La garde à vue anticonstitutionnelle

Publié le : 09/09/2010 09 septembre sept. 09 2010

En dépit de la réserve du Conseil constitutionnel, l'autorité judiciaire, peut dores et déjà relever que les conditions de garde à vue actuelles sont contraires à la Constitution.

La décision du Conseil constitutionnel sur la garde à vue
1 - La réforme de la saisine du Conseil constitutionnel va aboutir à une révolution en matière de procédure pénale, et à un dernier recul de la phase inquisitoire de la procédure pénale, qui demeurait intacte seulement dans la phase policière de l'enquête, secrète, au cours de laquelle la personne privée de liberté ne pouvait jusqu'à présent être assisté d'un avocat et assurer la défense de ses intérêts.

Par décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a décidé que "les articles 62, 63, 63 1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n'instituent pas les garanties appropriées à l'utilisation qui est faite de la garde à vue " et que "la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée" , et en conséquence que, "ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution " (Considérant n° 29).


2 - Néanmoins, le Conseil constitutionnel décide de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité, en considérant notamment que "si, en principe, une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité, l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives".

Cette décision de reporter l'abrogation des dispositions non constitutionnelles au 1er juillet 2011 apparaît manifestement justifiée par le souci d'éviter la remise en cause de toutes les procédures pénales en cause, ainsi que tout trouble à l'Ordre public, et par le fait qu'il relève de la compétence du législateur de prendre des dispositions nouvelles conformes à la constitution.

Cependant, ce report paraît contradictoire et contestable devant les juridictions judiciaires : si les conditions de garde à vue ont été déclarées non conformes à la Constitution, faute de garantir les libertés publiques et l'équilibre de la procédure pénale, comment des Tribunaux peuvent encore accepter que des personnes soient mise en garde à vue, et valider des procédures pénales qui reposent sur cette garde à vue ?

Ce report de l'abrogation des dispositions non constitutionnelles apparaît d'autant moins fondé que les conditions de garde à vue ont déjà été mises en cause par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, notamment par son arrêt du 13 octobre 2009, qui avait jugé que "l'équité d'une procédure pénale requiert d'une manière générale, aux fins de l'article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire " et que "la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer ".

Ainsi, en dépit de la réserve du Conseil constitutionnel, l'autorité judiciaire, qui est gardienne des libertés individuelles en application de l'article 66 de la constitution, peut dores et déjà relever que les conditions de garde à vue actuelles sont contraires à la Constitution et ne répondent pas aux exigences posées non seulement par l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, mais également par l'article préliminaire du Code qui dispose que "la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ", avant d'en tirer toutes les conséquences au bénéfice de la personne qui leur est présentée.

Dès lors dores et déjà, les éléments matériels recueillis en dehors de la garde à vue apparaissent donc essentiels : les seuls aveux recueillis en garde à vue devenant clairement contestables, alors même que l'article 428 du Code de procédure pénale dispose que "l'aveu comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges".


3 - La décision du Conseil constitutionnelle est également intéressante car elle donne des pistes de réformes, dont certaines très attendues.

Le conseil constitutionnel relève notamment dans son considérant n° 28, que "la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ". La mention d'un tel droit, à laquelle sont habitués les téléspectateurs de séries américaines, ne peut être innocente.

Le législateur qui avait introduit ce droit en 1993 avant de le retirer, devra tenir compte de ce considérant dans le cadre de la réforme de la garde à vue. Les enquêteurs auront ainsi tout intérêt à privilégier la réunion d’éléments matériels établissant la culpabilité qu’à attendre des aveux.

En outre, par le même considérant, le Conseil constitutionnel laisse entendre que des restrictions aux droits de la défense peuvent être imposés au regard de circonstances particulières qui pourraient être justifiées par la nécessité de rassembler ou conserver des preuves ou d'assurer la protection des personnes. Une telle réserve à l'intervention d'un avocat, auxiliaire de justice, apparaît contestable pour les droits de la défense.

En tout état de cause, une telle restriction aux droits de la défense ne peut être acceptée que si elle émane d’une autorité judiciaire indépendante, c'est-à-dire au regard des derniers arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de magistrats du siège, et non du parquet, qui de part leur mission de poursuivre la répression des infractions sont parties à la procédure.

En revanche, il conviendra de déterminer les conditions d’intervention des avocats en garde à vue, ce qui ne sera pas simple, car une non seulement il risque de falloir mettre en place une permanence chronophage compte tenu du nombre de gardes à vues et de leurs durées qu’il faudra financer. Si l’on considère qu’il y a eu 790.000 placements en garde à vue en 2009, cela implique, avec une durée théorique moyenne de garde à vue de 24h00, plus de 18 millions d’heures de travail à financer (790.000 gardes à vues X 24h00)

Il conviendra de déterminer la manière dont l’avocat pourra utilement exercer sa mission, et les recours dont il disposera auprès d’un Juge indépendant et impartial. L’avocat étant un auxiliaire de Justice, sa mission ne peut se limiter à rester les bras croisés à dire à son client de se taire (ce qui n’est pas forcément opportun), et à observer passivement les questions posées.

A ce titre, si le secret de la garde à vue est maintenu, le rôle de l’avocat dans cette phase d’enquête risque dans les affaires simples d’être limité au contrôle de la régularité de la procédure, alors qu’il devrait pouvoir effectuer librement toute diligence pour assurer la défense de son client, compte tenu de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Parallèlement, afin que la procédure demeure équilibré et que la victime ne soit pas lésée, il conviendrait qu’elle puisse être entendue dans les mêmes conditions que la personne placée en garde à vue, ce qui implique qu’elle puisse être également assistée d’un avocat.

La révolution procédurale à intervenir dans les prochains mois devrait donc être très importante, et source de discussions animées entre les divers acteurs de la procédure pénale : policiers, parquetiers, associations de victimes, et avocats, qui interviennent aussi bien pour les personnes poursuivies que pour les victimes.


4 - Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel rappelle les obligations incombant à l'autorité judiciaire en matière de respect de la dignité de la personne placée en garde à vue : "il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans le respect de la dignité de la personne ; qu'il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d'ordonner la réparation des préjudices subis".

Néanmoins le Conseil constitutionnel rappelle que les conséquences des atteintes à la dignité de la personne placée en garde à vue sont limitées en terme de procédure pour elle puisque " la méconnaissance éventuelle de cette exigence dans l'application des dispositions législatives précitées n'a pas, en elle-même, pour effet d'entacher ces dispositions d'inconstitutionnalité".


5 - Enfin, Outre, la remise en cause de la garde à vue, et le rappel des obligations légales incombant à l'autorité judiciaire, la décision du conseil constitutionnel est intéressante dans la mesure où elle n'est pas motivée exclusivement en droit, mais également en fait.

La décision du Conseil constitutionnel est en effet motivée notamment par les considérants suivant, qui pourront être réutilisés dans des procédures judiciaires tendant à remettre en cause les gardes à vue dans l'attente de la réforme à intervenir :

- "la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l'action publique est prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire avant qu'il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise en oeuvre de l'action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l'objectif de bonne administration de la justice, il n'en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause" (considérant n° 16),

- "dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985 susvisées, l'article 16 du code de procédure pénale fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d'officier de police judiciaire, seules habilitées à décider du placement d'une personne en garde à vue ; que cet article a été modifié par l'article 2 de la loi du 1er févier 1994, l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article 20 de la loi du 22 juillet 1996, la loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de 25 000 à 53 000 " (considérant n° 17),

- "ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures ; qu'elles ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées " (considérant n° 18).

Si cette motivation en fait apparaît parfaitement pertinente tant en droit qu'en fait, elle peut néanmoins apparaître surprenante dans la mesure où en application des articles 61 et suivants de la Constitution, la mission du Conseil constitutionnel devrait se limiter à contrôler la conformité des lois à la Constitution.

Après avoir étendu son contrôle des lois aux traités et conventions internationales, puis aux directives européennes avant même que les articles 88-1 et suivants ne soient introduit dans la Constitution, le Conseil Constitutionnel n'hésite plus à contrôler la loi au regard de situation de fait.

Même s’il laisse un délai au législateur pour modifier la loi, en statuant en fait et en donnant des pistes de réformes, il existe un risque que le Conseil constitutionnel substitue sa volonté à celle du parlement et donc à la volonté démocratique. Si la révolution a supprimé les « arrêts de règlement » et limité le pouvoir des parlements, un beau sujet de thèse ne serait il pas "le Conseil constitutionnel, une nouvelle chambre d'enregistrement avec droit de remontrance" ?





Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Thierry VOITELLIER
Avocat Associé
COURTAIGNE AVOCATS, Membres du Bureau, Invités permanents : anciens présidents
VERSAILLES (78)
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