Sur la qualité de co-employeur
Publié le :
03/10/2014
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L’arrêt « Molex » rendu par la Cour de cassation le 2 juillet 2014 est à l’origine de nombreuses chroniques sur le co-emploi, teintées de soulagement pour les sociétés mères.Si ces affaires concernent le plus souvent des groupes internationaux (Molex, Continental, Juhreinrich…), elles peuvent tout autant concerner des groupes nationaux, de taille modeste, voire purement familiaux. Elles peuvent concerner des employeurs exerçant sous forme de sociétés commerciales, ou sous toute autre forme juridique exerçant même sans but lucratif.
Les groupes y sont rarement dépeints comme des cercles vertueux lorsqu’il est question de la cessation d’activité d’une filiale, alors que les autres entités y poursuivent leurs activités, et que l’ensemble continue à afficher des résultats positifs.
Sur fond de restructuration et face à un débiteur insolvable, la construction prétorienne du co-emploi permet de désigner la société mère, voire une autre entité du groupe, comme employeur de substitution, débiteur d’un certain nombre des obligations de l’employeur originel, et comme payeur en cas de non-respect de ces obligations.
- Dans l’affaire Molex, et face à l’insécurité résultant de l’appréciation par les juges des critères caractérisant le co-emploi, la Cour de cassation a franchi un seuil dans la définition de ces critères.
Ils contestent le bienfondé de leur licenciement et sollicitent la prise en charge des indemnités de rupture et des dommages et intérêts par la société mère Molex, considérant cette dernière co-employeur. La Cour d’Appel de Toulouse fait droit à leurs demandes.
Des indices portés au dossier, les magistrats du fond en retiennent quatre pour caractériser le co-emploi entre les salariés de la filiale licenciés et la société mère : les dirigeants de la filiale française sont nommés par la société mère américaine, les pouvoirs d’engagement des dirigeants de la filiale sont plafonnés, la participation de la société mère dans la signature d’un acte en lien avec la reprise de la filiale, puis dans la fermeture du site.
Pour la Cour de cassation, ces indices sont insuffisants pour démontrer une situation de co-emploi :
« Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et que la société mère ait pris, dans le cadre de la politique du groupe, des décisions affectant le devenir de la filiale, et se soit engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois, ne pouvait suffire à caractériser une situation de co-emploi, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La cour suprême distingue en outre, dans les relations intra groupe, celles qui demeurent dans le cercle vertueux, et celles qui conduisent à une perte d’autonomie exagérée de l’employeur originel, et à une substitution d’employeur :
« Attendu cependant que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par un autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ».
La Cour de cassation a déjà retenu que le co-emploi doit être établi au regard d’éléments étrangers au mandat social ou encore que la provenance du groupe des dirigeants d’une filiale ne suffit pas à démontrer une situation de co-emploi (Cass. soc. 24 juin 2014 n°10-19.776 et Cass. soc. 25 septembre 2013 n°12-14.353).
- L’attendu de principe de la Cour de cassation dans l’affaire Molex répond aux souhaits de revenir à une vision plus pragmatique des relations intra groupe.
La difficulté est de trouver le juste équilibre entre ces pratiques et la préservation de l’autonomie de gestion de chacune des sociétés de cet ensemble, sociétés mère comme filles, pour éviter que ne soit reconnue entre plusieurs entités la triple confusion d’intérêt, d’activité et de direction qui conduit au co-emploi en cas d’immixtion d’une société dans la gestion économique et sociale d’une autre.
Pour ce, il convient de veiller à la rédaction des conventions de prestations intra groupe, de diversifier dans la mesure du possible (problématique des groupes familiaux) les dirigeants, de privilégier des politiques sociales et commerciales distinctes…
Lorsque cet équilibre est constaté, les relations intra-groupe seront qualifiées de « normales » et éviteront la reconnaissance du co-emploi entre plusieurs entités du groupe. Si la filiale est déchue de la prise de décisions concernant sa propre gestion, le co-emploi risque d’être caractérisé.
- L’Administration pratique déjà dans le champ du co-emploi. Si une situation de co-emploi est révélée à l’examen d‘une demande d’autorisation de licenciement pour motif économique d’un salarié protégé, elle devra étendre le contrôle de l’existence d’un motif économique au niveau des entités du groupe œuvrant dans le même secteur d’activité que l’employeur sollicitant l’autorisation (circulaire DGT 07/2012 du 30 juillet 2012). Dès lors, si l’employeur en difficulté, ou le mandataire judiciaire, sollicite l’autorisation de licenciement sur le seul fondement du motif autonome de la cessation totale d’activité alors qu’une situation de co-emploi est révélée, l’Administration ne pourra que refuser le licenciement puisque le motif exposé sera inadapté.
- Pour conclure, éviter le co-emploi, c’est avant tout circonscrire à l’entité employeur en difficulté, voire défaillant, le risque attaché à la remise en cause de son plan de sauvegarde, de la procédure de licenciement, ou encore du motif économique exposé à l’appui des licenciements économiques.
Le groupe est déjà nécessairement concerné par ces opérations, directement ou non, via le périmètre de mise en œuvre de l’obligation de recherche de reclassement, l’appréciation de ses moyens pour définir la teneur du plan de sauvegarde de l’emploi de la filiale, les effets de seuils sociaux qui y sont attachés : congé de reclassement, revitalisation…
Si dans le contexte de groupes internationaux, les montants des condamnations des sociétés co-employeurs donnent le vertige, dans les groupes de taille modeste ces condamnations peuvent être désastreuses pour la pérennité des autres entités du groupe.
Dès lors, face à la montée en puissance, et au poids, des contentieux sociaux collectifs, sécuriser la notion de co-emploi ne permet pas seulement de participer à la préservation de l’attractivité économique du territoire français pour les groupes internationaux mais également de participer à la sécurité juridique d’entités de taille modeste contraintes de mettre en œuvre un plan de licenciements.
Cet article n'engage que son auteur.
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Auteur
TARDIVEL Laurence
Avocate Associée
CORNET, VINCENT, SEGUREL NANTES
NANTES (44)