Le délit d'abus de faiblesse
Publié le :
05/08/2010
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Le Code pénal protège une catégorie particulière de victimes en réprimant l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de situation de faiblesse d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable.
L'abus de faiblesse
Le délit d’abus de faiblesse (articles 223-15-2 du Code pénal ; L 122-8 et s. du Code de la consommation)
PORTALIS, il y a plus de deux siècles, nous mettait déjà en garde contre l’excès de naïveté dans la vie des affaires : « L’office de la loi est de nous protéger contre la fraude d’autrui mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison ». Le bon sens nous invite pourtant à considérer que certaines personnes ne sont justement pas armées pour faire usage de leur raison et nécessitent l’appui de la loi. Aussi, ce que préconisait le père fondateur du Code civil ne semble pas incompatible avec la volonté actuelle affichée par le législateur de protéger une catégorie de personnes en raison de sa particulière vulnérabilité. L’abus de faiblesse en est une illustration.
- Comparaison du délit en droit pénal et en droit de la consommation
Le Code pénal protège une catégorie particulière de victimes en réprimant l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de situation de faiblesse d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d’une maladie ou d’une infirmité.
L’abus de faiblesse régi par le Code de la consommation est intimement lié, quant à lui, au démarchage et vise uniquement les consommateurs.
D’autres infractions dites « voisines », telles que l’escroquerie ou l’extorsion de fonds, sont parfois susceptibles de s’appliquer, mais l’abus de faiblesse s’en distingue par la particularité de ses victimes.
L’auteur de l’abus de faiblesse peut voir sa responsabilité civile engagée (nullité de l’acte ; dommages et intérêts) sans préjudice des sanctions pénales encourues (trois ans d’emprisonnement et 375.000 € d’amende).
- Les éléments constitutifs de l’infraction de l’article 223-15-2 du Code pénal
L’élément matériel de l’abus de faiblesse exige :
- un état de faiblesse de la victime qui provient soit de sa « particulière vulnérabilité », soit « d’une sujétion psychologique ou physique ». La loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales a étendu le domaine de l’incrimination. Ce faisant, la protection de ces victimes toutes particulières est mieux assurée.
L’état de faiblesse est apprécié in concreto, c'est-à-dire que l’on prend en compte la situation personnelle et individualisée de la victime. A cet égard, un âge très avancé n’est pas une preuve suffisante de fragilité et doit être corroboré par d’autres éléments.
- un abus frauduleux commis par le mis en cause, c'est-à-dire l’exercice de pressions graves ou réitérées, ou encore l’utilisation de techniques propres à altérer le jugement de la victime.
- un résultat qui découle directement de ces procédés : la victime est conduite à un acte ou à une abstention qui lui sont « gravement préjudiciables ». Pour l’essentiel, il s’agit dans la pratique d’actes juridiques (prêt d’argent ou de choses mobilières ; vente ; achat ; bail ; cession de droits ; libéralités ; remise de chèques).
L’abus de faiblesse étant une infraction intentionnelle, il faut également rapporter la preuve de l’intention du délinquant de commettre l’acte ou l’abstention répréhensible en connaissance de cause. Cette volonté frauduleuse est souvent déduite par les juges des circonstances entourant la réalisation de l’infraction.
- L’appréciation du préjudice
- Les caractères du préjudice
La jurisprudence de la Cour de cassation s’est écartée de la lettre de loi et n’exige plus que l’acte soit « gravement préjudiciable ». Les magistrats se contentent d’un « acte de nature à causer un préjudice » (Crim., 12 janvier 2000), lequel peut n’être qu’éventuel (et non plus actuel et certain). Cette hypothèse se retrouve par exemple à l’occasion d’un abus de faiblesse réalisé au moyen d’un testament (Crim., 15 novembre 2005 ; Crim., 21 octobre 2008).
- Fondement de cette évolution jurisprudentielle
En transférant l’incrimination du livre 3 (atteintes aux biens) au livre 2 du Code pénal (atteintes aux personnes), la loi du 12 juin 2001 a voulu marquer une évolution quant à la valeur protégée : la loi pénale sanctionnerait moins le dommage causé au patrimoine de la victime que l’atteinte portée à la liberté du consentement et à l’intégrité psychique de la personne en état de fragilité.
- Moment de l’appréciation du préjudice
Une femme, accusée d’avoir frauduleusement abusé de l’état de faiblesse d’un homme dont la vulnérabilité était apparente ou connue d’elle, s’était fait remettre des chèques d’un montant considérable et en obtenant qu’il se marie avec elle. L’homme, avant sa maladie, avait pourtant manifesté le souhait de l’épouser. Les juges du fond avaient relaxé la femme, faute d’élément intentionnel. La Cour de cassation censure cette décision au motif que l’appréciation de l’état de faiblesse s’effectue au moment où est commis l’acte préjudiciable, en l’occurrence, l’hospitalisation de la victime (Crim., 26 mai 2009).
- La prescription : le délai pour agir est de 3 ans en matière délictuelle (art. 8 du Code de procédure pénale)
- Point de départ de la prescription.
Le délit d’abus de faiblesse est une infraction qui se renouvelle à chaque opération frauduleuse. En conséquence, la prescription ne commence à courir qu’à partir du dernier prélèvement effectué sur le patrimoine de la victime lorsque l’abus frauduleux procède d’une opération unique (Crim., 27 mai 2004).
- Les limites posées par la jurisprudence
La jurisprudence est rigoureuse en ce qui concerne la nécessité d’établir l’état de faiblesse. Après l’explosion de l’usine chimique AZF à Toulouse en 2001, plusieurs personnes prétendaient avoir été contraintes d’acheter des fenêtres dans la précipitation sans pouvoir comparer les prix. La Cour de Toulouse rejette cet argument et affirme que l’urgence ne suffit pas à caractériser la faiblesse (CA Toulouse, 3e ch., 4 janvier 2005).
- Action des proches de la victime
Dans ce domaine, la jurisprudence a admis récemment la recevabilité de l’action des proches de la victime qui ont personnellement subi un préjudice découlant directement de l'infraction (Crim., 3 novembre 2009).
La Cour de cassation autorise également, sous certaines conditions, les héritiers de la victime d’un abus de faiblesse à se constituer partie civile devant le juge pénal. L’action en réparation du préjudice successoral est recevable même si la mise en mouvement de l’action publique est postérieure à la plainte de l’héritier (Crim., 10 novembre 2009).
Les proches sont-ils recevables à demander réparation de leur préjudice moral alors que la victime première ne se sent aucunement lésée ? L’un des volets de la très médiatisée affaire politico-financière Liliane BETTENCOURT, sur laquelle les juges seront appelés à statuer, porte sur un abus de faiblesse dont aurait été victime la femme la plus puissante de France. La fille de la milliardaire, qui agit vraisemblablement contre la volonté de sa mère, prétend que celle-ci a été victime de prédateurs qui auraient abusé de sa particulière vulnérabilité (la modique somme d’un milliard d’euros de « dons » aurait été versée au photographe François-Marie BANIER).
Il n’est pas contesté que la jurisprudence attribue aux victimes par ricochet (proches de la victime immédiate) le bénéfice de tous les droits accordés à la victime première de l’infraction (au sens de l’article 2 du Code de procédure pénale), y compris celui d’engager les poursuites.
Toutefois, la recevabilité préalable de l’action ne préjuge pas de son bien-fondé. Le délit d’abus de faiblesse ne sera consommé que si tous les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis.
Assiste-t-on, comme l’a très justement relevé Jean HAUSER, à la naissance d’une nouvelle branche du droit privé, celle des personnes vulnérables ? S’il est légitime de vouloir protéger les individus les plus fragiles, la frontière qui sépare les victimes réelles du sentiment d’insécurité éprouvé par certains plaignants est parfois étroite. C’est pourquoi, il appartient au législateur de veiller, à tout le moins, à ne pas créer des incriminations trop floues, sous peine de voir les tribunaux instrumentalisés.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Frédéric Combes - Fotolia.com
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