Vérité ou sécurité juridique?

Publié le : 03/12/2009 03 décembre déc. 12 2009

Depuis que l’on s’est attaché à proclamer un « droit d’accès au juge », jamais le juge ne s’est à ce point ingénié à se rendre inaccessible …

Vérité ou sécurité juridiqueDepuis que l’on s’est attaché à proclamer un « droit d’accès au juge », jamais le juge ne s’est à ce point ingénié à se rendre inaccessible …

Atteintes législatives au « droit au juge », qu’il serait trop long d’énumérer ici, atteintes jurisprudentielles …

L’une des dernières trouvailles étant assurément la nouvelle exigence de « concentration des moyens » (1) largement critiquée par de grandes plumes (2) et sur laquelle on attend impatiemment l’avis de la C.E.D.H.


Le principe a été posé par un arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation en date du 7 juillet 2006 et successivement adopté par la 1ère chambre civile (16 janvier 2007), la chambre commerciale (20 février 2007), la 2ème chambre civile (25 octobre 2007), …

Il vient d’être étendu à la procédure arbitrale (Cass. Civ. 1ère 28 mai 2008 JCP n°42 II 10170).

Dans le cadre de l’affaire soumise à l’Assemblée Plénière, la question était posée de la compatibilité du principe dit « de concentration des moyens » avec le droit d’accès à un tribunal, tel que sanctionné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

L’avis donné par Mme Koerig-Joulin, conseiller à la Cour de Cassation, est édifiant (Jurisprudence Assemblée Plénière, arrêts et travaux préparatoires).

Elle rappelle tout d’abord les deux conceptions possibles de l’autorité de la chose jugée entre lesquelles il conviendrait de trancher :

- l’une qui privilégie la sécurité juridique en général et celle du défendeur en particulier, en interdisant la remise en cause indéfinie d’une situation déjà jugée en lui trouvant de nouveaux fondements juridiques,

- l’autre qui privilégie la flexibilité et peut-être aussi la « vérité », au moins juridique, du débat en permettant au justiciable de peaufiner son argumentation, au fil de nouvelles demandes.

Et de conclure :

« Face à ce que, en simplifiant, on peut réduire à un conflit de droits fondamentaux, le droit d’accès au juge d’une part, l’impératif de sécurité juridique de l’autre, je choisirais pour ma part de privilégier le second sur le premier …. »

Nul doute qu’elle a été entendue …

Les choses sont donc dites : l’accès au juge n’est pas compatible avec la sécurité juridique, pire, ils sont en conflit !!

La vérité, ce papillon, sera donc sacrifiée sur l’autel de la sécurité juridique …

Les conséquences pour nous, Avocats, s’imposent et Mme Koering-Joulin les a parfaitement mesurées :

« Au justiciable, et plus précisément à son Avocat qui n’a pas de droit à l’erreur ab initio (…) de donner à l’action le bon fondement ; en cas d’erreur, le justiciable n’a plus d’accès à un tribunal … sauf pour engager éventuellement la responsabilité professionnelle de son conseil ! »

A la bonne heure ! Revoilà le juge accessible !

Mme Koering Joulin avait toutefois réservé l’obligation résultant pour le juge de l’article 12 du nouveau code de procédure civile (3), mais fort opportunément, un arrêt de l’Assemblée Plénière du 21 décembre 2007 est venu préciser que cette obligation n’en est pas une !!

Ce qui fait dire au Professeur Bolard (JCP N° 26, I, 165) : La Cour de Cassation serait-elle tentée d’oublier son office, qui est d’œuvrer, non pas au laxisme judiciaire, mais à la correction et à la qualité de la justice (..) Le juge peut-il seulement se préoccuper d’alléger sa tâche au mépris des textes qui la régissent et au mépris des prérogatives des plaideurs … ?

Décidément, ces universitaires qui s’indignent n’ont rien compris : Le principe de concentration des moyens a pour objectif de réduire le temps du procès tout en améliorant la qualité. Il évite les stratégies judiciaires déloyales qui consistent à dévoiler progressivement les moyens de droit en pratiquant la rétention d’informations … explique le Premier Président Magendie (JCP n° 41, I, 192) dans le cadre la mission « Célérité et qualité de la justice devant la Cour d’Appel ».

Et d’ajouter : « les risques dont vous parlez (alourdir le contentieux pour les parties) ne me paraissent pas exister sauf à présumer, ce que je ne fais pas, que les plaideurs comme les avocats n’auraient d’autre souci que de contourner l’esprit du système procédural … »


Une procédure civile de type de plus en plus inquisitoire, un renoncement progressif du juge à son office, un alourdissement des charges pour les parties et pour les avocats, telles sont les perspectives qui se sont peu à peu mises en place pour cantonner les effets du « droit d’accès au juge » …

Formons le voeu que nos représentants - sitôt remis des agapes de LILLE – feront entendre leur voix !

Il serait regrettable que seuls les universitaires et nos assureurs responsabilité civile s’émeuvent des attaques dont nous sommes l’objet.


Index:
(1) Il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci.

(2) PERROT, RTD civ. 2006 p. 825 – LE BARS , Procédures 2007 étude n° 12 - H. CROZE, Procédures 2006 repère 9 -WIEDERKEHR JCP G 2007, II 10070 - THERY, RTD civ. 2008 p. 147 - G. BOLARD, JCP G 2008, I, 156 – Ph. MALINVAUD, RDI 2008 n° 1 p. 49, …

(3) Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.





Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

CHARLES-NEVEU Brigitte
Avocate Honoraire
NEVEU, CHARLES & ASSOCIES
NICE (06)
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