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L'élément d'équipement à destination professionnelle
Publié le :
07/04/2015
07
avril
avr.
04
2015
La loi ne donne pas de définition précise de la notion d’ouvrage, mais il se dégage de la jurisprudence que les dispositions de l’article 1792 du Code civil n’ont vocation à ne concerner que les ouvrages immobiliers, sans distinction selon leur destination d’habitation ou professionnelle.
A propos de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 24 février 2015 (13/16719) :
Un maître d’ouvrage a fait procéder à la pose d’un revêtement d’étanchéité sur une partie de la toiture d’un hypermarché, dont il avait pu obtenir la mise à disposition dans le cadre d’un bail.Souhaitant par ailleurs intégrer en toiture un générateur photovoltaïque pour le raccorder au réseau public de distribution d’électricité et vendre l’électricité produite à EDF, le maître d’ouvrage a également passé commande de la fourniture et de la pose d’onduleurs, de divers matériels nécessaires aux raccordements, ainsi que des tableaux et coffrets électriques.
Quelques mois après le prononcé de la réception des travaux, un incendie s’est produit sur le générateur photovoltaïque, au niveau d’un coffret de raccordement des câbles provenant des membranes photovoltaïques, la toiture s’en étant trouvée endommagée.
Le maître d’ouvrage a alors pris l’initiative d’assigner l’assureur RC décennale du poseur de l’installation photovoltaïque devant le tribunal de commerce de Paris, afin de solliciter sa condamnation à l’indemniser de ses différents chefs de préjudices sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du Code civil.
Par un jugement rendu en juillet 2013, le tribunal de commerce de Paris a débouté le maître d’ouvrage de l’intégralité de ses demandes, ce dont il a été relevé appel.
Par un arrêt rendu le 24 février 2015, la cour d’appel de Paris a confirmé purement et simplement le jugement entrepris au visa des dispositions de l’article 1792-7 du Code civil.
Afin de soutenir le bénéfice de la garantie décennale, le maître d’ouvrage n’avait pas manqué de faire valoir que l’installation photovoltaïque était incorporée au bâtiment, faisant corps avec lui et devant être qualifié d’ouvrage immobilier au sens des dispositions de l’article 1792 du Code civil.
L’installation photovoltaïque ne devait donc pas être qualifiée d’élément d’équipement, mais d’ouvrage à proprement parler, relevant de la garantie décennale des constructeurs sous réserve que soit établi une impropriété de l’ouvrage à sa destination ou une atteinte à la solidité de l’élément d’équipement rendant ainsi l’ouvrage impropre à sa destination.
Or, selon le maître d’ouvrage, dès lors qu’il avait été nécessaire de procéder au remplacement de l’intégralité du générateur photovoltaïque, y compris le revêtement d’étanchéité qui intégrait les panneaux photovoltaïques et assurait le clos et le couvert du bâtiment, il était soutenu que l’impropriété à la destination normale de l’ouvrage était parfaitement établie.
La garantie décennale de l’assureur de l’installateur devait donc être mobilisée, dès lors que la police qui avait été souscrite couvrait : « les matériaux et produits photovoltaïques intégrés au bâtiment dans l’opération de construction dans la seule fonction de bâtiment, telle que la couverture ou l’étanchéité de l’immeuble à l’exclusion de leur fonction de production d’électricité dont le défaut ou l’absence des performances promises relèvent de la garantie du fabricant. »
De manière tout à fait classique en effet, l’assureur RC ou RC décennale ne couvre pas le défaut de performance, ce sujet ne posant aucune difficulté en l’espèce.
L’intérêt de la décision rendue est tout autre, en ce qu’elle statue, ce qui n’est pas si courant, sur le fondement des dispositions de l’article 1792-7 du Code civil, issu de l’ordonnance du 8 juin 2005, dont il résulte que : « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. »
Et les informations qui nous sont données par cette décision s’avèrent particulièrement intéressantes.
I- Ouvrage, élément constitutif et élément d'équipement :
La loi ne donne pas de définition précise de la notion d’ouvrage, mais il se dégage de la jurisprudence que les dispositions de l’article 1792 du Code civil n’ont vocation à ne concerner que les ouvrages immobiliers, sans distinction selon leur destination d’habitation ou professionnelle.L’ouvrage se caractérise donc par la construction d’un ensemble composé d’une structure, d’un clos et d’un couvert, en ce intégrés les éléments de viabilité et de fondation (Cass, 3ème civ, 4 octobre 1989, n° 88-11962 – pour la construction d’une véranda adossée à la façade d’un immeuble formant un ensemble composé d’une structure, d’un clos et d’un couvert).
La notion d’ouvrage intègre également le critère d’immobilisation et d’incorporation au sol ou à un ouvrage immobilier existant, de telle sorte que l’ensemble puisse former un tout qualifiable d’ouvrage à part entière (Cass, 3ème civ, 28 janvier 2003, n° 01-13358 – pour l’installation d’un bungalow, n’étant pas immobilisé au sol uniquement par son propre poids, mais fixé sur des plots et longrines en béton et ne pouvant pas être déplacé).
En revanche, contrairement à ce qui est couramment soutenu, la notion d’ouvrage ne saurait être définie par référence à des techniques de pose :
Cass, 3ème civ, 26 avril 2006, n° 05-13971 : « Attendu que pour qualifier d’ouvrage au sens de cet article l’installation complète de l’appareil de production d’eau chaude, l’arrêt retient que cette installation comprend la pose des canalisations, tuyauteries, raccordements ou tous autres accessoires matériels nécessaires, ce qui suppose des ancrages et fixations formant corps avec l’ouvrage d’ossature. »
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ne résulte pas de ces énonciations, qui font référence à des techniques de pose, que M. Y … ait été constructeur d’un ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
La distinction peut-être subtile avec le critère d’importance des travaux réalisés qui est régulièrement employé par la jurisprudence pour retenir la qualification d’ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du Code civil.
C’est ainsi que de nombreux arrêts retiennent que l’importance des travaux réalisés les assimile nécessairement à la construction d’un ouvrage, ce qui bien entendu procède de la souveraine appréciation des juges du fond.
Cass, 3ème civ, 28 janvier 2009, n° 07-20891 : « Attendu qu’ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que l’installation de climatisation réalisée comprenait une centrale d’énergie aux fins d’assurer la production de l’énergie calorifique et frigorifique nécessaire à la climatisation des bâtiments du parc des expositions et la climatisation intérieure de ces bâtiments par la mise en place des équipements nécessaires (alimentation électrique, eau glacée, système de programmation, caissons de ventilation, diffuseurs d’air, etc), la cour d’appel, qui a exactement retenu que ce système, par sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments à la construction immobilière, constituait un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil, a, sans être tenue de procéder à une recherche relative au caractère indissociable de cette installation avec les bâtiments que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision de ce chef. »
Il ne suffit donc pas de caractériser l’existence d’une installation dont les éléments seraient emprunts à la construction immobilière, ce qui relèverait alors d’une analyse uniquement fondée sur des techniques de pose, mais également son importance de par sa conception et son ampleur :
Cass, 3ème civ, 18 novembre 1992, n° 90-21233 : « Mais attendu que la cour d’appel, qui a retenu que l’installation réalisée comportait une chaudière équipée d’un brûleur et une pompe à chaleur dont l’évaporateur était associé à une cuve de 20 m3, enterrée, en a exactement déduit qu’il s’agissait d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil. »
L’ouvrage se distingue de l’élément d’équipement dont les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil font référence sans en donner de définition, si ce n’est qu’ils ne concernent strictement que la notion d’élément d’équipement d’un ouvrage depuis l’ordonnance du 8 juin 2005.
Il s’évince ainsi des dispositions de l’article 1792-2 du Code civil que lorsqu’il est justifié par le maître d’ouvrage d’un désordre affectant un élément d’équipement d’un ouvrage, qu’il soit dissociable ou non, de nature à porter atteinte à la destination de l’ouvrage, la garantie décennale a vocation à être mobilisée sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du Code civil (Cass, 3ème civ, 2 juillet 2002, n° 00-13313 : « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les désordres affectant l’élément d’équipement constitué par le système d’assainissement incluant la fosse septique, ne rendaient pas l’immeuble impropre à sa destination, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »).
Ce n’est en définitive qu’en cas d’atteinte à la solidité d’un élément d’équipement d’un ouvrage que la notion d’indissociabilité trouve tout son intérêt.
En effet, en application de l’article 1792-2 du Code civil, si l’élément d’équipement fait indissociablement corps avec les ouvrages de fondation, ossature, clos et couvert, il s’agit d’un élément constitutif d’un ouvrage qui a vocation à bénéficier de la garantie décennale des constructeurs, dès lors qu’il est justifié d’une impropriété à la destination de l’ouvrage du fait de l’atteinte à la solidité de l’élément d’équipement.
A défaut d’indissociabilité, l’impropriété à la destination de l’ouvrage du fait de l’atteinte à la solidité de l’élément d’équipement doit être traitée dans le cadre de la garantie de bon fonctionnement visée à l’article 1792-3 du Code civil.
Ainsi donc, en l’absence d’impropriété à la destination de l’ouvrage, découlant d’un désordre affectant un élément d’équipement de l’ouvrage, ou d’atteinte à la solidité même de l’élément d’équipement entrainant une impropriété à la destination de l’ouvrage, le dommage doit être considéré au regard de l’article 1792-3 du Code civil, qui dispose que : « Les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception. »
Reste bien entendu le cas particulier de l’élément d’équipement simplement adjoint à un ouvrage existant, qui ne relève pas selon une jurisprudence désormais constante de la garantie de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du Code civil, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1147 du Code civil (Cass, 3ème civ, 10 décembre 2003, n° 02-12215).
Dans le cadre de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rendu le 24 février 2015, la cour d’appel de Paris s’est fort justement attachée à rechercher au préalable si l’installation photovoltaïque était susceptible de constituer un ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du Code civil, ou s’il s’agissait d’un élément d’équipement.
La notion d’ouvrage a été écartée en l’espèce, dès lors qu’il n’était pas justifié que le générateur photovoltaïque avait pour fonction d’assurer le clos et le couvert de l’immeuble :
« Que la société X affirme que le générateur photovoltaïque fourni et posé serait indissociable du complexe d’étanchéité posé par la société Y, celui-ci étant lui-même indissociable de l’immeuble dont il assure le couvert. »
« Que pour ce faire, elle produit en pièce n° 29, le cahier des charges du complexe d’étanchéité posé, dont il ne ressort nullement que le générateur photovoltaïque ferait corps avec le complexe d’étanchéité et donc avec la structure du bâtiment et qu’en conséquence, sa dépose, son démontage ou son remplacement ne pourrait s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière, et notamment sans porter atteinte à l’étanchéité de la toiture ; qu’en effet, selon ce document, le raccordement électrique aux onduleurs des modules photovoltaïques intégrés à l’étanchéité est réalisé au moyen de « connecteurs débrochables », les chemins de câbles en toiture étant fixés à des supports les surélevant, au-dessus de l’étanchéité, étant ajouté qu’il n’est nullement démontré que le film photovoltaïque souple posé par la société Y et intégré à la membrane ou les cellules qui le composent ne pourraient pas être détachés et remplacés sans endommager ou retirer le revêtement d’étanchéité. »
Restait donc à s’interroger sur le point de savoir si le générateur photovoltaïque, puisque n’étant pas un ouvrage, était ou non susceptible de constituer un élément d’équipement de l’ouvrage au sens des dispositions des articles 1792-2 et 1792-3 du Code civil.
La cour d’appel de Paris y répond négativement au visa de l’article 1792-7 du Code civil.
II- L’élément d'équipement soumis au régime de la responsabilité contractuelle de droit commun :
L’article 1792-7 du Code civil, issu de l’ordonnance du 8 juin 2005, dispose que ne constitue pas un élément d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792-2 et 1792-3 du Code civil, l’élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre une activité professionnelle dans l’ouvrage.Cette disposition tout à fait particulière ne concerne donc que les éléments d’équipement.
En l’espèce, confirmant le jugement entrepris, la cour d’appel de Paris constate que l’installation photovoltaïque n’a pour seule fonction que d’être raccordée au réseau public de distribution d’électricité et la production ensuite vendue à EDF, de sorte que :
« En raison de sa finalité de revente d’énergie entre professionnels, le générateur photovoltaïque a une destination professionnelle exclusive de l’application des dispositions des articles 1792 à 1792-3 du Code civil. »
Très clairement donc, le générateur photovoltaïque ne constitue ni un ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du Code civil, ni un élément d’équipement d’un ouvrage au sens des dispositions des articles 1792-2 et 1792-3 du Code civil, devant être traité dans le cadre de la responsabilité contractuelle de droit commun, en application des articles 1792-7 et 1147 du Code civil, et non pas sur le fondement de la responsabilité contractuelle des constructeurs après réception.
Il s’agit donc du même régime que celui qui est réservé à l’élément d’équipement d’un ouvrage simplement adjoint à un ouvrage existant.
Le maître d’ouvrage est ainsi débouté de ses demandes présentées sur le fondement de la garantie légale des constructeurs.
La décision rendue apparait sur ce point parfaitement justifiée, tant en fait, qu’en droit, et éclaire le raisonnement en présence d’installations composées de panneaux photovoltaïques, installés non pas en intégration, mais en sur imposition et dont la production énergétique est autonome, comme n’ayant pas vocation à permettre le fonctionnement du bâtiment.
Mais les enseignements à tirer de cette décision vont bien au-delà.
En effet, alors même qu’elle n’avait pas retenu la qualification d’ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du Code civil, la cour d’appel de Paris a néanmoins tenu, de manière manifestement surabondante, à caractériser l’absence d’impropriété à la destination du seul fait de l’interruption de la production d’électricité en raison de la survenu du sinistre incendie :
« L’impropriété à l’usage auquel était destiné ce générateur (qu’aurait révélé l’incendie consécutif à un court circuit dans un coffret de raccordement des câbles provenant de membranes photovoltaïques) ne porte nullement atteinte à la destination du bâtiment, l’électricité produite ne devant pas alimenter ses installations mais étant destinées à être vendue, … »
Et de fait, il est extrêmement courant, qu’après avoir soutenu l’existence d’un ouvrage au sens des dispositions de l’article 1792 du Code civil, du fait de la fonction de clos et de couvert de l’installation photovoltaïque lorsque les panneaux sont installés en intégration de la toiture, le maître d’ouvrage en vient à soutenir l’existence d’une impropriété à la destination du fait du risque d’incendie et de la nécessité de mettre l’installation hors service, compte tenu des circonstances.
Sur ce, la cour d’appel de Paris répond avec justesse que l’arrêt de la production d’électricité, dont la seule finalité est la revente d’énergie, sans alimentation du bâtiment, ne peut-être de nature à porter atteinte à la destination de l’ouvrage, faute de rapporter la preuve de l’existence d’un défaut d’étanchéité.
La seule impropriété à la destination de l’ouvrage qui puisse justifier la mise en œuvre de la garantie légale des constructeurs ne peut découler que d’une atteinte aux fonctions de clos et de couvert et très certainement pas d’une perte de production d’électricité, parfaitement autonome, relevant en définitive du seul défaut de performance, en tout état de cause non garanti.
Quant au risque d’incendie, il appartient plus certainement au maître d’ouvrage de s’adresser à son assureur dommage, au titre de la garantie multirisque habitation, dès lors que le sinistre n’a pas vocation à être couvert au titre de la garantie légale des constructeurs, compte tenu de son origine et de sa cause.
Enfin, et en réponse à l’argument également assez classique, selon lequel l’assureur RC décennale aurait pu manquer à son devoir de conseil et d’information à l’égard de son assuré sur les limites de sa garantie, tout particulièrement en considération de l’article 1792-7 du Code civil, la cour d’appel de Paris répond de manière extrêmement claire dans son arrêt rendu le 24 février 2015 :
« La société X prétend que l’assureur a manqué à son devoir de conseil en insérant, alors qu’il connaissait parfaitement son activité, une clause au contrat restreignant la couverture du risque décennal à une infime partie de son activité ; que cet argument ne résiste pas à l’examen, la convention des parties ne faisant que reprendre les limites de la responsabilité des constructeurs issues de l’ordonnance du 8 juin 2005, et donc celles de l’obligation de couverture obligatoire, que la société X professionnelle de la construction ne peut prétendre ignorer, étant au surplus relevé, qu’elle exige en réalité la couverture d’un risque d’entreprise qui n’est pas assurable. »
La position adoptée par la cour d’appel de Paris sur ces différents points a le mérite d’être claire et devra être mise en perspective avec les différentes jurisprudences qui devraient être publiées dans les prochains mois.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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