De la durée anormalement longue des expertises
Publié le :
15/04/2010
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2010
Le 23 mars dernier, le Ministre de la Justice et des Libertés a répondu à un honorable parlementaire, qui l’avait interrogée sur l’opportunité d’encadrer strictement les expertises judiciaires dans des délais raisonnables.
Réduire la durée des expertises judiciairesLe 23 mars dernier, le Ministre de la Justice et des Libertés a répondu à un honorable parlementaire, qui l’avait interrogée sur l’opportunité d’encadrer strictement les expertises judiciaires dans des délais raisonnables (QE n°6709 du 15 décembre 2009 réponse JOAN du 23 mars 2010).
Partant du constat que de trop nombreuses expertises ordonnées judiciairement sont réalisés dans des délais excessifs, le député Jacques LE NAY avance l’idée – qui peut apparaître pertinente au premier abord - de fixer des délais maximums dans lesquels l’expert désigné devra impérativement rendre ses conclusions.
Le Ministre répond en rappelant que le juge (de l’ordre judiciaire ou administratif) qui a désigné ledit expert, exerce le contrôle de la mission attribuée - notamment de sa durée - et fixe les délais dans lesquels le rapport doit être déposé.
Il peut même, si l’expert ne respecte pas les délais impartis, l’amener à s’expliquer et amputer les honoraires sollicités, en fonction de la qualité du travail fourni et donc notamment de sa célérité.
Pour le Ministre, la rédaction d’un code de déontologie des experts serait de nature à apporter des solutions à ce problème récurrent, de même que les recommandations formulées par la conférence des premiers présidents de Cours : mise en place au sein de chaque juridiction d’un service dédié à l’expertise et de définition de méthodes permettant de fixer au plus juste les délais octroyés.
Et de finir par une belle conclusion, selon laquelle l’action conjointe de l’arsenal législatif, de la pratique des juridictions et des auxiliaires de justice concourent à ce que les expertises soient achevées dans un délai raisonnable. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
La lecture de cette réponse amène à formuler deux remarques.
- La première est que la durée des expertises est source de suffisamment de préoccupations qu’elle parvient à mobiliser un parlementaire et un ministre (mais quiconque participe activement à l’exercice de manière régulière en est parfaitement conscient).
- La seconde est que, quelle que soit sa durée, l’expertise apparaît toujours beaucoup trop longue aux justiciables personnes physiques, morales, privées ou publiques ; la justice doit apporter la réponse la plus rapide possible et l’expertise n’est souvent perçue que comme un moyen dilatoire pour retarder la mise en œuvre de sa responsabilité de la partie adverse.
Mais ce n’est pas en se contentant d’énumérer les moyens censés permettre de remédier à cette difficulté, pas plus qu’en encadrant l’expertise dans des délais stricts, que les justiciables seront plus satisfaits de ce pan de la Justice.
Pour ce qui est du Ministre et de l’aveuglement relatif dans lequel elle veut faire semblant de se trouver, tous les moyens énoncés ne suffisent pas- loin s’en faut- à régler le problème, dans la mesure où le problème en l’espèce, c’est le manque de moyens : humains et financiers.
Certes les magistrats, lorsqu’ils désignent un expert, se doivent en principe d’assurer le suivi de sa mission : mais combien ont la possibilité matérielle de le faire, et surtout la compétence technique pour s’assurer que l’expert qui demande un délai complémentaire du fait de la complexité de son sujet (excuse souvent employée), ne tente ainsi pas d’occulter une éventuelle carence de sa part ?
L’entrée en vigueur d’un code de déontologie des experts ne suffira pas à changer la donne : un expert sérieux respecte déjà assurément les principes qui y seront édictés et réciproquement, l’expert à qui manquent ces principes, ne les respectera pas plus lorsqu’ils seront codifiés.
Quant à l’idée du parlementaire de fixer un délai maximum à l’expertise, elle semble improbable : comment graver dans le marbre un délai maximal, ou même plusieurs délais successifs, alors que la diversité des domaines et des problématiques interdit toute uniformisation en la matière.
Alors quelles sont les modifications à apporter ? La plus évidente est le choix de l’expert : la difficulté d’un magistrat lorsqu’il désigne un spécialiste est qu’il s’appuie sur des listes qui, si elles le renseignent sur les compétences supposées de l’expert, ne lui donnent aucune idée de la qualité de son travail et de ses connaissances juridiques pourtant nécessaires pour mener correctement des débats contradictoires.
Pire, le magistrat n’aura le plus souvent jamais aucun retour réel sur ces deux éléments essentiels dans la mesure où c’est rarement lui qui aura à trancher le litige à l’aide du rapport et, même lorsque c’est le cas, cela survient dix-mois au mieux après la fin de l’expertise soit près de deux à trois ans après l’avoir désigné…
La solution est la communication entre les magistrats et les avocats qui « testent » quotidiennement les services des experts : en institutionnalisant l’organisation d’une ou deux réunions annuelles pour faire le point sur la liste des experts et la mettre à jour en vérifiant notamment leurs compétences techniques et juridiques et l’adéquation des désignations avec leur spécialité réelle.
Des expériences locales en ce sens ont déjà prouvé l’intérêt d’une telle démarche, et les experts les moins orthodoxes, sachant que leur cas peut être exposé à intervalles réguliers, modifient leur pratique.
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les avocats n’en profitent pas pour chasser les experts qui ne leur auraient pas été favorables mais savent faire preuve du recul nécessaire pour apprécier leurs compétences en toute impartialité : alors avis aux présidents de juridictions pour programmer la première rencontre !
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
NAUX Christian
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)
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