Centres médicaux sociaux

Les gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont pas (toujours) des pouvoirs adjudicateurs

Publié le : 17/06/2024 17 juin juin 06 2024

Par un avis du 11 avril 2024 (CE, avis, 11 avr. 2024, n° 489440), le Conseil d’Etat a considéré que le droit de la commande publique ne s’appliquait pas aux établissements et services sociaux et médico-sociaux.
Faut-il considérer pour autant qu’une telle solution a vocation à être généralisée et permettrait d’affirmer que l’intégralité de ces établissements seraient exclus, par principe, du droit de la commande publique ?

Assurément non.

Rappelons que la qualification de pouvoir adjudicateur, indispensable à l’application du droit de la commande publique, suppose, s’agissant des personnes morales de droit privé, de respecter les conditions fixées par l’article L. 1211-1 2° du Code de la commande publique.

Aux termes de cette disposition :

« Les pouvoirs adjudicateurs sont :

1° Les personnes morales de droit public ;

2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dont :
a) Soit l'activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ;
b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ;
c) Soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ;

3° Les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun. »».

Sont également qualifiées de pouvoirs adjudicateurs les personnes de droit privé constituées par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun (point 3° de l’article précité, non concerné par le présent article).

Pour déterminer si une personne morale de droit privé doit être soumise au droit de la commande publique, il convient en premier lieu de déterminer si celle-ci a été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial.

Sans revenir en détail sur cette notion, laquelle fait l’objet d’une abondante jurisprudence communautaire, une pluralité d’indices permettent de se prononcer sur la nature de l’activité exercée, et tout particulièrement l’environnement concurrentiel dans lequel l’organisme exerce son activité, son absence de but lucratif et l’absence de risque financier et d’exigence de rentabilité de l’organisme en cause.

Une fois cette première condition remplie, il convient de déterminer le degré de dépendance de l’organisme en cause avec d’autres pouvoirs adjudicateurs.

Il convient ainsi de déterminer si l’une au moins des trois conditions suivantes est remplie :

- l’activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur,

- sa gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur,

- l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de cet organisme est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur.

En d’autres termes, le droit de la commande publique s’appliquera à cet organisme s’il peut être démontré qu’un pouvoir adjudicateur exerce un contrôle actif de sa gestion, remettant en cause son autonomie au point de permettre à cette autorité d’influer ses décisions en matière d’attribution de marchés (CJCE 27 février 2003, Adolf  Truley GmbH, C-373/00, point 69).

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a été saisi d’une demande d’avis par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, laquelle devait déterminer, dans le cadre d’un litige relatif au versement d’une subvention du FEDER, si les institutions sociales et médico-sociales privées, gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux, faisaient l’objet, au regard de leur encadrement prévu par le Code de l’action sociale et des familles, d’un contrôle actif de gestion par un pouvoir adjudicateur au sens et pour l’application de l’article L. 1211-1 2° b) du Code de la commande publique.

Une réponse positive devait conduire à l’application du droit de la commande public à cet établissement.

Après avoir examiné notamment le régime de ces établissements et services sociaux et médico-sociaux et le rôle imparti aux diverses autorités intervenant en matière de tarification, de garanties d’emprunt et de programmes d’investissement, le Conseil d’Etat considère que ces établissements ne sont pas, au regard de ces dispositions, soumises à un contrôle actif de leur gestion permettant aux autorités publiques d’influencer leurs décisions en matière d’attribution de marchés :

« Il résulte de l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires mentionnées au point précédent que les personnes morales de droit privé gestionnaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux énumérés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, y compris les organismes à but lucratif, ne sont soumises qu'à un contrôle de régularité, y compris lorsqu'est en cause, s'agissant des établissements à but non lucratif, des dysfonctionnements dans leur gestion financière. Si certains de ces contrôles, en matière de garantie d'emprunt et de programmes d'investissements, sont exercés a priori, ils sont destinés à garantir le respect de la réglementation tarifaire et n'ont, pas davantage que les autres contrôles, pour objet ou pour effet de remettre en cause l'autonomie de gestion de ces personnes privées. Les établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sont ainsi pas soumis, du fait de ces dispositions, à un contrôle actif de leur gestion permettant aux autorités publiques d'influencer leurs décisions en matière d'attribution de marchés. »

C’est donc uniquement sur le fondement de l’article L. 1211-1 8° b) que le Conseil d’Etat écarte la qualification de pouvoir adjudicateur à ces organismes et par voie de conséquence, leur soumission au droit de la commande publique :

« Le contrôle exercé par l'administration sur ces organismes n'est pas de nature à créer une situation de dépendance à l'égard de l'autorité publique, équivalente à celle qui existe notamment lorsque l'organe de direction de la personne morale de droit privé est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur. Les gestionnaires de droit privé des établissements et services sociaux et médico-sociaux ne sauraient dès lors être regardés comme un pouvoir adjudicateur au sens du b) du 2° de l'article L. 1211-1 du code de la commande publique. »

Une telle solution ne peut donc faire l’objet d’une systématisation sans s’interroger sur la possibilité pour ces mêmes organismes d’être qualifiés au cas par cas de pouvoirs adjudicateurs au regard des autres critères fixés par l’article L. 1211-1 2° du Code de la commande publique.

Un établissement social et médico-social pourrait ainsi se voir qualifié de pouvoir adjudicateur :

- si sa gouvernance est composée de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur,

- si son activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur.

Sur ce dernier point, il convient toutefois d’exclure du calcul de cette part de financement majoritaire les recettes perçues par ces organismes au titre de la tarification de leur activité, un tel financement consistant en la rémunération d’une prestation de services (CJUE, 12 septembre 2013, IVD GmbH & Co. KG, aff. C-526/11, cons. 22).

En synthèse, si l’avis rendu par le Conseil d’Etat le 11 avril 2024 permet d’exclure du champ d’application de la commande publique un grand nombre d’établissements sociaux et médicosociaux, il ne permet pas de faire l’économie d’un examen attentif au cas par cas en fonction de la situation précise de chacun de ses organismes.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Clément GOURDAIN
Avocat
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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