Assurance-vie et succession

Succession et assurance-vie : L'intérêt des héritiers ne constitue pas un critère pour l'appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées

Publié le : 06/02/2025 06 février févr. 02 2025

Cour de cassation, Chambre civile 2, 19 décembre 2024, 23-19.110, Publié au bulletin

1. LES FAITS ET LA PROCEDURE 

[B] [G] est décédée à l’âge de 83 ans le 3 octobre 2019, laissant pour lui succéder sa fille unique, Mme [Y].

De son vivant [B] [G] avait souscrit, le 06 février 2009, un contrat d’assurance vie « Séquoia »« auprès de la SA Sogecap, en désignant comme bénéficiaire l’association Ligue nationale contre le cancer. 
Au total, la somme de 274 800 euros a été versée par la défunte sur le contrat Séquoia entre 2009 et 2011.

A la date du décès de [B] [G], le montant total du capital-décès figurant au contrat s’élevait à 332.359,01 €.

Le 06 novembre 2019, la fille unique a écrit à la SA Société générale par le biais de son conseil aux fins de solliciter le blocage des fonds.

Cette dernière a indiqué qu’à défaut d’action judiciaire, elle procéderait au versement des fonds litigieux au profit de l’association Ligue nationale contre le cancer.

Par actes d’huissiers signifiés le 17 et 22 janvier 2020, Mme [Y] a assigné l’association Ligue contre le cancer, la SA Sogecap ainsi que la SA Société générale, devant la première chambre civile du tribunal judiciaire de Metz aux fins de voir réintégrer une partie des primes destinées à l’association dans la succession de sa défunte mère.

Mme [Y] se prévalait du caractère manifestement exagéré des primes versées tel qu’envisagé par l’article L. 132-13 alinéa 2 du code des assurances, et la Ligue contre le cancer défendait la position inverse.

Par jugement du 03 juin 2021, le tribunal judiciaire de Metz a :

Débouté Mme Y de sa demande de réduction des primes versées par la de cujus sur le contrat collectif d’assurance sur la vie « Séquoia  » de la société Sogecap formée à hauteur de 168 429,50 euros, de réintégration de primes pour ce même montant et d’injonction sollicitée à l’encontre des sociétés Sogecap et Société générale.
 

2. L’INTERET DE L’HERITIERE PRISE EN COMPTE PAR LA COUR D’APPEL.

La COUR D’APPEL DE METZ 1ère chambre civile en son arrêt du 23 MAI 2023 infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et donne raison à la fille unique, 
Statuant à nouveau,
Ordonne la réduction des primes versées sur le contrat d’assurance-vie souscrit par la de cujus auprès de la SA Sogecap à hauteur de 130.000 €,

Ordonne la réintégration à sa succession de la somme de 130.000 €,

Enjoint la SA Sogecap de verser la somme de 130.000 € à la succession de [Z] [T].

Les motifs de la Cour d’appel étaient les suivants après analyse des pièces du dossier, ils méritent d’être retranscrits tant les faits évoqués se retrouvent dans de nombreuses liquidations successorales, en démontrant une volonté du souscripteur de contourner les règles de la dévolution successorale :

Il résulte de ces éléments, d’une part que  [B] [G] avait par le passé disposé de placements diversifiés qu’elle a progressivement soldés pour rassembler la majeure partie de son patrimoine sur un unique contrat d’assurance-vie, et d’autre part que le versement sur ce contrat d’une dernière somme de 130.000 € a abouti à ce que ce que le total versé s’élève à 274.800 €, somme représentant 78,56 % du patrimoine total de [B] [G]  si l’on admet que son appartement avait encore à cette date une valeur de 75.000 € ce qui n’est nullement certain au regard de la somme à laquelle elle l’a revendu trois ans plus tard.

Dès lors, et quelle qu’ait pu être l’utilité d’un tel placement pour [B] [G], qui disposait par le passé d’une épargne répartie sur différents supports, le versement de la dernière prime de 130.000 €, en ce qu’elle aboutit à placer plus de 75 % du patrimoine sur un contrat d’assurance vie, apparaît manifestement exagéré au regard de la situation patrimoniale de celle-ci.

Ce dernier versement apparaît également manifestement exagéré au regard de la situation familiale de [B] [G] qui ne pouvait ignorer qu’en agissant de la sorte elle privait sa fille d’une part très importante de sa succession, excédant la réserve héréditaire. Cette conséquence est d’ailleurs en accord avec les termes du testament rédigé en 2019 par [B] [G], par lequel celle-ci instituait la Ligue contre le cancer comme légataire universel.

Il peut se déduire de ces diverses observations une volonté de contourner les règles de la dévolution successorale.


Enfin, et compte tenu d’un actif successoral total de (274.800 + 24.641,90 aux termes du projet de déclaration) = 299.441,90 €, il apparaît que la dernière prime versée a pour conséquence de priver sa fille de sa réserve héréditaire, qui se serait théoriquement élevée à 149.720,95€.

Il convient donc, eu égard au caractère manifestement exagéré de la dernière prime versée, d’ordonner la réduction des primes versées et la réintégration de la somme de 130.000 € dans la succession de [B] [G]  .

L’association Ligue nationale contre le cancer a formé un pourvoi.
 

3. RAPPEL DE LA JURISPRUDENCE CONSTANTE DE LA COUR DE CASSATION SUR LES CRITERES DU CARACTERE MANIFESTEMENT EXAGERE DES PRIMES.

La Haute COUR casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 mai 2023, entre les parties par la cour d’appel de Metz au motifs qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est fondée sur un critère étranger à l’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées, a violé l’article L. 132-13 du code des assurances.

L’arrêt rappelle les critères du caractère manifestement exagéré des primes :

Selon ce texte, les primes versées par le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur, un tel caractère s’appréciant au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci.

L’intérêt des héritiers ne peut constituer un critère pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes comme le soutenait le pourvoi de la ligue contre le cancer : « que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s’appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; qu’un tel caractère s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité du contrat pour ce dernier ; que l’intérêt des héritiers ne constitue pas un critère d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes ; qu’en ordonnant pourtant la réduction des primes versées sur le contrat d’assurance-vie de [B] [G] et la réintégration à sa succession de la somme de 130 000 euros, motif pris que le versement de cette somme apparaissait manifestement excessif au regard de la situation familiale de [B] [G] dès lors qu’elle ne pouvait ignorer qu’il aboutissait à exhéréder sa fille, la cour d’appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 132-13 du code des assurances. »

Conclusion :

Pour assurer la protection de leur réserve légale les héritiers réservataires ne doivent donc pas soutenir l’atteinte à leur réserve comme critère du caractère manifestement exagéré des primes mais bien plutôt rechercher parmi les seuls critères de l’article L. 132-13 du code des assurances en se plaçant au jour du versement de la prime et non au jour du décès.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VINCENT-ALQUIE Marie-Christine
Avocate
ALQUIE - membre du GIE AVA , Membres du conseil d'administration, Invités permanents : anciens présidents
BAYONNE (64)
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