L'erreur sur la substance d'un terrain à bâtir, du fait d'une décision administrative impliquant son inconstructibilité, doit s'apprécier au jour de la vente
Publié le :
06/05/2024
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Lorsqu’après avoir procédé à l’acquisition d’un terrain à bâtir, une décision administrative annule rétroactivement l’autorisation de construire qui avait été délivrée, ou en remet en cause l’effectivité pour cause de caducité notamment, se pose alors la question, pour l’acquéreur, de l’exercice d’un recours à l’encontre du vendeur en nullité de la vente.Par différents arrêts, la Cour de cassation a très clairement indiqué que l’action de l’acquéreur fondée sur la non-constructibilité d’un terrain à bâtir ne peut pas relever de la non-conformité contractuelle, mais seulement de la garantie des vices cachés (Cass, 3ème civ, 7 septembre 2022, n°21-17972, Cass, 3ème civ, 20 mai 2014, n°13-12.685 ; Cass, 3ème civ, 18 janvier 2023, n°21-22.543).
Sur ce, l’acquéreur ne peut pas envisager une action fondée sur l’obligation du vendeur de délivrer une chose conforme à celle prévue au contrat, sur le fondement des dispositions de l’article 1604 du code civil.
Par ailleurs, la jurisprudence a déjà tranché sur le fait que ne constitue pas un vice antérieur à la vente, l’inconstructibilité d’un terrain résultant d’un refus de délivrance d’un permis de construire, ou d’une annulation de l’autorisation de construire, postérieurement à sa régularisation.
Il reste donc à l’acquéreur, dont le consentement aura été vicié, à agir en nullité de la vente sur le fondement de l’erreur visée à l’article 1110 du code civil.
Par un arrêt de référence en date du 24 novembre 2016 (Cass, 3ème civ, 24 novembre 2016, n°15-26.226, Publié au bulletin), la Cour de cassation a très clairement indiqué que l’annulation rétroactive d’un permis de construire après une vente est sans incidence sur l’erreur, qui doit s’apprécier au moment de la formation du contrat.
Sur ce, la cour d’appel, qui avait relevé qu’à l’acte notarié de vente, figurait en annexe un état des risques mentionnant que les parcelles étaient en zone inondable et étaient couvertes par un plan de prévention des risques, de sorte qu’au jour de la vente le terrain litigieux était constructible, avait pu en déduire que le retrait du permis de construire ne pouvait pas entraîner la nullité de la vente, ni donner lieu à la garantie des vices cachés.
La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence dans un arrêt en date du 16 mars 2023 (Cass, 3ème civ, 16 mars 2023, n°21-19.460), à l’occasion de la vente d’un terrain constructible et au titre duquel, au jour de la vente, il était justifié par le vendeur de l’obtention d’un permis de construire et d’un certificat de non-caducité du permis, le tout étant annexé à l’acte.
A la suite du recours d’un tiers, la décision de refus du maire de constater la péremption du permis de construire avait été annulée par la juridiction administrative.
Dans son arrêt en date du 16 mars 2023, la Cour de cassation a rappelé que la conformité du bien vendu aux spécifications contractuelles devait s’apprécier au moment de la délivrance du bien, soit en l’espèce à la date de la signature de la vente, peu important l’effet rétroactif de la caducité du permis de construire, dès lors qu’elle résultait d’une demande du voisin et d’un jugement tous deux postérieurs à l’acte de vente.
Il ne pouvait donc pas être soutenu que le terrain n’était pas constructible au jour de la vente.
Sur ce, l’arrêt qui a été rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation le 21 mars 2024 (Cass, 3ème civ, 21 mars 2024, n°22-24.445) s’avère particulièrement intéressant, puisque sans remettre en cause l’esprit de la jurisprudence antérieure, il participe à sa construction en apportant quelques indications très utiles.
En l’espèce, une société civile avait fait l’acquisition le 2 septembre 2013 d’une parcelle de terrain à bâtir avec le transfert d’un permis de construire un chalet, dont les effets avaient été prorogés jusqu’au 24 janvier 2014.
Après l’acquisition, les travaux avaient été entrepris et notamment des travaux de purge d’un ruisseau longeant la parcelle, ce qui était nécessaire à la réalisation du projet constructif et avait été autorisé par l’autorité administrative compétente.
En définitive, le 18 novembre 2014, le Préfet avait demandé l’arrêt immédiat des travaux, dès lors que le délai qui avait été accordé pour leur réalisation était largement expiré et le permis de construire caduc, étant alors sollicité la remise en état du terrain.
L’acquéreur a donc assigné les vendeurs en annulation de la vente sur le fondement de l’article 1110 du code civil en restitution du prix de vente et indemnisation de ses préjudices, avant d’être débouté de ses demandes, au motif que le permis de construire initialement accordé, et dont les effets avaient été prorogés, était toujours valable au jour de la vente.
S’agissant des travaux de busage, la cour d’appel avait considéré que s’ils avaient été autorisés par un arrêté préfectoral avec un délai d’exécution qui était expiré à la date de la vente, l’acquéreur ne démontrait pas qu’il s’était trouvé dans l’impossibilité, au jour de l’acquisition, de solliciter une nouvelle autorisation de busage.
Par son arrêt en date du 21 mars 2024, la Cour de cassation infirme l’arrêt d’appel au motif qu’il était « déterminant pour l’acquéreur que la construction soit réalisable et que le projet de ce dernier rendait nécessaire le busage du ruisseau, dont les travaux étaient soumis à autorisation, et constaté, qu’au jour de la vente, ladite autorisation, qui n’était pas annexée à l’acte de vente, était expirée. »
Ainsi donc, la décision est parfaitement conforme à la jurisprudence, au terme de laquelle le caractère constructif du terrain vendu doit s’apprécier au jour de la vente, alors qu’en l’espèce il n’existait plus d’autorisation de busage à cette date, dès lors que le délai d’exécution des travaux « était largement expiré. »
Par ailleurs, après avoir relevé que la constructibilité du terrain relevait bien d’une qualité substantielle au sens de l’article 1110 du code civil, la Cour de cassation a pris soin de préciser implicitement que l’erreur était excusable pour l’acquéreur, ce qui constitue également une condition de recevabilité de l’action en nullité, dès lors que l’autorisation de busage du ruisseau, sur laquelle figurait nécessairement le délai prescrit pour la réalisation des travaux, n’avait pas été annexée à l’acte de vente, ce qui en l’espère, sur le plan factuel, apparait extrêmement important.
Il est permis de penser que si l’autorisation de busage avait été annexée à l’acte de vente, l’action en nullité sur le fondement de l’erreur aurait été rejetée.
L’arrêt du 21 mars 2024 peut donc être mis en perspective avec un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier en date du 29 septembre 2022 (Cour d’appel Montpellier, 29 septembre 2022, n°17-04060), au sujet de la signature d’une vente à la suite de la régularisation d’une promesse de vente sous la condition suspensive de l’obtention d’un permis de construire une maison d’habitation, qui avait été réalisée.
Ultérieurement, le permis de construire avait été annulé à la suite du recours exercé par un tiers 3 jours seulement après la signature de la vente, ce qui avait donc donné lieu à la délivrance d’une assignation en nullité de la vente sur le fondement de l’erreur, au visa de l’article 1110 du code civil.
La Cour d’appel de Montpellier a débouté l’acquéreur de sa demande, au motif que l’annulation du permis de construire par la juridiction administrative n’était pas imputable à « une inconstructibilité juridique du terrain », au regard des règles d’urbanisme, étant justifié au jour de la vente d’un certificat de non opposition à la division du terrain délivré par la commune, mais à « un élément de fait purement technique lié à l’insuffisance du réseau d’adduction d’eau desservant leur parcelle » et ce alors que les acquéreurs « n’établissaient pas avoir tenté de remédier à l’insuffisance de ce réseau d’adduction d’eau », ne versant aux débats aucun élément sur la nature et le coût des travaux à réaliser.
En réalité, dans le cadre de cette affaire, et beaucoup plus simplement, il apparait que le terrain était manifestement constructible à la date de la signature de la vente, n’étant pas justifié de la caducité d’une autorisation administrative antérieurement et l’annulation du permis de construire postérieurement à l’acquisition …
Pour bien comprendre le sens de cette décision, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi, une autre mise en perspective peut être proposée avec un arrêt rendu par la Cour d’appel de Bourges le 21 novembre 2013 (Cour d’appel de Bourges, 21 novembre 2013, n°13-00028), ayant fait droit à une demande de nullité de la vente d’un terrain à bâtir, au visa de l’article 1110 du code civil, au motif que le vendeur ne pouvait pas opposer à l’acquéreur le caractère constructible mentionné sur le certificat d’urbanisme annexé à l’acte de vente, dès lors que ce document était inopérant compte tenu de la surface erronée qui avait été déclarée.
Tout se tient donc, ce qui implique une vigilance toute particulière lors de la régularisation d’une vente de terrain à bâtir sur son caractère effectivement constructible au regard des règles d’urbanisme, en procédant à une appréciation in concreto au regard du projet constructif considéré, lorsque tous les délais de recours de sont pas encore purgés.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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