La Consignation du prix dun office ministériel par le Garde des Sceaux déclarée illégale

La Consignation du prix dun office ministériel par le Garde des Sceaux déclarée illégale

Publié le : 08/06/2011 08 juin juin 06 2011

Bénéficiant d’un statut établi par la loi, en raison des caractères particuliers de son exercice, l’officier public est nommé par les pouvoirs publics et exerce des fonctions réglementées sous leur surveillance directe.

Le statut d'officier publicStatut étrange que celui d’officier public. Bénéficiant d’un statut établi par la loi, en raison des caractères particuliers de son exercice, l’officier public est nommé par les pouvoirs publics et exerce des fonctions réglementées sous leur surveillance directe.

Tel est notamment le cas des huissiers de justice soumis au Garde des Sceaux à tous les stades de leur vie professionnelle. C’est aux conditions de la légalité de cette intervention que le Tribunal Administratif de Caen a été confronté dans son jugement en date du 17 mai 2011 (1) dans lequel il a dû se prononcer sur les conditions de cession d’un tel office public.

En application de l’article 5 du décret n°69-1974 du 31 décembre 1969, déterminant les conditions de fonctionnement d’une SCP titulaire d’un office d’huissiers de justice, la nomination d’un associé dans une telle structure doit donner lieu à un arrêté du Garde des Sceaux. Le même arrêté doit également porter, si tel est le cas, sur l’acceptation d’une démission, la suppression, le transfert ou la cession à une société de cet office ou encore sur la création éventuelle de l'office dont la société sera titulaire (2). Le décret n°88-814 du 12 juillet 1988 relatif à la nomination et à la cessation de fonctions des officiers publics et ministériels prévoit que cet arrêté est publié au Journal Officiel.

Dans la situation soumise au juge administratif, deux huissiers, Me A et Me B, étaient associés dans une SCP titulaire d’un office d’huissier de justice. Par acte notarié, Me B a cédé ses parts à un huissier tiers, Me C.
Conformément au décret précité, par arrêté en date du 30 novembre 2010, le Garde des Sceaux a prononcé la nomination au sein de la SCP de Me C et a accepté le retrait de Me A. Par le même arrêté, le Ministre a ordonné la consignation, pendant une période de six mois, de l’intégralité de la somme correspondant au paiement des parts sociales cédées.

Confronté à la consignation d’un prix de vente qu’il ne pouvait donc pas percevoir, Me A a saisi le Tribunal Administratif de Caen afin qu’il prononce l’annulation de l’arrêté du Garde des Sceaux « en tant que le ministre a ordonné la consignation de l’intégralité de la somme. »

Le requérant considérait, notamment, que faute de notification individuelle, la mesure de consignation contenue dans l’arrêté ne lui était pas opposable (3). Le juge rejette ce moyen en prenant acte de l’existence de dispositions réglementaires particulières réglant l’entrée en vigueur d’un arrêté ministériel relatif au retrait d’un associé d’une SCP titulaire d’un office ou ministériel aux termes desquelles : « L'arrêté par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, accepte le retrait d'un officier public ou ministériel, membre d'une société civile professionnelle, prend effet à la date de sa publication au Journal officiel. » (4)

Prenant acte de ce texte, le TA de Caen refuse de dissocier la mesure de consignation et la date du retrait et considère que l’intégralité de l’arrêté ministériel du 30 novembre 2010 a pris acte à la date de la publication au Journal Officiel retenant que « Cet arrêté, qui présente le caractère d’une décision à caractère non réglementaire, est entré en vigueur, y compris en ce qui concerne la date de consignation, à la date de sa publication au Journal officiel ; que la mesure de consignation est donc opposable à M. A. »

Une fois cette question évacuée, il convient de relever que le litige soumis amenait le tribunal administratif de Caen à s’interroger sur sa compétence s’agissant d’un arrêté ministériel (I), puis à censurer la mesure de consignation pour absence de fondement légal (II).


I – La répartition des compétences juridictionnelles en matière d’arrêté relatif à un office ministériel.

En application de l’article R.311-1 du CJA, le Conseil d’Etat est compétent en matière de « recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale. »

L’application de cet article a toujours conduit le juge administratif à opérer une distinction, au cas par cas, entre les actes réglementaires et les actes non-réglementaires affirmant la compétence du Conseil d’Etat dès lors qu’un acte édictait une règle générale ou organisait un service public.

S’agissant des arrêtés relatifs aux offices ministériels, en particulier d’huissiers, ceux-ci peuvent présenter deux natures clairement distinctes.

En premier lieu, lorsqu’un tel arrêté a des incidences sur l’office ministériel en lui-même, à savoir sa localisation ou son existence, il s’agira d’un arrêté réglementaire relatif à l’organisation du service public de la justice.

Tel est ainsi le cas, par exemple, du transfert de la résidence d’un office ministériel (Conseil d’Etat, 26 novembre 2010, n°328.038 (5) ).
Tel est également le cas de l’arrêté prononçant la création d’un office ministériel d’huissier ( Conseil d’Etat, 28 septembre 2001, n°224.028) ou prononçant la suppression d’un office ministériel (Conseil d’Etat, 8 juin 1998, n°158.886) . (6)

En second lieu, et à l’inverse, la nomination ou le retrait d’un associé d’une société civile professionnelle titulaire d’un office ministériel d’huissier n’a aucune incidence sur l’organisation du service public de la justice.
Le Conseil d’Etat en a ainsi jugé s’agissant d’une décision de nomination d’un officier ministériel ou d’un associé d’une société civile professionnelle titulaire d’un office ( Conseil d’Etat, 28 septembre 2001, n°224.028 ). (7)
Tel est également le cas d’un arrêté ministériel prononçant le retrait d’un office ou d’une SCP titulaire d’un office ( CAA Nantes, 19 juin 2003, n°00NT01694 (8) ). :

En l’espèce, l’arrêté du 30 novembre 2010 considéré avait pour objets exclusifs la nomination d’un nouvel associé, le retrait d’un ancien associé et la consignation du prix payé. Cette décision n’avait donc, par conséquent, aucune influence sur l’organisation du service public de la justice et ne pouvait donc pas relever des dispositions de l’article R.311-1 du CJA.

La décision du tribunal administratif de Caen en date du 17 mai 2011 tire les conséquences de cette analyse et relève que « cet arrêté […] présente le caractère d’une décision à caractère non réglementaire » retenant ainsi, implicitement, la compétence du tribunal administratif en premier ressort.



II – La consignation du prix de cession d’un office public dépourvue de base légale

Il restait encore au juge administratif à s’interroger sur la légalité de la mesure de consignation adoptée par le Garde des Sceaux. Une telle mesure avait été adoptée par le Ministre sur le fondement de la circulaire du 21 mai 1976 du ministre de la justice relative à la constitution des dossiers de cession des offices publics et ministériels aux termes de laquelle « Postérieurement, en effet, à la nomination du nouveau titulaire, il arrive que des créanciers se manifestent et demandent à faire valoir leurs créances. Vos substituts devront s’informer par tous les moyens de la situation financière du cédant au moment de la cession. […]. En cas de doute, ils ne devront pas hésiter à ordonner une nouvelle inspection concernant la situation financière personnelle du titulaire de l’office et de son étude. Pour le cas où ces diligences feraient apparaître que le cédant est débiteur de certaines sommes, ils devront saisir la Chancellerie en proposant la consignation de tout ou partie du prix de cession. »

A l’appui de ses écritures, le Garde des Sceaux soutient que la mesure de consignation ne constitue qu’une modalité d’exécution du retrait d’une SCP titulaire d’un office public ministériel.

Le Ministre soutient encore qu’une telle mesure appartient à celles qu’il est en droit de prendre « compte tenu de l’obligation qui lui incombe de veiller à la fiabilité et à la qualité du service public offert par les huissiers de justice qui sont des officiers publics. »

Le juge va pourtant rejeter l’intégralité de ces arguments retenant qu’une circulaire ne pouvait servir de fondement à une telle décision et que « aucune disposition ne donne pouvoir au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, à l’effet de prendre une mesure de consignation, à titre provisoire, du produit de la vente des parts sociales d’une société civile professionnelle d’huissiers de justice. »

Le jugement du 17 mai 2011 prend également soin d’écarter la fonction du ministre « de veiller à la fiabilité et à la qualité du service public offert par les huissiers de justice » dès lors que cette charge « n’est pas davantage de nature à donner un fondement légal à une telle mesure. » Tirant alors les conclusions de cette analyse, le juge annule l’arrêté du 30 novembre 2011 en tant qu’elle prononce une telle consignation, mesure insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant au Ministre de la Justice.

Titulaire d’un droit de regard sur la gestion et la « moralité » des offices publics, le Garde des Sceaux se trouve pour autant encadré dans ses facultés d’intervention directe dans la cession des offices, sa fonction ne lui accordant pas un atout pour agir sans fondement légal. Cette décision concernant les huissiers de justice est d’autant plus notable que, pour une grande partie des offices publics, une mesure de consignation intervient en l’absence de tout fondement légal sur le seul fondement d’une circulaire (9). De telles mesures doivent désormais être considérées comme illégales.


Index:
(1) TA Caen, 17 mai 2011, n°1100016
(2) « La nomination d'une société civile professionnelle dans un office d'huissier de justice et la nomination de chacun des associés en qualité d'huissier de justice associé sont prononcées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, pris après les consultations prévues aux articles 7 et 8.
L'acceptation de la démission des huissiers de justice intéressés, la suppression, la cession à la société ou le transfert des offices dont ils sont titulaires, le transfert des minutes de ces offices ainsi que la création éventuelle de l'office dont la société sera titulaire sont prononcés par le même arrêté. »
(3) Une telle analyse pouvait reposer sur l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978 aux termes duquel « Sauf disposition prévoyant une décision implicite de rejet ou un accord tacite, toute décision individuelle prise au nom de l’Etat […] n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette décision lui a été préalablement notifiée. »
(4) Article 2 du décret n°88-814 du 12 juillet 1988 relatif à la nomination et à la cessation de fonctions des officiers publics
(5) « Considérant que l'arrêté du garde des sceaux du 23 décembre 2003 dont les requérants demandent l'annulation porte d'une part, nomination de Mme C comme huissière de justice à la résidence de Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe) en remplacement de M. D et, d'autre part, transfert de cet office à la résidence de Saint Martin ; qu'en tant qu'il prononce ce transfert, l'arrêté a pour objet l'organisation du service public de la justice et présente un caractère réglementaire ; que par suite, le recours dirigé contre cette décision relève de la compétence du Conseil d'Etat. »
(6) « Considérant que la décision du 15 juin 1988 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de faire droit à la demande de M. Bruno X..., titulaire de l'office de notaires d'Ussel, de supprimer cet office afin d'en faire apport à la SCP "SolaireVignal" a trait à l'organisation même d'un service public et a ainsi un caractère réglementaire. »
(7) « Considérant que, si la SCP LASSALLE-LAVAUD conteste la nomination de M. X..., il ressort des pièces du dossier que le garde des sceaux, ministre de la justice, était tenu de rejeter la demande d'abrogation de cet acte à caractère individuel qui avait été formée alors que cet acte était devenu définitif. »
(8) « Considérant que, par arrêté du 30 mai 1996, le garde des sceaux, ministre de la justice a accepté le retrait de M. X de la société civile professionnelle Roger X, huissier de justice associé et constaté la dissolution de la société ; que, par jugement du 19 septembre 2000, le Tribunal administratif de Caen ayant rejeté la demande de MM. X et autres en vue d'obtenir l'annulation de cet arrêté, ainsi que celle de l'arrêté du 12 janvier 2000 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a déclaré vacant l'office d'huissier de justice dont était titulaire la société civile professionnelle Roger X, huissier de justice associé, MM. X et autres interjettent appel dudit jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué : […]
Considérant, en deuxième lieu, que le jugement de l'affaire de MM. X et autres ayant été attribué par l'ordonnance susmentionnée au Tribunal administratif de Caen, qui ne pouvait dès lors décliner sa compétence au regard des dispositions de l'article R.84, les intéressés ne sont pas fondés à soutenir que seul le Tribunal administratif de Paris était compétent pour connaître de leur demande. »
(9) Notamment la Circulaire du 26 juin 2006 relative à la constitution des dossiers de cessions des offices publics et/ou ministériels.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © illustrez-vous - Fotolia.com

Auteur

Vincent LAHALLE
Avocat Associé
LEXCAP RENNES
RENNES (35)
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