Contrats conclus par des consommateurs et compétence judiciaire

Contrats conclus par des consommateurs et compétence judiciaire

Publié le : 31/10/2012 31 octobre oct. 10 2012

La CJUE a précisé l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 15 §1-c du règlement du Conseil du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commercialePar une décision du 6 septembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 15 §1-c du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Cet article confère en particulier au consommateur, par dérogation aux articles 2 (domicile du défendeur) et 5 (lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande) du Règlement, la possibilité de saisir la juridiction de son propre domicile en matière contractuelle, à condition toutefois que le professionnel ait « dirigé (ses) activités vers l’Etat membre » du domicile du consommateur.

La notion « d’activité dirigée vers », notion inconnue de la Convention de Bruxelles de 1968 et adoptée par le Règlement, est aussi importante qu’ambiguë.

Importante car elle n’est pas applicable uniquement en matière de conflit de juridiction (pour la compétence juridictionnelle), mais également en matière de conflit de lois (détermination de la loi applicable). Le règlement de Rome I du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui remplace la Convention de Rome et s’applique à tous les contrats conclus depuis le 17 décembre 2009, s’appuie également sur cette notion. Il y est disposé que, hormis choix de loi plus favorable au consommateur, la loi du lieu de résidence de celui-ci est applicable si le professionnel exerce son activité dans ce pays, ou si le professionnel « dirige son activité » vers ce pays (article 6). Une telle similitude entre le Règlement de Bruxelles I et le Règlement de Rome I permet que le juge saisi applique sa propre loi.

Dans l’esprit des rédacteurs de ces textes, il s’agissait essentiellement de couvrir les cas de contrats conclus à distance – par télécopie, téléphone ou Internet. Dans ces hypothèses en effet, le démarchage qui est fait auprès du consommateur crée des liens suffisamment étroits avec le pays de résidence de celui-ci pour que l’on considère que le professionnel pouvait légitimement s’attendre tant à ce que le juge de ce lieu soit compétent qu’à ce que cette loi soit applicable. Dans les discussions sur la rédaction de ces deux textes, était en particulier discutée de la difficulté qu’il y avait à déterminer l’existence d’une « activité dirigée vers » lorsque le professionnel n’avait fait que créer un site Internet permettant à un consommateur de contracter.

L’arrêt commenté est remarquable en ce qu’il souligne que la compétence juridictionnelle (et sans doute également législative) du lieu du domicile du consommateur en cas d’« activité dirigée vers » ce domicile n’est pas réservée aux contrats conclus à distance. C’est ce que retient expressément la Cour de justice dans cet arrêt : « L’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il n’exige pas que le contrat entre le consommateur et le professionnel ait été conclu à distance. ». Il s’applique également lorsque le contrat a été conclu au lieu d’établissement du professionnel mais que les « prémices » du contrat ont eu lieu en raison d’une activité dirigée vers l’Etat du consommateur.





Dans cette affaire, une femme domiciliée en Autriche avait cherché sur Internet une voiture de marque allemande qu’elle souhaitait acquérir ; elle s’était connectée sur une plateforme de recherche allemande l’ayant renvoyée vers l’offre d’une société exploitant en Allemagne un commerce de vente au détail d’automobiles. Elle avait appelé l’entreprise allemande qui lui avait alors proposé un autre véhicule dont les caractéristiques lui furent envoyées par courriel. Il lui était précisé que sa nationalité autrichienne ne faisait pas obstacle à l’acquisition du véhicule auprès des parties défenderesses. L’acheteuse a pris possession du véhicule en Allemagne où elle a signé le contrat de vente.

Le véhicule étant affecté d’un vice, la demanderesse a assigné la société allemande devant la juridiction de son domicile, en Autriche, considérant que l’activité de cette société avait été dirigée vers cet Etat, dès lors que le contrat avait été conclu après que l’acheteuse ait pris attache avec la société vendeuse par l’intermédiaire de son site Internet.

Les premiers juges ont retenu leur incompétence, aux motifs que le contrat avait été conclu en Allemagne, et que le site Internet était un « site passif » - c’est-à-dire qu’il n’était pas spécialement dirigé vers des consommateurs autrichiens.

L’Oberster Gerichtshof, saisi en appel, a lui-même saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle, se demandant si la notion d’ « activité dirigée vers » n’était pas réservée aux contrats conclus à distance.

La question était légitime.

Dans son arrêt du 7 décembre 2010 (Pammer et Hotel Alpenhof, C-585/08 et C-144/09) la Cour de justice a précisé les éléments permettant de déterminer quand une activité devait être considérée comme « dirigée vers » l’Etat membre du consommateur. Y sont mentionnées les expressions manifestes de la volonté de démarcher les consommateurs de cet État membre mais encore « la nature internationale de l’activité en cause, telle que certaines activités touristiques, la mention de coordonnées téléphoniques avec l’indication du préfixe international, l’utilisation d’un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l’État membre où le commerçant est établi, par exemple «.de» ou encore l’utilisation de noms de domaine de premier niveau neutres tels que «.com» ou «.eu», la description d’itinéraires à partir d’un ou de plusieurs autres États membres vers le lieu de la prestation de service ainsi que la mention d’une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres, notamment par la présentation de témoignages de tels clients », la langue dans la mesure où celle-ci n’est pas celle naturellement utilisée par le professionnel dans l’Etat membre auquel il appartient.

Le point 87 de cet arrêt permettait de douter de l’application de cette disposition à des contrats autres que les contrats conclus à distance. Il y était considéré (s’agissant d’une réservation de chambre d’hôtel) que « la circonstance que les clefs sont remises au consommateur et que le paiement est effectué par ce dernier dans l’État membre sur le territoire duquel le commerçant est établi n’empêche pas l’application de ladite disposition, si la réservation et la confirmation de celle-ci ont eu lieu à distance, de sorte que le consommateur s’est trouvé contractuellement engagé à distance. »

La Cour de justice va en l’espèce plus loin : il n’est pas nécessaire que le contrat ait été conclu à distance ; le seul fait que l’activité soit dirigée vers l’Etat du domicile du consommateur suffit à donner compétence à ce juge – et sans doute à rendre sa loi applicable. Peu importe donc que le contrat ait été, comme en l’espèce, physiquement conclu dans l’Etat de résidence du professionnel.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Andrzej Puchta - Fotolia.com

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