Antennes de téléphonie mobile : du principe de précaution aux troubles anormaux du voisinage

Publié le : 13/05/2009 13 mai mai 05 2009

Par ordonnance en date du 5 mars 2009, le Tribunal de Grande Instance d’Angers a interdit à la Société Orange France de procéder à la mise en œuvre de son projet d’implantation d’antennes relais sur le clocher de l’église de Notre Dame D’Alençon.

Implantation des antennes relaisPar ordonnance en date du 5 mars 2009, le Tribunal de Grande Instance d’ANGERS a interdit à la Société ORANGE FRANCE de procéder à la mise en œuvre de son projet d’implantation d’antennes relais sur le clocher de l’église de NOTRE DAME D’ALLENÇON, et ce sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée par jour d’exécution des travaux interdits.

Le Juge civil a en effet considéré que l’opérateur de téléphonie mobile ne démontrait pas que les caractéristiques de son installation respectaient les normes applicables telles qu’arrêtées dans le cadre de la recommandation du Conseil de l’Union Européenne du 12 juillet 1999 définissant les restrictions de base et niveaux de référence relatifs à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, ces niveaux ayant été intégrés au cahier des charges des exploitations de radio-télécommunication par arrêté ministériel du 14 novembre 2001.

Le Juge civil a rappelé le principe de précaution inscrit à l’article L. 110-1 du code de l’environnement : « Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable » .

Il a dès lors considéré qu’en l’état des incertitudes sur les caractéristiques techniques de l’installation projetée au regard des risques avérés pour la santé publique au cas de dépassement des normes actuellement en vigueur, normes dont il a été démontré qu’elles sont particulièrement laxistes et dénoncées comme tel, en l’état des incertitudes sur les garanties apportées à la protection du bâtiment sensible que constitue l’école municipale, en l’état enfin de l’absence de justification de la possibilité d’implantation sur un site alternatif, le principe de précaution conduit à ordonner l’interdiction de mise en œuvre du projet d’implantation des antennes-relais sur le clocher de l’église de NOTRE DAME D’ALLENÇON, interdiction constituant une mesure effective et proportionnée visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable.

Force est de constater que le Juge des référés a pour le moins motivée sa décision!
Ce jugement rejoint la lignée de l’arrêt rendu par la Cour d'Appel de VERSAILLES le 4 février 2009, qui a confirmé la démolition d’une antenne de téléphonie mobile précédemment ordonnée par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE le 18 septembre 2008, afin de faire cesser le trouble anormal du voisinage résultant de la « crainte légitime » d’un risque sanitaire subi par les riverains, et ce en dépit du respect par l’installation des valeurs limites d'exposition fixées par le décret du 3 mai 2002.

De la même façon, le Tribunal de Grande Instance de CARPENTRAS a ordonné le 16 février 2009 le démantèlement d’une antenne-relais située à proximité d’habitations en relevant l’existence d’une « crainte légitime d’une atteinte directe à [ la] santé [des riverains] constitutive d’un trouble dont le caractère anormal tient au fait qu’il porterait atteinte, une fois réalisé, à l’intégrité physique sans qu’il soit à ce jour possible d’en mesurer toute l’ampleur ».

Ces décisions tranchent avec la position jusqu’alors adoptée tant par les juridictions judiciaires que surtout administratives.

En effet, jusqu'à fin 2008, seuls les Tribunaux de Grande Instance de GRASSE et de TOULON (TGI GRASSE, 17-06-2003, Commune de La Roquette-sur-Siagne c/ Société SFR et TGI TOULON, 20-03-2006, M. et Mme G. c/ Société Bouygues Télécom), avaient ordonné le démontage d’antennes-relais en relevant l’existence d’un trouble anormal de voisinage. Si le trouble anormal de voisinage relevé par le Tribunal de Grande Instance de GRASSE avait été confirmé par la Cour d'Appel d’AIX-EN-PROVENCE au motif que les valeurs limitées d’exposition aux champs électromagnétiques édictées par le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 étaient excédées (CAA AIX-EN-PROVENCE, 8-06-2004), le jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON avait été réformé en l’absence de risque sanitaire établi par le dépassement des seuils précités (CAA AIX-EN-PROVENCE, 15-09-2008).

Or, l’arrêt de la Cour d'Appel de VERSAILLES se contente désormais de la simple crainte légitime du risque sanitaire, laquelle suffit à caractériser l’existence d’un trouble anormal du voisinage.

Aux termes d’un raisonnement quelque peu alambiqué, les Juges de la Cour de VERSAILLES ont considéré que « si la réalisation du risque reste hypothétique […] l’incertitude sur l’inocuité des expositions aux ondes émises par les antennes-relais demeure et qu’elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable ». Ils ont ainsi fait droit au démantèlement de l’antenne en retenant que le doute nourrit l’inquiétude, le stress, « l’angoisse », ce qui constitue un dommage dont la cause doit cesser.

Ces décisions ont comme idée sous-jacente l’application du principe de précaution qui figure à l’article 5 de la Charte de l’environnement sous ces termes : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertain dans l’état des conditions scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attributions, la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

La multiplication de ces décisions a conduit les pouvoirs publics à décider fin mars 2009 l'organisation d'une table ronde sur les dangers potentiels des téléphones mobiles et des antennes-relais, l’objectif étant de répondre « aux inquiétudes quant à d’éventuels effets sanitaires de l’exposition aux radiofréquences ».

Reste à savoir si les juridictions administratives vont suivre le mouvement initié par les juridictions civiles et faire application d’un principe de précaution dont le principe est consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui s’est vue reconnaître par un arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat en date du 3 octobre 2008 "Commune d'Annecy" valeur « constitutionnelle ».

Le Conseil d’Etat a ainsi précisé que l’ensemble des droits et devoirs définis par la Charte de l’environnement s’imposaient aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétences respectifs, et pouvaient être invoqués directement.

Reste à la juridiction administrative à franchir le pas de la possibilité d’invoquer le principe de précaution lorsque l’autorité administrative se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme.

Dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 avril 2005 (Société Bouygues Télécom), le Commissaire du Gouvernement-Rapporteur public, Yann AGUILA précisait que « les faits sont antérieurs à l’adoption de la Charte de l’environnement de l’article 5 qui pose le principe de précaution, et que dès lors la réponse que vous apporterez aujourd’hui à cette question ne préjuge pas, selon nous, celle que vous pourriez y apporter demain à la lumière d’un nouveau contexte juridique ». Monsieur AGUILA avait pris soin de relever que le raisonnement de la juridiction administrative refusant l’invocation de ce principe dans le cadre de la législation sur l’urbanisme est en contradiction avec la valeur nouvellement constitutionnelle du principe de précaution.
Pour l’heure, la juridiction administrative se refuse à faire application du principe de précaution (TA GRENOBLE, Commune de S. : n° 0900502-5 en date du 26 février 2009).

Pour l’heure, le Conseil d’Etat prend en considération l’intérêt public qui s’attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile, mettant également en avant les intérêts propres des sociétés victimes des arrêtés municipaux imposant des conditions à l’installation des antennes-relais (CE 2-07-2008, SFR, Jurisdata n° 2008-073824), se refusant à faire application du principe de précaution.

La situation est quelque peu ubuesque : si les voisins du terrain d’implantation de l’antenne-relais ont désormais toutes chances de voir prospérer leur action sur le fondement du principe de précaution et des troubles anormaux du voisinage devant la juridiction civile, le Maire d’une Commune qui tente de protéger la santé de ses administrés en s’opposant à l’implantation d’une antenne de téléphonie mobile, ou en ordonnant l’interruption des travaux, voit son action déclarée illégale par la juridiction administrative.

Dans l’attente de l’évolution de la jurisprudence administrative, la solution pourrait résulter du règlement du Plan Local d'Urbanisme, le Tribunal Administratif d’AMIENS dans un jugement du 18 novembre 2008 (n° 602415, SFR) ayant en effet considéré qu’une interdiction de construire une antenne de radiotéléphonie peut être légalement instituée, la condition imposée aux rédacteurs étant d’exposer dans le rapport de présentation du Plan Local d'Urbanisme les motifs qui ont déterminé l’institution de cette prohibition, lesdits motifs devant relever de motifs d’urbanisme.

Une autre solution pourrait être l’invocation des nouvelles dispositions de l’article R. 111-15 du Code de l'Urbanisme, qui prévoit désormais que le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d’environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 112-2 du Code de l'Urbanisme, parmi lesquelles figure le fameux principe de précaution.

Il est urgent que la Haute juridiction administrative se prononce enfin sur cette question pour éviter une telle distorsion entre la juridiction de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif.





Cet article n'engage que son auteur.

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FIAT Sandrine

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