quantitatifs.
Au visa de l’article L. 124-2-2 du Code du travail, le salarié confondant les conditions d’appréciation de la validité du motif de recours, les conditions de validité intrinsèque du contrat de travail temporaire au titre de sa durée, et l’appréciation des conditions de la validité du recours même au travail temporaire, peut être tenté par amalgame, de se fonder exclusivement sur la quantité concomitante et récurrente d’un certain nombre de contrats de travail temporaires au sein d’une entreprise, pour retenir en conséquence l’absence de validité du recours au travail temporaire.
Sur ce plan, la Cour de cassation clarifie la situation et souligne justement un retour au texte parfaitement remarquable, considérant que la règle selon laquelle le contrat de travail temporaire peut être renouvelé une fois pour une durée déterminée, qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale de 18 mois, en matière de surcroît temporaire d’activité, doit s’apprécier mission par mission, c’est à dire motif de mission par motif de mission, et non contrat de travail temporaire par contrat de travail temporaire.
Dans l’absolu et du fait de cette clarification, à compter du moment où un même motif de mission, jugé valable, n’est pas renouvelé plus d’une fois sur une période maximale de 18 mois, les contrats de travail temporaire peuvent se succéder, même en nombre.
Bien entendu, cette analyse doit être complétée par les dispositions de l’article L. 124-2 du Code du travail, en ce sens que le contrat de travail temporaire « quel que soit son motif », ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice (solution jurisprudentielle désormais classique : voir par exemple Cass. soc., 20 févr. 2008, no 07-40.223 ; JSL, 27 mars 2008, no 230-14). C’est la limite du recours au travail temporaire, étant entendu que l’appréciation de l’emploi durable et de l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice, ne saurait résulter du critère quantitatif, du moins exclusivement.
L’analyse doit également être complétée par le principe, confirmé dans un arrêt du même jour, selon lequel la question du motif de recours, visée à l’article L. 124-3 du Code du travail relève de la seule responsabilité de l’entreprise utilisatrice, sur qui repose la charge de la preuve de la qualité du motif de recours, énoncée dans le contrat, sous sa responsabilité (Cass. soc., 28 nov. 2007, no 06-44.843, JSL 11 févr. 2008, no 227-10).
Remarques :
On notera au passage qu’il est étonnant que la Cour de cassation ait eu à casser l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans, puisque la même Cour avait rendu quelque temps plus tôt un arrêt à l’égard de la même société (CA Orléans, Chambre sociale, 3 mars 2005, no 04/02819, Hutchinson/Rocheron) dans le cadre duquel elle avait estimé que « le contrat de travail temporaire peut être renouvelé une fois pour une durée déterminée qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder 18 mois pour le motif qui a donné lieu à sa conclusion ».
Il s’agissait de contrats de travail temporaire qui s’étaient succédés avec des périodes plus ou moins marquées d’interruptions durant 2 ans, mais qui pouvaient tous être justifiés motif par motif, au titre du surcroît d’activité, sans renouvellement d’une mission supérieur à une fois pour une durée maximale de 18 mois, et sans que le recours au travail temporaire ait eu pour objet de pourvoir à un emploi permanent dans l’entreprise utilisatrice lié à son activité normale.
Une irrégularité de forme peut être couverte par le biais de la novation du contrat.
Le grief concernant la signature du contrat et le moment où intervient la signature du contrat de mission du salarié intérimaire, ne pouvait au regard de la jurisprudence du 13 avril 2005 évoquée ci-dessus, être opposé qu’à l’entreprise de travail temporaire. C’est cependant à l’encontre de l’entreprise utilisatrice que le moyen a été opposé et l’inopposabilité de ce grief à la société utilisatrice n’avait semble-t-il pas été soulevée par cette dernière.
La Cour de cassation n’en a pas moins livré une solution extrêmement novatrice, concernant les problèmes liés aux irrégularités de forme des contrats de mission (notamment quant à leur signature et le délai de leur signature), que l’on espère voir transposée à une demande de requalification exposée à l’encontre d’une entreprise de travail temporaire.
En effet, selon les dispositions de l’article L. 124-4 du Code du travail, le salarié signe avec la société de travail temporaire un contrat de mission qui doit être établi par écrit, et adressé au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant sa mise à disposition.
Dans de nombreux cas en pratique, quels que soient les motifs, les salariés intérimaires se trouvent en situation de travailler, alors que leur contrat n’est pas signé.
Il doit être d’ailleurs noté que le texte fait obligation d’établir le contrat par écrit et de l’adresser au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables, sans pour autant préciser que le contrat doit être signé dans les 48 heures.
Cet aspect a toutefois échappé à l’examen de la Cour de cassation, puisque la discussion était relative à l’absence de signature du contrat de mission dans les 48 heures de sa conclusion, exigence plus stricte que le texte.
Quoi qu’il en soit, le cas de figure est particulièrement fréquent et constitue une cause extrêmement classique de demande de requalification du contrat de mission à l’encontre de la société de travail temporaire.
La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de sanctionner le salarié qui, de mauvaise foi, refusait de régulariser ses contrats de mission, aux fins d’obtenir à bon compte une requalification de ses contrats et les indemnités subséquentes, en refusant la voie d’une requalification aux salariés dont la mauvaise foi est établie (Cass. soc., 15 nov. 2007, no 06.43-096, JSL no 224-24).
Dans l’arrêt du 28 novembre 2007, elle retient que la régularisation de l’avenant de prolongation, visée à l’article L. 124-2-2 du Code du travail, couvre l’irrégularité éventuelle du contrat principal non signé dans les 48 heures de sa conclusion, opérant par là même une véritable novation qui évoque celle qui avait été admise à propos de l’article L. 122-12 du Code du travail, dans le cadre d’un arrêt remarqué (Cass. soc., 17 sept. 2003, no 01-43.687, JSL 21 nov. 2003, no 132-5).
Ainsi, la régularisation par le salarié intérimaire d’un avenant à son contrat de mission conforme aux dispositions légales, emporte renonciation implicite à se prévaloir d’éventuelles irrégularités du contrat précédent.
Bien que rendues dans un arrêt simplement diffusé, ces deux solutions novatrices vont, à notre avis, dans le sens d’un retour à la lecture stricte des dispositions légales en matière de travail temporaire.
À ce stade, on ne peut bien entendu parler que de « premier pas » : une confirmation sur ces deux points tranchés par la Cour de cassation le 28 novembre 2007 serait souhaitable.
(Note 1) Les articles cités sont désormais recodifiés aux articles L. 1251-1 et suivants du Code du travail.
Cet article n'engage que son auteur.
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