Bail commercial: clause résolutoire et mauvaise foi du bailleur

Publié le : 30/03/2017 30 mars mars 03 2017

La clause résolutoire est une technique contractuelle simple permettant au bailleur de résilier efficacement le bail en cas de manquement du locataire à ses obligations.

Couramment insérée dans les baux commerciaux, elle revêt une automaticité avantageuse pour le Bailleur qui n’a plus besoin de soumettre à l’appréciation du juge la gravité de la faute alléguée par une démonstration parfois longue et risquée sur le fondement de l’article 1741 du Code Civil et des nouveaux articles 1224 et suivants du Code Civil, issus de l'ordonnance n°2016-131 en date du 10 février 2016.

Le Bailleur peut ainsi faire constater judiciairement la résiliation du bail un mois après la signification du commandement au preneur lui enjoignant de respecter l’obligation à laquelle il ne défère pas (L145-41 du Code de Commerce).

En effet, si une clause résolutoire a été stipulée, le juge doit en principe constater l’existence et la persistance de l’infraction sans pouvoir en moduler les conséquences et sans contrôle d'opportunité (Civ 3ème 3 avril 2012 n°11-15378 ; CA MONTPELLIER, 5ème Section A 10 mars 2016 n°15/03187). Les conséquences n'en sont pas moins graves puisque l'acquisition de la clause résolutoire entraîne l'expulsion et la perte du fonds de commerce exploité dans les lieux loués.

Or, en pratique l'objet de la clause résolutoire peut être détourné par le Bailleur qui y voit à travers elle, le moyen de se défausser de ses propres obligations ou encore de contourner la protection particulière (L145-1 du C.com) et d'ordre public (L145-15 C.Com) accordée à la propriété commerciale.

Pour faire échec à de tels agissements déloyaux, la Cour de cassation impose au juge du fond de s'interroger sur les circonstances de la mise en œuvre de cette clause permettant de déceler une éventuelle attitude abusive du bailleur (Civ 3ème 23 juin 2015 n°14-12606).

En effet, la clause résolutoire, simple prérogative contractuelle et non la substance même du contrat (paiement du loyer contre jouissance des lieux), peut, par le prisme de la bonne foi contractuelle être neutralisée (Civ 3ème 15 décembre 1976 Bull. civ. III n°465 ; Civ 3ème 31 mars 2009 n°08-12047).

De fait, la mise en œuvre de la clause résolutoire suppose la réunion de deux  conditions : d’une part une faute imputable au preneur couverte par le champ de la clause résolutoire (non-paiement de loyer, défaut d’assurance, réalisation de travaux sans autorisation etc.), et d’autre part, une invocation de bonne foi par le bailleur.

La vérification de cette dernière condition permet en pratique au juge du fond de retrouver un véritable pouvoir d’appréciation.

L’arrêt de la troisième Chambre Civile de la Cour de cassation en date du 1er décembre 2016 (pourvoi°15-25884) rappelle le caractère éminent de cette seconde condition. La Haute juridiction ne manque pas de sanctionner la Cour d'appel de Paris pour défaut de base légale puisque celle-ci a omis de « rechercher comme il le lui était demandé, si la clause résolutoire n'avait pas été mise en oeuvre de bonne foi ».

En l'espèce, des locaux à destination de bureaux et de show-room avaient été donnés à bail commercial à une société. Peu de temps après l’entrée dans les lieux, la Préfecture de police de Paris avait exigé une mise en conformité des locaux qui impliquait la réalisation de travaux à la charge du Bailleur. Contrairement à ses obligations, ce dernier refusait de s’exécuter empêchant son locataire d'exercer son activité. 

Face à cette inertie, le Preneur avait fini par suspendre le paiement des loyers et le Bailleur avait fait délivrer un commandement visant la clause résolutoire d’avoir à payer l’arriéré de loyer trimestriel dès le premier impayé. Parallèlement, le preneur avait pris l'initiative d'une procédure en vue de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail aux torts du bailleur et d'obtenir la restitution de son dépôt de garantie.

Le Tribunal avait fait droit à ses demandes en retenant que le Bailleur ne pouvait s'exonérer de son obligation de délivrance (article 1719 du code civil).

Cette décision avait été réformée par la Cour d'appel de Paris qui redonnait pleine efficacité à la clause résolutoire en jugeant que le preneur ne pouvait suspendre l’exécution de ses propres obligations sans demander à y être autorisé.

La Cour décidait d’appliquer froidement la clause résolutoire en l’état de l’absence de paiement sans s’interroger sur les circonstances motivant le Bailleur qui pouvaient être celles de contourner son obligation de délivrance conforme ou à tout le moins d'éviter qu'il ne soit statuer sur son inaction.

Or, la mauvaise foi du bailleur était susceptible d'être caractérisée puisque ce dernier connaissait la destination du local stipulée dans le bail, laquelle exigeait une mise en conformité. Cette absence de contrôle a logiquement été sanctionnée par la Cour de Cassation.

La solution n'est pas nouvelle. Par exemple, pour des faits similaires, la Cour d'appel de Nancy avait pris soin de s'interroger sur les circonstances entourant la mise en oeuvre de la clause résolutoire avant d'en écarter l’application, faute pour le bailleur d'avoir satisfait à son obligation de délivrance des lieux loués (CA NANCY Ch. Com 4 mai 2016 n°15/00608).

Dans d'autres hypothèses, l'acquisition de la clause résolutoire a pu être écartée notamment :
 
  • lorsque le bailleur met en demeure le preneur qu’il sait légitimement absent (Civ 3ème 16 octobre 1973 n°72-11956).
     
  • lorsque le bailleur poursuit sa demande de résiliation de bail pour défaut de production de l'attestation d'assurance dans le délai imparti, tout en sachant son preneur assuré. (Civ 3ème 13 avril 1988 n°87-10516 ; CA PARIS Pôle 4 Ch 4. 4 avril 2014 RG 12/17882).
     
  • Ou encore, lorsque le Bailleur fonde sa demande de résolution sur le constat d’une activité développée au-delà de la destination stricto sensu du bail mais implicitement autorisée par ses soins (CA AIX EN PROVENCE 11eCh A. 24 mars 2014 n°2014-006857).

En conclusion, le principe de bonne foi connaît un renforcement certain en droit positif puisqu'il connait depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 n°2016-131 une consécration textuelle autonome dans le Code Civil.

L'article 1104 du Code Civil dispose en effet que : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.» Auparavant, le même principe était énoncé au troisième alinéa de l'article 1134 du Code Civil tantôt entendu comme un continuum de la force obligatoire du contrat, tantôt comme un mécanisme d'équité pouvant venir au secours de la partie faible.

En définitive, le recours à la bonne foi contractuelle, est un véritable outil permettant de mettre en échec la clause résolutoire utilisée à des fins détournées par le Bailleur. Le caractère systématique du contrôle que semble imposer la Cour de Cassation ne peut qu'être approuvé au regard des dérives possibles et des conséquences économiques irréversibles de la résolution du bail commercial.


Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo: © kotoyamagam - Fotolia.com

 

Auteur

MONTEIL Nicolas
Avocat Counsel
SCP DRUJON d'ASTROS & ASSOCIES
AIX-EN-PROVENCE (13)
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