Poursuite des travaux après l'annulation d'un permis
Publié le :
26/12/2006
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2006
Le justiciable qui souhaite faire cesser les travaux de construction exécutés en vertu d’un permis de construire annulé a, semble-t-il, tout intérêt à privilégier la saisine du juge civil plutôt que la saisine du juge administratif. C’est en tout cas ce que l’on peut déduire de deux décisions prononcées par le Tribunal administratif et le Tribunal de Grande Instance de Rennes dans une même affaire. Références : TA Rennes réf., 24 juillet 2006, « Association défense du parc de Maurepas et de son environnement et autres », n° 06-3006
Quel juge saisir ?Le justiciable qui souhaite faire cesser les travaux de construction exécutés en vertu d’un permis de construire annulé a, semble-t-il, tout intérêt à privilégier la saisine du juge civil plutôt que la saisine du juge administratif. C’est en tout cas ce que l’on peut déduire de deux décisions prononcées par le Tribunal administratif et le Tribunal de Grande Instance de Rennes dans une même affaire.
Références : TA Rennes réf., 24 juillet 2006, « Association défense du parc de Maurepas et de son environnement et autres », n° 06-3006
§ Considérant que les requérants font état d'un procès-verbal dressé par un huissier de justice le 18 juillet 2006 faisant apparaître qu'en dépit du jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2006 notifié le même jour annulant l'arrêté du maire de Rennes du 28 mai 2003 délivrant un permis de construire à la société Espacil Habitat ainsi que l'arrêté du même maire du 15 septembre 2005 transférant le permis de construire à la société Espacil Résidences, les travaux se poursuivent sur le chantier;
§ Considérant, cependant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que la société Espacil Résidence a indiqué le 13 juillet 2006 aux entreprises intervenant sur le chantier qu'à la suite de l'annulation du permis de construire, elle était contrainte d'arrêter sans délai les travaux et leur a demandé de procéder à la mise en sécurité des parties déjà construites ; que le calendrier prévisionnel produit au dossier prévoit notamment que la grue sera enlevée le 26 juillet et que la mise en sécurité du chantier sera achevée le 28 juillet prochain ;
§ Considérant, d'autre part, qu'il ressort du compte rendu de la visite effectuée sur le chantier le 19 juillet 2006 par un agent assermenté de la ville de Rennes qu'à cette date la centrale béton était arrêtée et qu'il n'y avait plus d'ouvrage béton en cours de réalisation ; qu'il a également constaté que les travaux en cours d'exécution se rapportent aux opérations d'évacuation des matériaux et matériels et à des opérations de mise en sécurité du site et des ouvrages, opération qui doit se prolonger compte tenu de l'importance du chantier jusqu'au 28 juillet 2006 ;
§ Considérant que si les requérants, pour s'opposer à ces constatations, se prévalent également de celles effectuées par les services de la direction départementale de l'équipement, aucun procès-verbal émanant de cette administration n'est produit au dossier ;
§ Considérant que, compte tenu de la nature des travaux en cours constatées par l'agent assermenté de la ville de Rennes, les mesures sollicitées se heurtent à une contestation sérieuse de cette dernière et de la société Espacil Résidences ; que, dès lors, en l'état du dossier au jour où il est statué sur la demande d'injonction, il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions de la requête
Références : TGI Rennes réf., 27 juillet 2006, n° 06-505
§ Attendu que le jugement du Tribunal Administratif de RENNES en date du 11 juillet 2006 a annulé les arrêtés autorisant la construction d'un immeuble sis boulevard Paul Painlevé, ZAC Fougères Painlevé ; qu'il a été régulièrement notifié ;
§ Attendu que l'examen de la pièce N° 1 de la demanderesse atteste, sans erreur possible, que les travaux ont bien été poursuivis après le 12 juillet 2006, qu'ainsi, il est établi que des voiles en béton qui n'existaient pas le 12 juillet dernier, sont construits et libérés des banches dès le 20 juillet suivant ; qu'à l'évidence, il ne s'agit pas de simples travaux de mise en sécurité du chantier et de ses abords, mais bien de constructions nouvelles par rapport à l'état constaté du chantier au jour de la décision du Tribunal Administratif ;
§ Attendu qu'il est donc établi, sans contestation possible, que les travaux litigieux consistant en la construction de murs en béton, ont bien été effectués après la notification du jugement du tribunal administratif de RENNES, notification effectuée dès le 11 juillet 2006 ;
§ Attendu qu'en matière administrative les jugements notifiés par le greffe sont immédiatement exécutoires, nonobstant appel ; que par conséquent la poursuite des travaux entrepris en infraction desdits arrêtés annulés n’a pas lieu d’être, elle constitue un trouble manifestement illicite ; qu'elle doit dès lors être arrêtée, sur le fondement de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, ce, dans les conditions énoncées au dispositif de la présente ordonnance
NOTE
Ces deux décisions intervenues à quelques jours d’intervalle sont l’occasion de comparer les conditions dans lesquelles le juge administratif et le juge civil, statuant en référé, peuvent, chacun dans les limites des pouvoirs qui leur sont dévolus, assurer le respect d’un jugement annulant un permis de construire lorsque, en dépit de ce jugement, l’autorisation de construire continue d’être exécutée et les travaux d’être réalisés.
Les circonstances de fait sont simples. La ville de Rennes a accordé à une société un permis de construire qui a été transféré à une seconde société. Ce permis autorise la réalisation d’un immeuble de 38 logements présentant une SHON de 3595 m2 et une SHOB de 6237 m2. Par un jugement du 11 juillet 2006 (n° 0302733 et 0504629), à la demande d’une association et de riverains, le Tribunal administratif de Rennes a annulé l’autorisation de construire et la décision de transfert s’y rapportant, sur le fondement de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme. Ce jugement a été notifié le 11 juillet aux parties qui l’ont reçu le 12.
Malgré les termes de cette décision et cette notification, l’association a constaté la poursuite des travaux (jusqu’au 21 juillet 2006). Elle en a fait dresser un constat par huissier le 18 juillet 2006. Elle a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, au visa des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, afin qu’il soit enjoint au maire de Rennes d’édicter un arrêté interruptif de travaux et d'en transmettre copie au procureur de la République. Selon l’article L. 521-3 : « En cas d’urgence, et sur simple requête qui sera recevable, même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ». Au terme d’un arrêt prononcé le 6 février 2004, sur le fondement de ces dispositions, le Conseil d’Etat a reconnu au juge des référés le pouvoir d’ordonner à l’administration d’interrompre des travaux se poursuivant alors que l’exécution du permis de construire avait été suspendue sur le terrain de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CE sect., 6 février 2004, « M. Masier », n° 256719).
Dans le même temps, l’association a saisi le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Rennes au visa des dispositions de l’article 809 du nouveau code de procédure civil, selon lesquelles : « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ». Ces dispositions permettent au juge civil, lorsque l’autorisation administrative de construire a été annulée, d’ordonner des mesures conservatoires d’interruption des travaux (Cass. Civ. 3e, 13 juillet 1999, « Mme Olindo », n° 96-19057).
Ce qui peut surprendre, à l’examen des deux ordonnances rapportées, c’est le sort opposé qui a été réservé, par le juge administratif d’une part, par le juge civil d’autre part, aux demandes de l’association. Le premier a considéré que les mesures sollicitées se heurtaient à une « contestation sérieuse » et a donc rejeté la requête. La ville de Rennes a en effet prétendu que les travaux litigieux n’étaient que des « opérations d'évacuation des matériaux et matériels et (…) de mise en sécurité du site et des ouvrages ». Le juge civil, pour sa part, a considéré que la poursuite des travaux constituait un trouble manifestement illicite et devait, en conséquence, être interrompue. Il a notamment tenu pour « établi, sans contestation possible, que les travaux litigieux consistant en la construction de murs en béton, ont bien été effectués après la notification du jugement du tribunal administratif de RENNES ». Cette apparente contradiction résulte-t-elle d’une simple divergence dans l’appréciation des faits ou bien trouve-t-elle une explication dans l’étendue des pouvoirs dévolus aux juges des référés des deux ordres de juridiction ?
Il fait peu doute que si le juge administratif avait partagé l’appréciation du juge civil, selon laquelle est établi, « sans contestation possible », que les travaux d’édification de l’immeuble se sont poursuivis après la notification du jugement du tribunal administratif de RENNES, il aurait été conduit à enjoindre au maire de Rennes d’édicter un arrêté interruptif de travaux et d'en transmettre une copie au procureur de la République. Son appréciation a été différente. Elle peut donner lieu à discussion. Il est en tous les cas frappant de constater que le juge des référés civil, statuant sur les mêmes pièces que celles fournies au juge des référés administatif (procès-verbal de constat, compte-rendu de chantier…), ait constaté « sans contestation possible » la poursuite des travaux là où son homologue a décelé au contraire, quelques jours auparavant, une « contestation sérieuse ».
Mais ce qui mérite d’être plus largement souligné c’est le fait que le juge administratif a entendu limiter l’étendue de ses pouvoirs en exigeant que les mesures prescrites ne se heurtent à aucune « contestation sérieuse ». Le juge civil, pour sa part, lorsqu’il statue sur le fondement de l’article 809 du nouveau code de procédure civile, n’est pas astreint à une telle exigence : il ressort de la lettre même de cet article qu’une contestation sérieuse ne fait pas obstacle à ce qu’il prescrive les mesures conservatoires ou de remise en état destinées à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite. Le justiciable qui entend obtenir l’interruption de travaux exécutés en vertu d’un permis de construire annulé n’a-t-il pas tout intérêt, en conséquence, à privilégier la saisine du juge des référés civil plutôt que celle du juge des référés administratif ? Il est permis de le penser. Ceci d’autant plus que les mesures prescrites par le juge des référés civil, parce qu’elles s’appliquent au constructeur, ont vocation à interrompre immédiatement la poursuite des travaux, tandis que les mesures prescrites par le juge des référés administratif, parce qu’elles s’adressent à l’administration, peuvent entraîner ultérieurement la mise en œuvre d’une procédure judiciaire dirigée à l’encontre du constructeur qui ne respecte pas l’arrêté interruptif de travaux.
L’appréciation du juge des référés administratif consistant à subordonner l’application de l’article L. 521-3 du code de justice administrative à l’absence de « contestation sérieuse » peut surprendre. Avant la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, le prononcé de mesures conservatoires était subordonné à la condition qu’elles ne préjudicient pas « au principal », impliquant que la demande présentée par le requérant ne se heurte à aucune « contestation sérieuse » (voir par ex. CAA Bordeaux, 26 avril 1999, « CCI de Toulouse », n° 98BX01966). Le nouvel article L. 521-3 a supprimé cette condition, exigeant uniquement que les mesures utiles susceptibles d’être ordonnées ne fassent obstacle « à l’exécution d’aucune décision administrative ». Pour autant, les juridictions administratives semblent continuer à requérir l’absence de « contestation sérieuse ». Pour citer de nouveau l’arrêt prononcé le 6 février 2004 par le Conseil d’Etat : « il résulte des dispositions combinées des articles L. 511-1 et L. 521-3 du code de justice administrative que le juge des référés (…) peut prescrire à des fins conservatoires toutes mesures, notamment sous la forme d'injonctions à l'égard de l'administration, à condition que ces mesures soient utiles, justifiées par l'urgence, ne fassent obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse » (voir sur ce point C. GUETTIER, « Recours à la procédure du référé « mesures utiles » pour prévenir l’apparition ou l’aggravation imminente d’un dommage de travaux publics », JCP A, 13 novembre 2006, n° 46, pages 1468 et suivantes). Les conclusions du commissaire du gouvernement STHAL sous cet arrêt vont également en ce sens : « Pour utiliser une terminologie qui avait cours dans le cadre du référé-conservatoire – et qui continue d’avoir cours en dépit de la disparition de l’exigence de ne pas préjudicier au principal –, l’hypothèse de la construction se poursuivant en méconnaissance d’une ordonnance de suspension ne laisse à notre avis jamais place à une "contestation sérieuse" » (voir également R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 11ème édition, pages 1367 et s.).
La question qui a été discutée devant le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, et qui ne manquera pas d’être débattue dans d’autres affaires semblables, a trait à la preuve de la poursuite des travaux de construction. Ne peut-on pas toujours prétendre, comme en l’espèce, afin de poursuivre un peu plus l’avancement d’un chantier, que les travaux en cours ne sont en réalité que des opérations d'évacuation des matériaux et des matériels ou encore des opérations de mise en sécurité du site et des ouvrages ?... Ne peut-on pas ainsi, aisément, créer une « contestation sérieuse » ? Cette condition requise par la jurisprudence administrative, qui ajoute à la loi, crée incontestablement, pour le justiciable, dans un tel cas de figure, une difficulté qui devrait le conduire à privilégier la saisine du juge des référés civil.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
ROUHAUD Jean-François
Avocat Associé
LEXCAP RENNES
RENNES (35)
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