Lanceur d'alerte

Lanceurs d’alerte : précisions sur le contrôle du juge

Publié le : 29/09/2023 29 septembre sept. 09 2023

Par un arrêt de la Chambre sociale en date du 1er juin 2023, la Cour de cassation précise à quelles conditions l’auteur de la dénonciation d’un délit ou d’un crime en entreprise peut bénéficier du statut de lanceur d’alerte. 
Le 6 décembre 2014, M.X avait été engagé en qualité de directeur d’exploitation et superviseur de site par une société. Il était en outre associé de cette société, détenant 15% des parts sociales. 
Le 27 décembre 2017, il a adressé un courriel au Président de la société pour manifester son désaccord avec la mise en place d’une carte de fidélité. 
Le 5 mars 2018 il a été licencié pour faute grave et insuffisance professionnelle. 

Il a saisi la juridiction prud’homale. 

Par arrêt du 16 décembre 2021, la Cour d’appel de Dijon, a déclaré le licenciement nul, au motif qu’il était constitutif, au moins en partie, à une dénonciation d’un fait pouvant recevoir une qualification pénale. 

En vertu des articles L1132-3-3 et L1132-4 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect des dispositions de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016. 

Sur le fondement de ces articles et pour annuler le licenciement, la Cour d’appel a relevé que : 

1) Le salarié avait adressé le 27 décembre 2017 un courriel au président pour manifester son désaccord concernant la vente ou l’offre d’une carte de fidélité en indiquant que la légalité de la procédure lui semblait douteuse et qu’en tant qu’associé, il ne s’y retrouvait pas dès lors que cette opération supprimait du chiffre d’affaires ;

2) Que la lettre de licenciement reprochait au salarié la dénonciation faite le 27 décembre 2017 et la qualifiait de stratagème utilisé sous forme de menace et chantage dans le cadre d’une réunion prévue le 25 janvier 20018 pour obtenir une rupture conventionnelle et la négociation du rachat de ses parts. Et faisait donc état de la dénonciation de faits pouvant recevoir une qualification pénale. 

3)  Que la bonne foi du salarié qui dénonce un délit est présumée et que l’employeur n’apporte pas d’éléments probants renversant cette présomption. 

Ainsi, le grief énoncé dans la lettre de licenciement emporte la nullité du licenciement. 

Par un arrêt de la Chambre sociale du 1er juin 2023, la cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon au motif qu’elle n’avait pas constaté que le salarié avait, dans le courriel litigieux, relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime ni que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par ce message, le salarié dénonçait de tels faits. 

Ainsi, pour la Cour de cassation, la dénonciation d’une procédure qui semble douteuse ne suffit pas à attribuer le statut protecteur de lanceur d’alerte

La formule usée par la Cour de cassation dans cet arrêt ajoute un élément nouveau à sa jurisprudence antérieure : pour que la nullité du licenciement puisse être prononcée, l’employeur ne doit pas pouvoir légitimement ignorer que le salarié dénonçait des faits susceptibles d’une qualification pénale. 

Cette appréciation est restrictive dans la mesure où la dénonciation des faits ne doit pouvoir laisser subsister le moindre doute. 

L’orientation du juge peut donc priver le salarié d’une protection offerte par la loi en cas de dénonciation trop imprécise, flou ou ambiguë alors même qu’il ne sait souvent rien de précis sur les éléments exigés par le texte d’incrimination qui devrait s’appliquer aux faits dénoncés. 

Désormais, le salarié qui souhaite bénéficier du statut de lanceur d’alerte devra veiller à rédiger ses courriers de manière ni trop imprécise ni trop floue ni trop ambiguë !


Cet article n'engage que son auteur.
 

Auteur

Judith LEWERTOWSKI
Avocate
CORNET, VINCENT, SEGUREL PARIS
PARIS (75)
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