Appréciation du caractère apparent du désordre à la réception et garantie décennale : la rigueur se confirme !
Publié le :
11/09/2024
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Il est constant que le maître d’ouvrage ne peut pas rechercher la responsabilité décennale du constructeur au titre d’un désordre qui était apparent à la réception, de plus fort s’il a fait l’objet de l’inscription d’une réserve (Cass, 3ème civ, 22 novembre 2013, n°13-10.281 ; Cass, 3ème civ, 21 juin 2000, n°98-20548).Pour autant, il est toujours possible au maître d’ouvrage d’agir sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, lorsqu’il est établi que les désordres ne se sont révélés, dans toute leur ampleur et leurs conséquences, que postérieurement au prononcé de la réception des travaux (Cass, 3ème civ, 3 décembre 2002, n°00-22.579).
Le sujet est d’importance, puisqu’il est également constant que si un désordre est apparent à la réception et qu’il ne donne pas lieu à l’inscription d’une réserve, le maître d’ouvrage perd alors le bénéfice de ses recours, par l’effet de purge, la réception des travaux couvrant en effet tout vice ou défaut de conformité apparent n’ayant pas fait l’objet de réserves (Cass, 3ème civ, 9 octobre 1991, n°87-18.226).
A cet égard, par un arrêt en date du 2 mars 2022 (Cass, 3ème civ, 2 mars 2022, n°21-10753, Publié au bulletin), la Cour de cassation a indiqué que c’est au maître d’ouvrage de rapporter la preuve que le désordre dont il est demandé réparation au titre de la garantie décennale des constructeurs n’était pas apparent au jour de la réception des ouvrages.
Il reste que très souvent, la jurisprudence s’est montrée plutôt bienveillante à l’égard des maîtres d’ouvrage, en considérant que le caractère apparent du vice devait s’apprécier subjectivement et donc en considération de la personne du maître d’ouvrage, qui n’est pas habituellement un professionnel de la construction (Cass, 3ème civ, 16 février 2022, n°21-12828 ; Cass, 3ème civ, 14 décembre 2022, n°21-19.377 ; n° 21-19.547).
Il reste que, par ses arrêts les plus récents, la Cour de cassation a manifesté le signe d’un retour à une certaine forme de rigueur.
L’arrêt qui a été en dernier lieu rendu le 5 septembre 2024 en est un bel exemple (Cass, 3ème civ, 5 septembre 2024, n°23-11.077).
Un couple a confié à un constructeur de maisons individuelles, assuré auprès de la société ABEILLE IARD & SANTE, la réalisation d’une maison d’habitation avec sous-sol dans le cadre d’un contrat de construction de maisons individuelles en date du 23 décembre 2006.
Peu avant la réception des travaux, les maîtres de l’ouvrage ont signalé au constructeur la présence d’infiltrations notamment dans le sous-sol de la construction, ce qui a donné lieu, à l’issue d’une réunion le 15 juin 2009, à la régularisation d’un protocole d’accord le 1er juillet 2009, dans le cadre duquel le constructeur s’est engagé à réaliser un certain nombre de travaux tendant pour l’essentiel à assurer l’imperméabilisation des murs enterrés de la construction.
Les ouvrages ont été réceptionnés sans réserve avec l’objet du litige le 29 juillet 2009.
Se plaignant à nouveau de désordres d’infiltrations dans le sous-sol de leur maison d’habitation, les maîtres de l’ouvrage ont, à l’issue d’une expertise judiciaire ayant démontré l’inefficacité des travaux réalisés et le non-respect des termes du protocole d’accord, fait assigner en 2014 le constructeur de maisons individuelles devant le Tribunal de grande instance de Dieppe, afin de solliciter sa condamnation à les indemniser de leurs différents chefs de préjudices.
Le constructeur ayant été placé en liquidation judiciaire en septembre 2016, les maîtres de l’ouvrage ont régularisé la procédure au contradictoire de son assureur RC décennale, la société ABEILLE IARD & SANTE, et du liquidateur judiciaire.
Après avoir auditionné à l’audience (ce qui est suffisamment rare pour le signaler) l’expert judiciaire et son sapiteur géotechnicien, qui avait été sollicité pour déterminer l’origine des rétentions d’eau présentes dans le sous-sol de la maison d’habitation, notamment en périodes d’intempéries, et de définir les travaux réparatoires, le Tribunal de grande instance de Dieppe, par un jugement en date du 29 novembre 2018, a condamné l’assureur RC décennale du constructeur a indemniser les maîtres de l’ouvrage de leurs préjudices sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du code civil.
Au soutien de son appel, l’assureur soutenait que le désordre étant parfaitement connu des maîtres de l’ouvrage, au moins depuis la réunion du 15 juin 2009, ayant de surcroît donné lieu à la signature d’un protocole d’accord le 1er juillet 2009, soit avant le prononcé de la réception des ouvrages, sa garantie RC décennale ne pouvait pas être mobilisée, qui plus en l’absence de réserve à ce sujet sur le procès-verbal de réception.
Sur ce, l’assureur soutenait que seule la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur, en liquidation judiciaire, était susceptible d’être engagée, du fait de l’inexécution des causes du protocole d’accord, ce dont il n’avait pas à répondre en sa seule qualité d’assureur RC décennale.
Par un arrêt en date du 24 août 2022, la Cour d’appel de Rouen (Cour d’appel de Rouen, 24 août 2022, n°19-00648) a infirmé le jugement entrepris et a rejeté les demandes indemnitaires, prononçant ainsi la mise hors de cause de l’assureur.
Ce faisant, les juges d’appel ont considéré que les maîtres de l’ouvrage avaient une connaissance des désordres à l’origine des infiltrations dont ils se plaignaient par la signature du protocole d’accord en date du 1er juillet 2009, soit antérieurement au prononcé de la réception des ouvrages le 29 juillet 2009, lors de laquelle ils n’avaient posé aucune réserve.
Pour autant, il est tout à fait clair que le sujet ne portait pas sur l’absence de réserve à la réception, mais sur le caractère suffisamment connu du désordre par le maître de l’ouvrage au jour du prononcé de la réception.
C’est bien la raison pour laquelle, au soutien de leur pourvoi en cassation, les maîtres de l’ouvrage soutenaient pour l’essentiel qu’ils étaient parfaitement fondés à agir sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs pour des défauts dont ils avaient eu connaissance avant la réception des ouvrages, dès lors qu’ils ne s’étaient révélés que postérieurement dans toute leur ampleur et leurs conséquences par la survenue de nouvelles inondations dans le sous-sol.
Par son arrêt de rejet en date du 5 septembre 2024, la Haute juridiction a considéré que dans la mesure où les maîtres de l’ouvrage avaient régularisé un protocole d’accord prévoyant la mise en œuvre de divers travaux ayant pour objet de mettre un terme aux infiltrations par les drains et les murs, c’était à bon droit que les juges d’appel avaient pu souverainement considérer qu’ils avaient connaissance dans toute son ampleur du désordres d’infiltrations à l’origine d’inondations du sous-sol dès la conclusion du protocole, de sorte que « ce désordre n’ayant pas été réservé lors de la réception le 29 juillet 2009, les conditions de mise en œuvre de la garantie décennale n’étaient pas réunies. »
Si l’on peut regretter la formulation maladroite relative à l’absence d’inscription de réserve à la réception, dès lors que la présence d’une réserve aurait en tout état de cause exclu le bénéfice de la garantie décennale, il doit être retenu que la Cour de cassation confirme ainsi la rigueur qu’elle entend imprimer à l’appréciation de la connaissance du désordre par le maître de l’ouvrage, dans toute son ampleur, au jour du prononcé de la réception.
Cet arrêt peut être rapproché d’un autre arrêt rendu le 25 mai 2023 (Cass, 3ème civ, 25 mai 2023, n°22-10.734), dont l’attendu était déjà très intéressant en ce qu’il annonçait la volonté de la Haute juridiction de sanctionner les appréciations excessivement bienveillantes à l’égard de maîtres de l’ouvrage dont la bonne foi pouvait être mise en doute, à défaut de sanctionner une naïveté coupable :
« … la cour d’appel, qui a constaté que les acquéreurs avaient émis des réserves à la réception sur l’étanchéité à l’air des menuiseries, a souverainement retenu que, si les désordres réservés étaient de nature évolutive dès lors qu’ils étaient appelés à s’aggraver avec l’usage normal des fenêtres, ils étaient en germe et prévisibles dans leur ampleur et leurs conséquences dès la réception, le défaut d’étanchéité à l’air alors signalé emportant nécessairement un défaut d’étanchéité à l’eau, de sorte que ceux-ci étaient apparents à la réception ».
« Ella a exactement déduit de ce seul motif que, relevant de la garantie des vices apparents, ces désordres ne pouvaient pas faire l’objet d’une action fondée sur la garantie décennale ».
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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