La clause de conciliation préalable dans les contrats d'architectes
Publié le :
30/09/2015
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Depuis un arrêt de principe du 14 février 2003 (Cass, Chambre mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423), la Cour de Cassation valide la licéité des clauses de conciliation préalable dans les conventions d’architectes, tout en considérant que leur méconnaissance constitue une fin de non-recevoir au sens des articles 123 et suivants du Code de procédure civile, de telle sorte que le moyen peut-être opposé en tout état de cause, y compris pour la première fois en cause d’appel, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un grief.Selon l'arrêt du 14 février 2003: « La clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir affectant en conséquence le droit d’action en justice. »
Le principe ainsi retenu par la Cour de Cassation s’étend bien évidemment à tous les contrats.
I – LE DEFAUT DE MISE EN OEUVRE DE LA CLAUSE DE CONCILIATION PREALABLE CONSTITUE UNE FIN DE NON-RECEVOIR :Depuis l’arrêt rendu le 14 février 2003, la jurisprudence n’a eu de cesse de rappeler que la méconnaissance par une partie de la clause de conciliation préalable constitue une fin de non-recevoir (Cass, com, 22 février 2005, n° 02-11.519), renforçant ainsi la force obligatoire du contrat qui trouve sa source dans l’article 1134 alinéa 1er du Code civil, dont il résulte que la convention fait la loi entre les parties.
« La solution affirmée par la Cour de Cassation s’avère pour le moins radicale, une fin de non-recevoir d’origine conventionnelle peut donc paralyser le droit d’action en justice, fût-ce à titre provisoire. » (Nicolas GERBAY – La clause de conciliation préalable : entre tensions contractuelles et personnelles – Procédures, revue mensuelle lexis nexis juris classeur, juillet 2015, p. 7).
Il est vrai que la difficulté aurait pu être traitée différemment.
On sait en effet que le Décret du 11 mars 2015, modifiant les articles 56 et 58 du Code de procédure civile, impose désormais au requérant de justifier des diligences qui ont été entreprises pour parvenir à une résolution amiable du différend.
Pour autant, le non respect de cette prescription légale n’est pas sanctionné par l’irrecevabilité de la demande, mais ouvre simplement la possibilité pour le juge d’imposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation en cours d’instance, ce qui renvoi aux dispositions de l’article 127 du Code de procédure civile, qui permettaient déjà aux parties de se concilier à l’initiative du juge en cours de procédure.
Pareille disposition aurait parfaitement pu être adoptée en cas de méconnaissance d’une source cette fois-ci conventionnelle de conciliation préalable.
Tel n’est manifestement pas le sens de la jurisprudence, qui considère tout au contraire que, dès lors que la clause est licite et opposable, il s’impose au maître de l’ouvrage de la respecter avant d’engager toute action au fond.
Et alors même que l’article 126 du Code de procédure civile laisse la possibilité de régulariser une fin de non-recevoir lorsque la situation le permet, la Cour de Cassation considère très clairement et de manière très pragmatique, que la situation en découlant ne peut pas être régularisée en cours de procédure.
C’est une position contraire que la Cour de Cassation avait tout d’abord adoptée par deux arrêts rendus en 2010 et 2011 (Cass, 2ème civ, 16 décembre 2010, n° 09-71.575 et Cass, com, 3 mai 2011, n° 10-12.187) :
« Viole l’article 126 du Code de procédure civile la cour d’appel qui accueille cette fin de non-recevoir, alors qu’à la date à laquelle elle a statué, la cause d’irrecevabilité avait disparu, les demandeurs ayant mis en œuvre dans les formes requises par le compromis de vente la procédure de conciliation et, après constatation de son échec par le tiers désigné, ayant réitéré leurs demandes devant le juge. »
Cette position allait dans le sens d’une analyse extensive de la possibilité offerte par le texte de régulariser l’omission d’une démarche préalable obligatoire, de nature légale ou conventionnelle, à la mise en œuvre d’une action judiciaire.
C’est ainsi notamment que la Cour de Cassation a été amenée à déclarer recevable, en application des dispositions de l’article 126 du Code de procédure civile, l’action directe d’un sous-traitant ayant assigné en paiement du solde de son marché le maître d’ouvrage, sans avoir au préalable mis en demeure l’entrepreneur principal de s’en acquitter, selon la procédure prévue par la loi du 31 décembre 1975, dès lors que ce dernier avait été mis en demeure et que le maître d’ouvrage avait reçu copie de la mise en demeure, certes après la délivrance de l’assignation au fond, mais plus d’un mois avant que le tribunal ne statue (Cass, 3ème civ, 29 février 1984, Bull.civ. III, n° 56).
Mais la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence par un arrêt de principe de la Chambre mixte en date du 12 décembre 2014 (Cass, Chambre mixte, 12 décembre 2014, n° 13-19.684), en indiquant :
« Mais attendu que la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle qui institue une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance. »
Il est vrai que, sauf à faire perdre tout son sens à une clause dont les parties ont convenu du caractère contractuel entre elles, il serait assez surprenant de permettre une régularisation en cours d’instance, alors qu’elle a tout précisément pour objet d’être exercée avant la saisie du juge pour favoriser un règlement amiable.
C’est très certainement la raison pour laquelle la Cour de Cassation procède à une lecture très stricte de l’article 126 du Code de procédure civile et considère que la situation donnant lieu à une fin de non-recevoir n’est pas susceptible d’être régularisée.
Bien entendu, l’intention n’est pas sans arrière pensée et s’inscrit très clairement dans une politique de déjudiciarisation qui est menée depuis quelques années par les pouvoirs publics.
Il s’agit désormais de dresser le justiciable et de lui apprendre les bonnes manières.
La conséquence n’est pas indolore, puisque l’admission de la fin de non-recevoir a pour effet d’anéantir le caractère interruptif de prescription de l’assignation qui aura été délivrée, exposant ainsi le maître de l’ouvrage à un risque de prescription de son action.
II – LES CONDITIONS DE VALIDITE ET D’OPPOSABILITE DES CLAUSES DE CONCILIATION PREALABLE :Quoi qu’il en soit, autoriser n’est pas tout faire et la jurisprudence a entendu poser un certain nombre de limites à la liberté contractuelle des parties et tout particulièrement des architectes.
A – Les restrictions retenues en considération de la nature du contentieux initié :
Si la Cour de Cassation valide le principe des clauses de conciliation préalable pour les actions fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun, il en va différemment s’agissant des actions fondées sur le régime des garanties légales des constructeurs (Cass, 3ème civ, 23 mai 2007, n° 06-15.668 ; Cass, 3ème civ, 4 novembre 2004, n° 03-13.002).
Dans un arrêt rendu le 9 octobre 2007 (Cass, 3ème civ, 9 octobre 2007, n° 06-16.404), la Cour de Cassation a ainsi très clairement indiqué que :
« La clause de saisine de l’Ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur l’exécution du contrat, ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du Code civil et n’avait donc pas vocation à s’appliquer dès lors que la responsabilité de l’architecte était recherchée sur le fondement de l’article 1792 du Code civil. »
Il est vrai qu’une clause de conciliation préalable ne saurait avoir pour effet de faire échec, ou de retarder, l’exercice de droits qui découlent de dispositions d’ordre public.
Encore, la clause de conciliation préalable n’est pas opposable aux procédures initiées devant la juridiction des référés sur le fondement des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, avant tout litige au fond, afin de solliciter la mise en œuvre d’une mesure d’instruction pour assurer la conservation ou l’établissement de preuves (Cass, 3ème civ, 28 mars 2007, n° 06-13.209).
La position est au-demeurant strictement identique pour les clauses compromissoires.
Enfin et en tout état de cause, l’existence d’une clause de conciliation préalable devant l’Ordre des architectes ne saurait avoir pour effet de faire échec à l’action directe du maître d’ouvrage exercée à l’encontre de l’assureur responsabilité civile de l’architecte sur le fondement des dispositions de l’article L 124-3 du Code des assurances, dès lors que la victime dispose toujours d’un droit propre sur l’indemnité d’assurance, lui permettant d’agir directement contre l’assureur du responsable.
C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 18 décembre 2013 (Cass, 3ème civ, 18 décembre 2013, n° 12-18.439), la Cour de Cassation a précisé que :
« En statuant ainsi, alors que la saisine préalable, par le maître d’ouvrage, de l’Ordre des architectes prévue au contrat le liant à l’architecte, n’est pas une condition de recevabilité de l’action directe engagée contre l’assureur de celui-ci, la cour d’appel a violé l’article L 124-3 du Code des assurances. »
L’opposabilité des clauses de conciliation préalable n’est donc pas absolue.
B - Les restrictions retenues en considération de la rédaction de la clause de conciliation :
Lorsque son insertion est possible, la jurisprudence ne manque pas de rappeler que la clause de conciliation préalable doit être alors parfaitement claire et précise pour être opposable au maître de l’ouvrage (Cass, com, 29 avril 2014, n° 12-27.004).
Il en découle donc plusieurs obligations qui sont strictement contrôlées par la Cour de Cassation.
En premier lieu, il est absolument indispensable que la mesure de conciliation préalable figure expressément dans la convention liant les parties et pas uniquement dans un avant contrat, ce qui serait alors inopposable.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt du 6 mai 2003 (Cass, 1ère civ, 6 mai 2003, n° 01-01-291) :
« Une procédure préalable de conciliation ne pouvait résulter que d’une stipulation contractuelle, laquelle est, en effet, seule de nature à s’imposer au juge. »
La convention doit donc contenir la volonté explicite des parties de vouloir soumettre leurs différends éventuels à une mesure de conciliation préalable.
En second lieu, la clause de conciliation qui figure dans la convention doit mentionner expressément que la mesure de conciliation est préalable et obligatoire.
Le caractère préalable et obligatoire de la mesure de conciliation doit donc résulter des termes mêmes de la clause (Cass, 3ème civ, 23 mai 2012, n° 10-27.596), sans qu’il soit pour autant nécessaire de préciser les juridictions qui sont susceptibles d’être concernées par la mesure (Cass, 1ère civ, 1er octobre 2014, n° 13-17.920).
En troisième lieu, et ce n’est pas le moins important, la clause de conciliation préalable doit impérativement préciser ses modalités de mise en œuvre, afin d’en garantir l’effectivité (Cass, com, 23 avril 2014, n° 12-27.004).
Et c’est là que se pose une singulière difficulté tenant à la sauvegarde des délais de prescription.
Il convient en effet de rappeler qu’en application des dispositions de l’article 2238 du Code civil : « La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative. »
Pour le reste, la prescription est interrompue par le fait d’une assignation en justice (article 2241 du Code civil), ou par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (article 2240 du Code civil).
Or, en présence d’une clause préalable et obligatoire de conciliation, il apparaît que les dispositions de l’article 2238 du Code civil ne trouvent pas matière à s’appliquer, dès lors d’une part que les parties ne « conviennent » pas de recourir à la conciliation, qui leur est imposée par le contrat, et que d’autre part le recours à la conciliation n’intervient pas « après la survenance d’un litige », puisqu’étant par nature préalable.
Si la jurisprudence ne semble pas expressément conditionner la validité des clauses de conciliation préalable à la condition que ses modalités de mise en œuvre aient pour effet de suspendre les délais de prescription, force est de constater que dans son arrêt en date du 14 février 2003 (Cass, Chambre mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423), la Cour de Cassation a pris soin de constater, dans son attendu de principe, au sujet de la clause examinée : « dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription. »
Le principe apparaît en effet devoir s’imposer.
Par analogie et pour alimenter la réflexion, il peut-être intéressant de se référer à l’arrêt qui a été rendu par la CEDH le 26 mars 2015 (CEDH, sect 1., 26 mars 2015, n° 11239/11, Momcilovic/Croatie), et qui est opposable en droit français, dont il résulte que ne constitue pas une « entrave substantielle au droit d’accès direct au juge », prévu à l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH, l’obligation imposée par le législateur de tenter de trouver, à peine d’irrecevabilité, une solution amiable préalablement à une demande en justice.
Et la CEDH de relever que :
« 52. La Cour observe que l’issue du règlement amiable ne pouvait en aucune manière préjudicier à la demande en réparation formée contre l’Etat par les requérants. En particulier,le processus amiable interrompt le cours de la prescription et, en cas de refus de transaction de la part du procureur, il est acquis que les requérants peuvent former une action en justice devant le tribunal compétent. »
Il pourra être alors répondu que si la condition doit s’imposer là où la loi dispose, il pourrait en être autrement lorsque l’obligation est purement contractuelle, dès lors que les parties y ont librement consenties.
L’argument n’apparait toutefois pas convainquant, dès lors que le principe du droit d’accès direct au juge découle des dispositions de l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH et constitue de ce fait un principe fondamental d’ordre public.
Le contrôle de proportionnalité qui est opéré par la CEDH, lorsque la restriction au droit d’accès revêt un caractère légal, sur le caractère « raisonnablement proportionné » du processus qui conduit à s’entendre déclarer une demande irrecevable du fait du non respect d’une clause de conciliation préalable, n’a manifestement pas lieu d’être écarté lorsque la restriction revêt un caractère contractuel, puisqu’en tout état de cause il convient de préserver l’intérêt des parties.
Tel que le sous tend l’arrêt de la Chambre mixte du 14 février 2003, il apparaitrait donc normal que la validité des clauses de conciliation préalable soit conditionnée à ce que leurs modalités de mise en œuvre, qu’elles doivent impérativement préciser, garantissent la suspension des délais de prescription.
L’article 2234 du Code de procédure civile dispose à cet égard que :
« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. »
A cet égard, il sera précisé que l’article 1169 du Code civil du projet de réforme du droit des contrats dispose que :
" Une clause qui créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut-être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. "
Tel que l’indique les commentateurs du projet de réforme : « La lutte contre les clauses abusives est un des meilleurs moyens de promouvoir la justice contractuelle » (Nicolas Dissaux et Christophe Jamin, Dalloz).
Il n’est pas alors impossible que la restriction apportée à la saisine directe du juge par la mise en œuvre préalable et obligatoire d’une clause de conciliation, sans garantie de suspension des délais de prescription, puisse constituer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations parties, que le juge pourrait être amené à sanctionner.
En considération de ces différents éléments, il apparaît donc indispensable que la clause préalable et obligatoire de conciliation précise expressément que son exercice aura pour effet de suspendre les délais de prescription, le point de départ précis de la suspension et l’évènement qui permettra la reprise du court de la prescription éventuellement par référence aux dispositions de l’article 2238 alinéa 2 du Code de procédure civile, dont il résulte que : " Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée. "
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © julien tromeur - Fotolia.com
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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