La QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du procès Chirac - Triomphe du droit
Publié le :
10/03/2011
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mars
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2011
Il convient de n'être pas trop influencé par l'agitation actuelle sur le "procès Chirac" pour s'interroger sous le seul angle du droit, sur la décision rendue le 8 mars par le Tribunal Correctionnel décidant de transmettre à la Cour de Cassation une QPC.
Contrôle de l'interprétation jurisprudentielle et composition du Conseil constitutionnel
Il convient de n'être pas trop influencé par l'agitation médiatico-politico-médiatique et les commentaires qui fusent ci et là sur le "procès Chirac" ("procès définitivement terminé", "manœuvre", "arrangement entre les puissants" ou encore "justice à géométrie variable"…) pour s'interroger sous le seul angle du droit, sur la décision rendue le 8 mars 2011 par le Tribunal Correctionnel de Paris décidant de transmettre à la Cour de Cassation une question prioritaire de constitutionnalité.
Nous examinerons la question relativement aux principes appliqués, avant de nous interroger sur ses effets.
Rappelons toutefois avant toute chose la décision : "la Jurisprudence critiquée, applicable au cas présent, n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution. Il s'ensuit que les débats ne sauraient se poursuivre en l'état", ce qui justifie le renvoi à la Cour de Cassation dont on sait qu'après examen – et sous trois mois maximum elle transmets au Conseil Constitutionnel ou renvoie au premier juge si elle considère qu'il n'y a pas lieu…
Avant d'aborder l'étude, nous observons certes que la question posée ne concerne sans doute qu'un des aspects du procès (le volet "Ville de Paris" et non pas le volet "Nanterre") ; un renvoi partiel aurait pu être envisagé… mais l'on devra considérer cependant comme raisonnable (avec le Tribunal) que l'intégralité des faits reprochés à un ancien Président de la République soit – dans un intérêt collectif – abordée s'il est possible dans le cadre d'un unique procès car il serait inconvenant, puisque le groupage avait (sans doute légitimement) été décidé, de revenir en arrière et de multiplier les audiences.
L'image du Pays n'en serait pas grandie.
La question prioritaire de constitutionnalité devait-elle être renvoyée à la Cour de cassation ou devait-elle être écartée par le Tribunal ?
Plusieurs éléments doivent être relevés avant d'apporter réponse à la question posée:
1. Il n'est pas besoin de rappeler que le juge doit appliquer la loi et qu'il le fait dans le cadre de décisions de justice qui constituent – lorsqu'elles sont constantes – la "Jurisprudence".
2. La Constitution affirme le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, par ailleurs le principe de légalité qui impose que la loi soit appliquée et seulement la loi, et enfin le principe de la présomption d'innocence.
Le respect des droits de la défense constitue par ailleurs un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Le Conseil Constitutionnel l'a confirmé dans sa décision du 2 décembre 1976 qui n'a pas été rendue pour les besoins de notre cause…
Le Président Chirac, comme tout autre citoyen, est en l'espèce en droit de bénéficier de ces principes.
3. La loi organique du 10 décembre 2009 a inséré dans la Constitution un article 61-1 qui crée la possibilité pour le justiciable (et non pas pour le citoyen) de s'adresser – après contrôle préalable du sérieux de la question posée (et dont la réponse doit naturellement avoir un effet sur le litige) – au Conseil Constitutionnel si la question passe les deux "filtres" qui ont été mis en place : celui du premier juge qui transmet la question à la plus haute Juridiction (Cour de Cassation pour le judiciaire, Conseil d'Etat pour les décisions administratives) puis celui desdites hautes Juridictions qui renvoient alors les questions "sérieuses" (on se contentera ici de ce raccourci) devant le Conseil Constitutionnel.
4. Tel est bien le cas dans le procès Chirac dans lequel la loi organique a été invoquée: Monsieur Chirac est prévenu (présumé innocent) de diverses infractions et même si la question prioritaire de Constitutionnalité a été posée par un autre "prévenu" (tout aussi présumé innocent), la question de la prescription éventuelle des faits reprochés est fondamentale dans l'analyse de la situation; et la réponse à cette question ne peut qu'influer – si la prescription devait être jugée acquise – sur le jugement à intervenir.
Qu'une question soit posée ne doit donc aucunement émouvoir; et tout au contraire puisque chacun – sans "parti pris" - devrait se féliciter si le Droit peut triompher… c' qui n'empêche pas de considérer peut-être que la justice a été trop lente ou qu'une réforme s'imposerait pour que puisse être poursuivi le chef de l'Etat; c'est là un autre problème.
5. L'attention doit toutefois être attirée sur le fait que la question posée en l'espèce ne concerne pas directement la Constitutionnalité d'une loi mais elle vise à demander au Conseil Constitutionnel d'apprécier la constitutionnalité d'une "Jurisprudence", c'est-à-dire d'apprécier l'interprétation jurisprudentielle de la loi ; Il convient en effet de relever que la question prioritaire de constitutionnalité qui a été posée concerne l'interprétation jurisprudentielle actuelle par la Cour de Cassation des textes applicables en matière de prescription dans la partie du dossier "Ville de Paris" pour lequel les délits de "détournements de fonds publics" et "abus de confiance" sont évoqués.
La proposition est-elle classique ? ou la décision serait-elle nouvelle ?
La réponse à cette question a évolué.
La Cour de Cassation était à l'origine hostile au contrôle de sa Jurisprudence (arrêt du 8 juillet 2010).
Mais le Conseil Constitutionnel n'a pas partagé cette analyse puisqu'il a déjà, et à tout le moins par deux fois en moins d'un an d'application de la loi organique, fait connaître (serait-ce avec diplomatie) qu'il considérait qu'à l'occasion d'une "QPC" tout justiciable pouvait contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative.
La première décision était rendue a propos d'une question posée relativement à l'adoption d'un enfant mineur que la Jurisprudence ne tient pour possible que si le couple est marié (décision 2010-39 du 6 octobre 2010). Le Conseil Constitutionnel renvoyait certes la question à la responsabilité du législateur mais après avoir pris position sur la possibilité de contrôle de l'interprétation jurisprudentielle. Dans la seconde décision, il réaffirme, selon le communiqué de presse à dessein publié, le droit de "tout justiciable (à) contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative" (décision 2010-52 du 14 octobre 2010).
La cause paraît donc entendue; et l'interprétation jurisprudentielle constante peut aujourd'hui indiscutablement être déférée au Conseil Constitutionnel pour discussion de sa constitutionnalité. La portée de la réforme est considérable.
Au terme de cette analyse, la réponse s'impose :
Il n'y a donc rien d'anormal à ce que le Tribunal Correctionnel, saisi par un prévenu, retienne pour sérieuse une "QPC" posée sur la prescription d'infractions commises il y a une vingtaine d'années, même si la conséquence immédiate de cette première décision est le report du procès.
Et si l'interprétation jurisprudentielle est jugée inconstitutionnelle, les justiciables, et les citoyens – sans partis pris - ne pourront "en droit" que se féliciter d'une application rigoureuse des principes constitutionnels ?
Le droit triomphe donc.
Les effets de la décision du 8 mars 2011
Cette décision, et celle qui devrait suivre, auront évidemment des effets directs et des effets indirects.
*En ce qui concerne les effets directs, ils paraissent de divers ordres :
1. Sous l'angle du droit, toujours, on rappellera que la question "remonte" en quelque sorte à la Cour de Cassation (pour un procès administratif, au Conseil d'Etat) dont la Jurisprudence est donc mise en cause.
Celle-ci doit, dans les trois mois, soit mettre un terme aux débats et renvoyer devant le Tribunal Correctionnel soit transmettre au contraire au Conseil Constitutionnel pour analyse de la constitutionnalité de cette Jurisprudence.
Il paraît difficile d'imaginer qu'en l'espèce la Cour de Cassation refuse de transmettre ladite question au Conseil Constitutionnel ; si elle ne le faisait pas, elle adopterait une attitude d'opposition quasi frontale à la Jurisprudence suscitée du Conseil Constitutionnel, ce qui est difficilement envisageable… mais il faut attendre.
Il faut en revanche mesurer l'importance d'une transmission de la "QPC" au Conseil Constitutionnel; en effet, en cette hypothèse, la Cour de Cassation consacre – dans une affaire extraordinaire médiatique - le "rôle crucial" qui échoit au Conseil Constitutionnel… et parallèlement elle reconnaît une limitation de son rôle puisque "sa" Jurisprudence peut être remise en cause au niveau français par le Conseil Constitutionnel (et non plus seulement au niveau du droit européen).
On rappellera à ce propos que la réforme constitutionnelle est en partie liée aux effets des décisions européennes condamnant la France en matière de respect des principes fondamentaux et au retard qu'avait pris la Législation française… puisque le principe de la création d'une exception de constitutionnalité, proposée voici quelques années, avait été écartée
2. Prenons pour hypothèse à présent que le Conseil Constitutionnel soit saisi et qu'il retienne le sérieux de la question - c'est-à-dire qu'il remette en cause la Jurisprudence précédente (l'autre hypothèse étant sans intérêt dans le cadre du présent commentaire); il sera rappelé que les décisions rendues par le Conseil Constitutionnel peuvent être classées de la manière suivante :
- des décisions qui retiennent la constitutionnalité mais avec une réserve d'interprétation expressément visée ; le juge ensuite ressaisi doit tenir compte de la réserve d'interprétation énoncée… ;
- des décisions de non-conformité partielle ou totale dont le juge du fond, ressaisi, doit également tirer les conséquences ;
- enfin, si l'Ordre public est en cause, des décisions de non-conformité avec effet de l'abrogation reporté dans le temps comme il fut le cas pour la réforme, attendue, de la garde à vue.
Il nous paraîtrait dangereux aujourd'hui d'être devins… et ce même si la question porte sur une interprétation jurisprudentielle dont on peut penser que si elle est jugée non conforme, elle ne pourrait conserver un effet provisoire et à durée déterminée…
3. Au terme de ce "parcours" de constitutionnalité, l'affaire reviendra devant le Tribunal Correctionnel de Paris qui devra donc tirer toutes les conséquences des décisions rendues.
A quelle époque ?
Il est évidemment impossible de le dire car même si les recours sont insérés dans de brefs délais (trois mois maximum pour la Cour de Cassation, trois mois également pour le Conseil Constitutionnel) ; l'utilisation de ces délais risque de reporter l'affaire en période électorale, ce qui risque de poser le problème de la nécessaire "sérénité" de la justice auquel tout justiciable a un droit tout aussi fondamental et auquel tout citoyen doit être attaché.
Et si l'on peut regretter le retard dans le traitement des dossiers, la sur-agitation ou surexcitation médiatique tardive doit être dénoncée.
Mais la décision du Tribunal Correctionnel de Paris n'a pas que des effets directs.
* En ce qui concerne les effets indirects, nous en relèverons au moins deux :
1. Si la Cour de Cassation transmet la QPC au Conseil Constitutionnel, les justiciables, tous, seront bien fondés à se convaincre que, et même dans les plus petits procès, l'interprétation jurisprudentielle de la Cour de Cassation peut être contestée "dans sa portée".
Nous penserons particulièrement à certaines Jurisprudences, d'ailleurs évolutives, de la Chambre Sociale qui viennent volontiers dire le droit plutôt que l'appliquer, au surplus indiscutablement de manière rétroactive c'est à dire dans des conditions qui mettent en cause la sécurité juridique et avec celle-ci – une fois encore rétroactivement – la qualité du conseil donné à l'origine par les praticiens.
La portée de la décision à venir, compte tenu de la couverture médiatique du procès, peut donc être considérable.
2. Mais un autre effet indirect doit être soulevé, qui concerne la composition même du Conseil Constitutionnel si celui-ci est appelé à jouer ce "rôle crucial".
Rappelons que le Conseil Constitutionnel est, aux termes de l'article 56 de la Constitution, composé de membres de droit qui sont les anciens Présidents de la République et de neuf autres membres qui sont nommés par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l'Assemblée Nationale.
Il n'est pas dans notre esprit de porter atteinte de quelque manière que ce soit à l'honorabilité de l'un ou de l'autre des membres du Conseil Constitutionnel ; ils font certainement honneur à notre Pays par leur intelligence et leur loyauté.
Mais dans la mesure où le Conseil Constitutionnel vient à remplir ce rôle crucial que d'autres ont rappelé avant nous, ne doit-on pas réfléchir à réformer les règles qui régissent sa composition car tout de même les hautes personnalités qui les nomment ont toutes à leur actif un parcours politique de plusieurs décennies.
Or, le citoyen doit être convaincu de la nécessaire totale indépendance du Conseil Constitutionnel.
N'entendons-nous pas aujourd'hui les commentateurs dire pour certains que si l'interprétation jurisprudentielle était mise à néant par le Conseil Constitutionnel, ce serait un "arrangement entre les puissants" ? et n'entendons nous pas les représentants des partis politiques se féliciter à l'excès pour les uns, s'horrifier injustement pour les autres d'un (petit) retard dans le règlement d'un procès parce que la constitutionnalité de la jurisprudence est en cause ?
La réforme constitutionnelle qui est intervenue impose sans doute une réflexion de ce chef au plus haut niveau.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Guillaume Besnard - Fotolia.com
Auteur
FORTUNET Eric
Avocat Associé
Eric FORTUNET
AVIGNON (84)
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