responsabilité in solidum construction

Sur la condition d'application de la responsabilité in solidum

Publié le : 11/03/2024 11 mars mars 03 2024

Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-18.672
La responsabilité in solidum est un principe de création purement jurisprudentielle, signifiant que le responsable d’un même dommage peut être condamné à réparer l’intégralité du préjudice de la victime, à charge pour lui de se retourner ensuite vers les co-auteurs à dû concurrence de leur propre part de responsabilité.
Dans sa Lettre du mois de février 2022, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation indiquait à son sujet que : « L’obligation in solidum n'a pas pour objet de mettre à la charge d'une partie les conséquences de la faute des autres mais de résoudre la difficulté tenant à la pluralité des débiteurs de l'obligation de réparation d'un même dommage. L'obligation in solidum évite à la victime de partager son recours, avec les risques que cela comporte en cas d'insolvabilité de certains responsables ».

La jurisprudence rappelle ainsi de façon constante que chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à le réparer intégralement, dès lors que chacune de ces fautes a concouru à le causer tout entier, sauf le recours entre eux pour déterminer leurs contributions définitives à la dette (Cass, 1ère civ, 19 novembre 2009, n° 08-15.937 ; Cass, 3ème civ, 4 février 2016, n° 14-28.052 : « chaque responsable d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité. ») Le prononcé d’une condamnations in solidum implique donc que les fautes commises respectivement par les constructeurs ont contribué à la réalisation d’un même dommage dans son intégralité (Cass, 3ème civ, 9 juillet 2020, n° 19-16.843). A cet égard, les obligations méconnues peuvent procéder d’un seul et même contrat, dès lors que les fautes commises par les débiteurs ont concouru à la réalisation de l’entier dommage dont chacun doit ainsi réparer l’intégralité (Cass, 3ème civ, 28 mars 1995, n° 93-10.894, Publié au bulletin).

Dans son arrêt en date du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-18.672), la Cour de cassation a rappelé que le prononcé d’une condamnation in solidum n’avait pas lieu d’être systématique lorsque plusieurs constructeurs étaient impliqués dans la réalisation d’un même dommage, dès lors qu’ils n’y avaient pas contribué de la même façon dans son intégralité.

Recherchant ainsi si une cause déterminante du dommage n’avait pas suppléée les autres causes, la Cour de cassation a pu considérer que les fautes commises par un des constructeurs avaient, à elles seules, justifié la survenu de l’entier dommage, ce qui n’était pas nécessairement le cas des fautes imputées aux autres lots.

Dans cette affaire, des travaux de rénovation d’une maison d’habitation avaient été entrepris.
En cours de chantier, d’importantes malfaçons avaient été constatées justifiant la démolition de l’ouvrage.

Les premiers juges ont alors condamné in solidum les différents intervenants à l’acte de construire, au motif qu’outre les malfaçons imputables aux travaux de gros-oeuvre, deux autres constructeurs avaient réalisé des travaux qui étaient également affectés de malfaçons importantes.

Il a donc été jugé en appel que les trois constructeurs avaient contribué de manière indissociable à l’intégralité du dommage à l’occasion de la réalisation des travaux.
La décision d’appel a été cassée par l’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2024 (Cass, 3ème civ, 15 février 2024, n° 22-18.672), au motif que les conditions d’application de la responsabilité in solidum n’étaient pas réunies en l’espèce, dès lors que les fautes commises par le lot gros-oeuvre justifiaient « à elles seules » la démolition d’importants éléments de la structure du bâtiment d’habitation.

Il en résultait donc que les deux autres constructeurs n’avaient pas contribué de manière indissociable à la survenance de l’entier dommage.

Cette décision est l’occasion de rappeler ce qu’il convient d’entendre par le concours des débiteurs à la réalisation d’un même et « entier dommage ».

Dès lors que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité in solidum sont réunies, la seule réserve des propres recours du locateur d’ouvrage contre les co-auteurs, ne peut affecter l’étendue de son obligation à l’égard de la victime du dommage.
C’est ainsi que dans un arrêt en date du 15 février 2014 (Cass, 3ème civ, 15 février 2014, n° 21-22.457), la Haute juridiction a cassé une décision qui avait rejeté une demande de fixation de créance au passif d’une société, au motif que si la responsabilité de celle-ci dans les désordres était indiscutable, « elle n’était pas la seule. »

Bien entendu, en prononçant une condamnation in solidum, et parce que l’obligation in solidum n'a pas pour objet de mettre à la charge d'une partie les conséquences de la faute des autres parties, le juge ne statue pas sur l’appel en garantie exercé par l’un des codébiteurs condamnés à l’encontre de l’autre, ni ne préjudice de la manière dont la contribution à la dette entre tous les codébiteurs concernés devra s’effectuer (Cass, 2ème civ, 11 avril 2013, n° 11-24.428, Publié au bulletin).

Il appartient donc au juge de répartir entre les co-obligés in solidum leur contribution à la totalité de la dette (Cass, 3ème civ, 21 décembre 2017, n° 16-22.222 ; 17-10.074, Publié au bulletin). Le sujet s’est toutefois posé de savoir s’il n’était pas possible d’exclure conventionnement l’application du principe de responsabilité solidaire ou in solidum.

La jurisprudence l’a très longtemps admis au sujet des contrats d’architectes, au motif qu’il incombait au juge de respecter les dispositions contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum du constructeur à raison des dommages imputables aux autres constructeurs (Cass, 3ème civ, 11 mai 1988, n° 86-19.565 ; Cass, 3ème civ, 19 mars 2013, n° 11-25.266).

Pour autant, procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt en date du 19 janvier 2022, qu’une telle clause ne pouvait avoir pour conséquence de réduire le droit à réparation du maître de l’ouvrage et donc de faire obstacle à la condamnation de l’architecte, avec celle des autres constructeurs, dès lors que sa faute avait contribué à la réalisation du même dommage (Cass, 3ème civ, 19 janvier 2022, n° 20-15.376).


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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