Dommages construction

La prise en charge des dommages aux existants par l'assureur RC décennale est conditionnée à l'incorporation indivisible des ouvrages existants à l'ouvrage neuf

Publié le : 17/06/2024 17 juin juin 06 2024

Des maîtres d’ouvrage ont confié à une entreprise des travaux de remplacement des tuiles de la couverture de leur maison d’habitation.
Se plaignant, après la réception tacite des travaux, d’une déformation du rampant de la toiture, les maîtres d’ouvrage ont fait assigner l’entreprise de couverture et son assureur à la date de la déclaration d’ouverture de chantier (AXA France Iard), ainsi que son assureur à la date de la réclamation (MMA Iard), en réparation de leurs différents chefs de préjudices.

Par un arrêt en date du 14 juin 2022, la Cour d’appel de Caen a condamné l’entreprise de couverture à indemniser les maîtres d’ouvrage et la société AXA France Iard à la garantir des condamnations prononcées, s’agissant de dommages occasionnés à des existants devant être pris en charge par l’assureur RC décennale.

Ce faisant, la Cour d’appel de Caen a considéré que la société AXA France Iard, es qualité d’assureur RC décennale, devait garantir les désordres causés à la charpente existante par les travaux de couverture ayant consisté en la pose de tuiles, dès lors que la couverture installée sur la charpente formait un tout indivisible pour constituer une seule et même toiture.

La société AXA France Iard a formé un pourvoi en cassation, en soutenant que les obligations d’assurances édictées par les articles l 241-1, l 241-2 et l 242-1 du code des assurances ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, sauf s’ils sont devenus totalement incorporés dans l’ouvrage neuf pour en devenir techniquement indivisibles.

Or, en l’espèce, les juges d’appel n’avaient pas démontré en quoi l’ouvrage existant (la charpente) s’était trouvé totalement incorporé dans l’ouvrage neuf (la couverture) et en était devenu techniquement indivisible.

L’arrêt d’appel est cassé par la Cour de cassation par son arrêt en date du 30 mai 2024 (Cass, 3ème civ, 30 mai 2024, n°22-20.711, Publié au bulletin), dont l’intérêt est suffisamment important pour faire l’objet d’une publication au bulletin.

Au soutien de sa décision, la Cour de cassation rappelle que l’assurance obligatoire ne garantit les dommages à l’ouvrage existant, provoqués par les travaux de construction d’un ouvrage neuf, que dans le cas d’une indivisibilité technique des deux ouvrages, le neuf et l’ancien, et si l’indivisibilité technique procède de l’incorporation totale de l’existant dans le neuf.

Ainsi donc, selon cette décision (et c’est tout son intérêt), le critère de l’incorporation doit s’apprécier uniquement en considération de l’ouvrage neuf, dans lequel s’incorpore l’existant au point d’en devenir techniquement indivisible.

Et pour bien se faire comprendre, procédant de façon redondante mais avec le mérite de la clarté, la Cour de cassation d’indiquer que :

« Les deux conditions sont, ainsi, cumulatives et les dommages subis par l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer. »

En l’espèce, le sinistre d’affaissement ne tenait au fait que la charpente préexistante était d’une résistance insuffisante pour supporter la différence de charge provenant des nouvelles tuiles.

Or, s’il n’est pas discuté que l’entreprise a bien réalisé un ouvrage et que les désordres qui affectent la toiture sont bien de nature à porter atteinte à sa solidité et à rendre l’immeuble impropre à sa destination au sens de l’article 1792 du code civil, ce qui ne concerne que l’entreprise de couverture, l’assureur RC décennale est quant à lui fondé à contester le fait que l’ouvrage existant (la charpente) s’est trouvé incorporé totalement dans l’ouvrage neuf pour en devenir techniquement indivisible :

« En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi l’ouvrage existant s’incorporait totalement dans l’ouvrage neuf, ni en quoi ils étaient techniquement indivisibles, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La société AXA France Iard ayant par ailleurs été condamnée à indemniser les dommages immatériels des maîtres d’ouvrage au titre de la garantie facultative des « dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel garanti », la cassation est également prononcée à ce sujet en toute cohérence.

Ainsi donc, c’est bien la « faculté digestive » de l’ouvrage neuf qui constitue le seul véritable critère de déclenchement de l’assurance RC décennale obligatoire au sujet des dommages causés aux existants, puisqu’il s’agit tout simplement de s’assurer que les ouvrages existants ont bien été totalement absorbés par les travaux neufs réalisés.

Dans l’arrêt du 30 mai 2024, la Cour de cassation a pris soin de préciser que l’entreprise de couverture avait réalisé un ouvrage, soit en l’espèce le remplacement des tuiles de la couverture.

Cette précision de langage conduit alors nécessairement à placer cet arrêt en vis-à-vis de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-18.694, Publié au bulletin), au sujet des éléments d’équipement dissociables :

« Si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumis à l’assurance obligatoire des constructeurs. »

Sur ce, lorsque l’élément d’équipement constitue en lui-même un ouvrage, le régime applicable est celui de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres portent atteinte à la solidité ou rend l’ouvrage impropre à sa destination.

L’assureur RC décennale n’intervient alors en garantie, au titre des désordres causés aux existants, que s’il est établi que les ouvrages existants ont été incorporés dans les travaux neufs au point de constituer un tout indivisible.

À défaut, les désordres occasionnés aux existants par l’élément d’équipement relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun, susceptible d’être pris éventuellement en charge au titre de la garantie facultative RC des dommages aux existants ou de la garantie TNCO (travaux non constitutifs d’ouvrage), lorsqu’elle aura été souscrite.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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