Musique en ligne : Le lancement du portail «Armonia» par la SACEM

Publié le : 05/01/2013 05 janvier janv. 01 2013

Alors qu'un projet de directive se dessine à l'échelle européenne afin de promouvoir l'usage de la musique sur Internet, la France, l'Espagne et l'Italie créent le portail ARMONIA.

Les lignes bougent, sous l’impulsion du droit de l’Union Européenne…Qui n’a jamais pesté, comme amateur de musique, contre l’étroitesse des catalogues de musique en ligne (ex, Apple ou Amazon, Spotify, Deezer, etc.), le peu de concurrence du marché et les prix peu attractifs, à l’heure où nos disquaires de quartier ont été remplacés par un Nicolas ou un Sushi Shop, et où le mythique Virgin des Champs-Elysées fait faillite ?

Je parle bien sûr de ceux qui, comme votre serviteur, ne font pas profession de télécharger ou écouter illégalement de la musique sur internet, par principe et respect des créateurs, ou n’ont pas le goût de télécharger des logiciels pirates qui inondent le bel ordinateur familial de virus à tête de mort, ni de surfer sur des sites abreuvant tout un chacun de pop-up en cascade et autres publicités suggestives.

La situation s’est grandement améliorée ces dernières années (1), bien sûr, avec plus de 20.000.000 de titres déjà en accès, mais le marché évolue lentement, trop lentement au regard de la rapidité à laquelle le monde du numérique avance.

Les raisons de cette lenteur ou de ce blocage frustrant sont nombreuses et complexes.

Une des raisons principales est juridique et tient, pour simplifier, au fait que les plateformes de musique en ligne doivent, pour lancer un service compétitif mais aussi proposer des modèles commerciaux ou de services innovants, couvrir une multitude de pays et proposer un répertoire d'œuvres étendu.

Or les plateformes de diffusion peinent à obtenir les licences nécessaires pour lancer des services à l'échelle de l'Union, ceci en raison du fait que les catalogues et les droits sont morcelés entre plus de 250 sociétés de gestion collective de droits d’auteur (ex, pour la France, la SACEM - Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique) dont le rôle consiste précisément à concéder des licences et à percevoir les redevances pour les redistribuer ensuite aux titulaires des droits.

Il est donc difficile, et souvent long et onéreux, de négocier l'obtention d'une licence avec chacune, et cette situation a freiné l’émergence de modèles innovants de diffusion et limite toujours l'offre de services accessible aux consommateurs.

Un des leviers pour sortir de l’impasse est d’assouplir les procédures d’obtention, par les plateformes de musique en ligne, de licences multi-territoires sur les répertoires musicaux.

Consciente de la difficulté, la Commission Européenne en fait depuis plusieurs années l’un de ses objectifs principaux pour faire bouger le marché (voir la recommandation 2005/737/EC du 18 octobre 2005 relative à la gestion collective transfrontière du droit d’auteur et des droits voisins).

Le 11 juillet 2012, la Commission a adopté à ce titre une proposition importante de directive sur la gestion collective des droits et sur l'octroi de licences multi-territoriales et multi-répertoires pour les utilisations de musique en ligne au sein de l’Union Européenne : selon la Commission, « La proposition de directive [a] pour objectif de faciliter l'octroi de licences de droits d'auteur pour l'utilisation de la musique sur Internet. Ceci devrait aboutir en un meilleur accès et une plus grande offre de musique en ligne» (2).

Une large partie de la directive vise d’abord à «promouvoir la transparence et améliorer la gouvernance des sociétés de gestion collective en renforçant leurs obligations d'information et le contrôle de leurs activités par les titulaires de droits, de manière à créer des incitations à la prestation de services plus innovants et de meilleure qualité » (source : http://ec.europa.eu).

Et sur cette base, s’agissant des licences multi-territoriales, la Commission, après avoir examiné et évalué différentes options y compris le statu quo (3), retient l’idée du «passeport européen de licence » (option B2, pour les experts) destiné à favoriser l'agrégation des répertoires, sur la base d’accords contractuels, pour l'utilisation en ligne des œuvres musicales au niveau de l’Union, ainsi que « la concession de licences de droits à travers des infrastructures de licences multiterritoriales efficaces et réactives».

Pour ce faire, le projet de directive «exige que les sociétés de gestion collective souhaitant obtenir une licence pour les droits en ligne d'œuvres musicales sur une base multiterritoriale respectent un ensemble prédéfini de conditions destinées à garantir des capacités suffisantes en matière de traitement des données et de facturation, la conformité avec certaines normes en matière de transparence concernant les titulaires de droits et les utilisateurs et des moyens pour recourir à un mécanisme de résolution des litiges» : Capacité à traiter les licences multiterritoriales (article 22), Transparence de l’information sur les répertoires multiterritoriaux (article 23), Exactitude de l’information sur les répertoires multiterritoriaux (article 24), Exactitude et rapidité des déclarations et de la facturation (article 25), Exactitude et rapidité du paiement aux titulaires de droits (article 26).

Ce qui va conduire, et c’était souhaitable, certaines grandes sociétés de gestion collective à la gestion plutôt opaque, à se reformer.

Quant aux petites sociétés de gestion collective qui ne peuvent ou ne veulent assurer la gestion de licences de leurs répertoires sur une base multiterritoriale, que ce soit par manque de ressources financières ou humaines, le projet de directive leur donne le droit de les faire gérer par une société de gestion collective tierce qui ne pourra s’y opposer si le service de licence paneuropéenne est déjà proposé par elle, et devra gérer ce répertoire tiers sans appliquer des frais de gestion ou des marges déraisonnables.

L’idée étant donc d’éviter que les petites sociétés de gestion soient exclues du marché de la musique en ligne.

Dans la grande bataille de la concurrence qui a déjà commencé entre les grandes sociétés de gestion collective, les français, espagnols et italiens, sous l’impulsion de ce projet de directive, ont choisi de ne pas attendre l’adoption de la directive et encore moins sa transposition en droit national : ils ont choisi de prendre l’avantage et de marquer leur leadership avec le lancement, en novembre 2012, du portail «ARMONIA» par la SACEM, la SGAE (Espagne) et la SIAE (Italie).

Voici la présentation faite par la SACEM de ce nouveau portail, passé inaperçu du grand public, mais pas du milieu professionnel de la musique et des droits d’auteur : «ce "hub" (guichet unique) rassemble les œuvres dont les droits sont gérés par la SACEM (représentant UMPI), la SGAE (représentant Sony Latino Peer Latino et SPA) et la SIAE. Les utilisateurs se voient ainsi offrir la possibilité d'obtenir plus facilement des licences multi-territoires pour exploiter un répertoire majeur. Ce guichet unique couvre l'exploitation en ligne et/ou les utilisations mobiles sur un territoire constitué de 35 pays» (source : communiqué de presse de la SACEM).

Il est certain que la création d’ARMONIA est une initiative en phase avec les réformes en cours sur la gouvernance et le mode de fonctionnement des sociétés de gestion collective, mais aussi le système d’octroi de licences multi-territoriales dans l’Union Européenne. Et ce portail devrait contribuer à favoriser une délivrance plus rapide de licences multi-territoires sur des droits musicaux et peut-être l’émergence de nouveaux modèles commerciaux.

Est-il pour autant conforme au droit de l’Union ? Il est trop tôt pour le dire.

Ceci étant, ce qui retient plus encore l’attention est, non pas le lancement lui-même de ce portail qui était attendu depuis plusieurs mois, que le fait qu’il s’accompagne de l’annonce d’un premier gros client, et pas n’importe lequel : Google.

Les sociétés d’auteur membres d’ARMONIA ont en effet signé le 1er novembre 2012 un premier accord avec Google Music, offrant l’accès par ses différents services, dont Google Music Play, Locker et VOD aux répertoires « riches de plus de 5,5 millions d’œuvres partout en Europe et, pour certains de ces répertoires, dans les pays asiatiques, le Moyen-Orient et la péninsule arabique, l’Afrique et le sous-continent indien" (source : communiqué de presse de la SACEM).

S’agissant d’ARMONIA, il ne s’agit pas d’une plateforme de B to C, mais de B to B, entre professionnels, entre les sociétés de gestion collective et les plateformes de diffusion de musique en ligne : Vous n’irez pas télécharger vos titres sur ARMONIA.

Mais il est permis d’espérer qu’avec le lancement de ce portail, et les accords qui suivront avec d’autres plateformes de diffusion, voit le jour une offre légale plus variée, plus complète, plus concurrentielle et plus attractive sur le plan financier.

C’est heureux, car l’immobilisme est un formidable allié du piratage qui gangrène chaque jour ce secteur majeur de l’économie européenne.

Dans le marché de la musique en ligne, les lignes bougent … sous l’aiguillon de l’Union Européenne.

Notes de bas de page:

1) Voir le très intéressant rapport de l’Observatoire de la musique « Etat des lieux de l'offre numérique » en France au premier semestre 2012, à partir de l'analyse détaillée d'un échantillon de 100 services de musique en ligne
2) source : http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/management/index_fr.htm)
3)source:http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/docs/management/impact_assesment_resume-com-2012-3722_fr.pdf





Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

HERPE François
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
PARIS (75)
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