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L'obligation de vérification, par le maître de l'ouvrage, de l'efficacité de la garantie de paiement du sous-traitant, ne s'étend pas à sa date de délivrance

Publié le : 02/08/2023 02 août août 08 2023

Cass, 3ème civ, 6 juillet 2003, n° 21-15.239, publié au Bulletin 

La société BOUYGUES a confié à la société DELTA deux marchés de construction, qui ont été sous-traités à la société de droit portugais BLANCONORTE. 

Après avoir fait l’objet d’une procédure collective, la société BLANCONORTE n’a pas mise en œuvre la garantie de paiement dont elle bénéficiait pourtant, mais a invoqué en justice la nullité des deux contrats de sous-traitance, au motif que les garanties de paiement du sous-traitant lui avaient été remises après la conclusion des contrats, et non antérieurement ou concomitamment. 

Par ailleurs, la société BLANCONORTE a sollicité la condamnation de la société DELTA au paiement des travaux exécutés à leur juste prix, du fait de la nullité des contrats de sous-traitance, et de la société BOUYGUES, en sa qualité de maître de l’ouvrage, sous la forme de dommages intérêts, sur le fondement des dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, pour ne pas avoir vérifié la délivrance effective et en temps utile des actes de cautionnement. 

La société BLANCONORTE a été déboutée de ses demandes dirigées à l’encontre du maître de l’ouvrage par un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en date du 15 février 2021. 

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a confirmé l’analyse des juges d’appel dans son arrêt en date du 6 juillet 2023 (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2023, n° 21-15.239), au motif que : 

« Satisfait aux obligations prévues par ce texte le maître d’ouvrage qui s’assure, à la date à laquelle il a connaissance d’un marché de sous-traitance, de la délivrance d’une caution au bénéfice du sous-traitant, peu important que celui-ci fasse le choix, plutôt que de mettre en œuvre la garantie de paiement qui lui bénéficie, de poursuivre la nullité du contrat, au motif que la caution n’a pas été obtenue préalablement ou concomitamment au sous-traité ». 

« La cour d’appel, qui a souverainement relevé que la société BOUYGUES justifiait avoir eu communication, lors de son acceptation de la société BLANCONORTE en qualité de sous-traitant de la société DELTA, de la copie du contrat de sous-traitance et de la caution bancaire prévue par la loi, a exactement retenu que le maître de l’ouvrage avait satisfait à ses obligations et que la demande en réparation formée à son encontre par la société BLANCONORTE, au motif de la nullité du sous-traité, ne pouvait être accueillie ». 


Afin de pouvoir lui faire bénéficier des dispositions protectrices de la loi du 31 décembre 1975, l’entrepreneur principal doit, en application de l’article 3, faire procéder à l’acceptation de son sous-traitant et à l’agrément de ses conditions de paiement par le maître de l’ouvrage. 

Dans les marchés privés, cette formalité peut être tacite, dès lors qu’il existe des actes non équivoques du maître de l’ouvrage impliquant une volonté d’accepter le sous-traitant (Cass, 3ème civ, 24 mai 2011, n° 10-17.252 ; Cass, com, 5 novembre 2013, n° 12-14.645).   

Dans le cadre de cette formalité, le maître de l’ouvrage est parfaitement en droit d’exiger de l’entrepreneur principal la communication du contrat de sous-traitance (Cass, 3ème civ, 19 mai 2015, n° 14-11.914). 


Le maître de l’ouvrage, qui a connaissance de l’intervention d’un sous-traitant précis sur un chantier, doit mettre en demeure l’entrepreneur principal de s’acquitter de ses obligations (Cass, 3ème civ, 19 décembre 2012, n° 11-24.607 ; Cass, 3ème civ, 11 septembre 2013, n° 12-21.077). 

Même en cas de connaissance tardive de la présence d’un sous-traitant non agréé sur le chantier, le maître de l’ouvrage doit mettre en demeure l’entrepreneur principal de s’acquitter de ses obligations, quant bien même son refus d’acceptation aurait d’ores et déjà été manifesté par son refus de régulariser un acte de délégation de paiement (Cass, 3ème civ, 15 mai 2013, n° 12-16.343 ; 12-16.561). 

L’acceptation du sous-traitant et l’agrément de ses conditions de paiement peuvent donc intervenir à tout moment, même après l’exécution, voir la réception des travaux (Cass, 3ème civ, 16 septembre 2003, n° 02-13.366). 

Il s’entend que s’il n’a pas eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, ou s’il n’a pas eu le temps de faire des démarches auprès de l’entrepreneur principal, aucune faute ne peut être imputée au maître de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 29 mars 2011, n° 10-11.916 ; Cass, 3ème civ, 19 décembre 2012, n° 11-24.607). 

Dans le cadre de cette obligation d’acceptation et d’agrément, le maître de l’ouvrage se doit également de vérifier que le sous-traitant est bien en possession d’une des deux garanties principales exigées par la loi du 31 décembre 1975 (cautionnement ou acte de délégation de paiement), afin de lui garantir le paiement de son marché en cas de défaillance de l’entreprise principale. 

Cette obligation inclut la vérification non pas seulement de l’obtention d’un acte de cautionnement, mais également de la communication au sous-traitant de l’identité de l’organisme de caution et des termes de l’engagement souscrit (Cass, 3ème civ, 8 septembre 2010, n° 09-68.724 ; Cass, 3ème civ, 10 novembre 2021, n° 20-17.689 ; Cass, 3ème civ, 21 novembre 2012, n° 11-25.101 ; Cass, 3ème civ, 10 février 2010, n° 09-11.562). 

Le maître de l’ouvrage se doit donc de s’assurer de l’efficacité du cautionnement qui aura été délivré au sous-traitant.  

A défaut de mettre en demeure l’entreprise principale de s’acquitter de son obligation prévue à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975 en présence d’une sous-traitance non déclarée, et de s’assurer de l’existence et de l’efficacité de la garantie de paiement du sous-traitant, le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité à l’égard du sous-traitant sur le fondement des dispositions des articles 1240 du code civil et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.  

Le maître de l’ouvrage s’expose alors à une action en responsabilité du sous-traitant, afin d’obtenir, sous la forme de dommages intérêts, le paiement du montant du marché qui n’aura pas été réglé par l’entrepreneur principal (Cass, 3ème civ, 7 novembre 2012, n° 11-18.138).  

A toute fin, il sera rappelé que le maître de l’ouvrage délégué peut être tenu pour responsable du non-respect des dispositions protectrices du sous-traitant de la loi du 31 décembre 1975, au même titre que le maître de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 6 juillet 2010, n° 09-12.323). 

La mise en cause de la responsabilité du maître de l’ouvrage a alors pour limite le fait, qu’avant la date à laquelle il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, il a pu procéder au règlement de l’intégralité des travaux entre les mains de l’entrepreneur principal en exécution du marché dont il était tenu par les termes (Cass, 3ème civ, 13 juillet 2016, n° 15-20.779). 

Etant de bonne foi, puisque n’ayant pas eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier à la date de son paiement, le maître de l’ouvrage ne peut pas en effet être tenu de payer deux fois les travaux.  

Pour le reste, le simple fait de ne pas avoir la certitude d’être payé de ses travaux par l’entrepreneur principal constitue un préjudice suffisant pour que le sous-traitant soit déclaré recevable à mettre en œuvre l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 (Cass, 3ème civ, 28 mai 2013, n° 12-22.257 ; Cass, 3ème civ, 18 février 2015, n° 14-10.604 - n° 14-10.632).  

A toute fin, il sera rappelé que la jurisprudence considère que, selon les circonstances, le maître de l’ouvrage peut toujours engager une action récursoire contre la maîtrise d’œuvre pour ne pas l’avoir informé de l’existence sur le chantier d’un sous-traitant non agréé et des conséquences en découlant (Cass, 3ème civ, 14 avril 1999, n° 27-17.055).  

Dans le cas d’espèce, confronté à la défaillance de l’entreprise principale, le sous-traitant avait fait le choix de ne pas mobiliser la garantie de paiement dont il bénéficiait, mais avait préféré solliciter la nullité du contrat de sous-traitance pour défaut d’antériorité ou de concomitance de la garantie à la signature du contrat de sous-traitance.  

Il sera en effet rappelé que l’acte de cautionnement doit être délivré au plus tard le jour de la signature du contrat de sous-traitance à peine de nullité du contrat de sous-traitance, ce qui reste bien entendu une nullité relative, puisque de protection, dont seul le sous-traitant peut se prévaloir (Cass, 3ème civ, 22 octobre 2013, n° 12-26.250). 

Sur ce, le sous-traitant impayé entendait solliciter non pas seulement la condamnation de l’entrepreneur principal à lui payer le coût réel des travaux réalisés, du fait de la nullité du contrat de sous-traitance, mais également la condamnation du maître de l’ouvrage au paiement de dommages intérêts équivalents. 

Il était alors soutenu que le maître de l’ouvrage avait manqué à son obligation de vérification de l’efficacité de la garantie de paiement du fait de la tardiveté de sa délivrance, ce qui emportait la nullité du contrat de sous-traitance. 

Dans son arrêt en date du 6 juillet 2023, la Cour de cassation considère qu’en s’assurant de la délivrance d’un acte de cautionnement, lorsqu’il a connaissance de l’existence d’un contrat de sous-traitance, le maître de l’ouvrage satisfait à son obligation de vérification prévue par l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.  

La décision est éminemment juste et salutaire, puisqu’en définitive le sous-traitant ne souffre d’aucun préjudice du fait du caractère tardif de la remise de l’acte de cautionnement, dont la validité n’est pas remise en cause, ce que la Haute juridiction ne manque pas de relever en rappelant que la garantie de paiement lui bénéficiait toujours.  

La seule sanction consiste en la possibilité pour le sous-traitant de soulever la nullité de son contrat, sans qu’il soit pour autant obligé de le faire.  

Mais le sous-traitant aurait parfaitement pu mobiliser la garantie de paiement, afin d’être payé du montant des travaux réalisés en exécution de son contrat, ce qu’il n’a pas souhaité faire pour des raisons qui lui sont personnelles. 

C’est donc à bon droit que la Cour de cassation précise ici que l’obligation de vérification du maître de l’ouvrage, prévue à l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, et dont la méconnaissance peut être sanctionnée par une action en responsabilité quasi délictuelle, ne saurait s’étendre à la vérification du caractère préalable ou concomitant de la remise de l’acte de cautionnement au sous-traitant

 
Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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