Concurrence déloyale et tierce complicité

Concurrence déloyale et tierce complicité

Publié le : 30/10/2018 30 octobre oct. 10 2018

La chambre commerciale de la Cour d’Appel de Caen, par un arrêt du 18 octobre 2018, réaffirme plusieurs principes intéressants du droit de la concurrence déloyale et la tierce complicité.
 

Les faits étaient les suivants :

 
Une entreprise de transports subit la démission de deux salariés liés par une clause de non-concurrence et une clause de confidentialité.
 
La société de transports lève la clause de non-concurrence et libère ainsi les salariés de toute obligation de non-concurrence.
 
Les deux salariés sont embauchés par un concurrent direct.
 
Quelques mois plus tard, la société de transports constate que sa clientèle est démarchée par ses anciens salariés.
 
Elle les met en demeure de cesser leur prospection, considérée comme étant déloyale en leur rappelant l’obligation de confidentialité.
 
Elle met en demeure le nouvel employeur de cesser de débaucher son personnel, sans lui dénoncer la clause de confidentialité.
 
La société de transports, estimant les salariés coupables de violation de la clause de confidentialité, saisit le Conseil de Prud’hommes à l’encontre de ses deux anciens salariés.
 
Dans le même temps elle assigne en tierce complicité de violation de l’obligation de confidentialité le nouvel employeur devant le Tribunal de Commerce de Caen qui lui donne tort et porte les débats devant la Cour d’Appel de Caen.
 
 

Dans son arrêt du 18 octobre 2018, la Cour rappelle :

 
  • Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui a pour corolaire le principe de libre concurrence et qui permet à tout professionnel d’attirer à lui la clientèle de ses concurrents, sous réserve de l’existence d’un détournement de clientèle résultat de manœuvres déloyales.
 
  • Qu’il n’est pas contesté que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
 

Après avoir relevé que le nouvel employeur se trouve en situation de concurrence directe avec la société de transports, la Cour objecte aux demandeurs :
 
  • Le fait que la simple embauche dans des conditions régulières d’anciens salariés d’une entreprise concurrente n’est pas en elle-même fautive dans la mesure où les salariés concernés n’étaient plus liés par une clause de non-concurrence dont ils avaient été libérés.
 
  • Qu’il n’est pas contesté que les relations contractuelles de travail ayant cessé avec l’ancien employeur, les deux salariés étaient libres, en vertu du principe de la liberté du travail, d’être recrutés par un concurrent.
 
S’agissant de la complicité de violation de la clause de confidentialité, la Cour admet que le fait pour un nouvel employeur d’obtenir la révélation d’informations couvertes par le secret, en connaissance de cette obligation, constitue à l’égard du créancier de celle-ci, en l’espèce la société de transports, la faute délictuelle de tierce complicité de la violation de l’obligation contractuelle du salarié.
 
Mais elle rappelle qu’il appartient toutefois à l’ancien employeur de démontrer que son concurrent a embauché des salariés en connaissance de cause :
 
  • Afin de tirer profit des informations confidentielles acquises alors qu’ils étaient salariés de la société concurrente,
  • Et de bénéficier d’informations couvertes par la clause de secret professionnel dont les salariés étaient débiteurs à l’égard de leur ancien employeur.
 
La Cour considère qu’indépendamment de l’appréciation de l’existence du manquement du salarié à son obligation de confidentialité, laquelle relève exclusivement de la compétence de la juridiction prud’homale, il n’était pas établi ici que le nouvel employeur avait connaissance de la clause de confidentialité ni de son contenu.
 
La Cour considère qu’il n’est pas démontré que l’insertion par le nouvel employeur d’une clause de confidentialité dans les contrats de travail des salariés démissionnaire, similaire à celle contenue dans les anciens contrats, suffise à démontrer un usage dans le secteur d’activité.
 
Et que dès lors il n’est pas démontré que le nouvel employeur avait nécessairement connaissance, au moment de l’embauche, que les salariés étaient liés par une clause similaire à leur précédent employeur.
 
La Cour relève au surplus à charge de l’ancien employeur le fait qu’il n’a pas dénoncé l’existence de cette clause ni de sa violation au nouvel employeur.
 
Pour finir, la Cour rappelle qu’en application du principe de libre concurrence et de liberté du commerce, dont celle du client de choisir son prestataire, le démarchage de la clientèle d’un concurrent assorti de la proposition de conditions financières plus favorables, s’il n’est pas réalisé par des moyens contraires aux usages loyaux du commerce, n’est pas en lui-même constitutif de concurrence déloyale, le démarcheur fut-il antérieurement salarié de ce concurrent.
 
Au regard de l’ensemble de ces considérations, la Cour considère qu’il n’est pas établi que le nouvel employeur s’est approprié, par des moyens déloyaux, des informations confidentielles relatives à l’activité de son concurrent par le biais d’un salarié de ce dernier au recrutement duquel elle a procédé.
 
Les attendus de principe de la Cour d’Appel sont conformes à l’état du droit positif sur plusieurs points de droits souvent discutés dans ce type de contentieux.
 
 
  • Tout d’abord la Cour d’Appel refuse de statuer sur la validité et l’étendue de la clause de non-confidentialité dont elle considère qu’elle ressort de la compétence exclusive de la juridiction prud’homale.
 
Pour qu’un tiers puisse être reconnu d’une complicité de violation d’un contrat, encore faut-il que la validité de ce contrat soit reconnue.
 
S’agissant d’une clause de confidentialité contenue dans un contrat de travail, c’est à la juridiction prud’homale, à titre exclusif, qu’il appartient de statuer, si elle est saisie, ce qui était le cas en l’espèce.
 
Ce faisant, la Cour d’Appel de Caen se range à la jurisprudence majoritaire de la Cour de Cassation qui n’attribue compétence à la juridiction commerciale pour trancher les contestations formées en défense par le nouvel employeur, relatives à la validité et l’applicabilité de la clause figurant au contrat de travail qui lui est opposée, que si le conseil des prud’hommes n’est pas déjà saisi.
 
En d’autres termes, si le Conseil de Prud’hommes est saisi, il est seul compétent pour apprécier la validité de la clause de non-concurrence ou de la clause de confidentialité opposée aux salariés.
 
Si le Conseil de Prud’hommes n’est pas saisi, le tiers complice recherché devant la juridiction commerciale peut demander à celle-ci de statuer quant à la validité du contrat qui lui est opposé.
 
Cassation commerciale, 6 février 2007, n° 04-17.333 ;
Cassation commerciale, 20 mai 2003, n° 01-11.212 ;
Cassation commerciale, 7 avril 2009, n° 07-17.225.
 
Comme au cas d’espèce le Conseil de Prud’hommes était saisi, la Cour a refusé de se prononcer sur la validité de la clause de confidentialité.
 
 
  • L’ancien employeur avait soutenu qu’il convenait au regard de la saisine du conseil des prud’hommes de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision sur la validité et l’étendue de la clause de confidentialité.
 
Mais la Cour a passé outre, considérant, et c’est le second point important de cet arrêt, qu’il n’était pas rapporté la preuve de la connaissance par le nouvel employeur de la stipulation d’une obligation de confidentialité à charge des salariés qu’il venait d’embaucher.
 
Et elle donc refusé de surseoir à statuer dans la mesure où il n’était pas démontré que le nouvel employeur avait connaissance de cette clause de confidentialité.
 
Elle rejoint là encore la jurisprudence constante de la Cour de Cassation qui exige que la preuve de la connaissance d’une clause opposée au nouvel employeur incombe à celui qui se prévaut de son existence.
 
Cour de Cassation, 18 décembre 2001, n° 2202 FS-P, Jurisdata n° 2001-012313
 
Reste à ce stade à savoir quelle sera l’appréciation, par les juridictions prud’homales actuellement saisies, de la validité et de l’étendue de la clause de confidentialité puisque le procès à l’encontre des salariés continue.
 
 
Cet article n'engage que son auteur. 

Crédit photo : © Mimi Potter - Fotolia.com
 

Auteur

THILL Franck
Avocat Associé
THILL-MINICI-LEVIONNAIS & Associés
CAEN (14)
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