Affaire Jérôme KERVIEL acte II : Le Jugement
Publié le :
12/10/2010
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Le délibéré (très attendu et commenté) rendu par le Tribunal Correctionnel de PARIS (11ème Chambre 3ème section sous la présidence de M. Dominique PAUTHE), le 5 octobre 2010, jugeant des préventions retenues contre M. Jérôme KERVIEL, a (principalement) condamné ce dernier à :
- 5 ans d'emprisonnement dont 2 ans avec sursis ;
- l'interdiction définitive d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles, en l'espèce d'exercer les activités d'opérateur de marché et toute activité relative aux marchés financiers ;
- à payer à la SOCIETE GENERALE, la somme de 4 milliards 915 millions 610 mille 154 Euros.
***
A la lecture des longs et très techniques attendus, il apparaît que M. J. KERVIEL a été condamné tant pour ce qu'il a fait que pour ce qu'il est.
1) La condamnation des actes
D'abord, il n'a fait aucun doute pour le Tribunal que, les éléments matériels et intentionnels des incriminations retenues à son encontre, étant réunis, M. J. KERVIEL s'est rendu coupable :
- d'abus de confiance, "en passant sur les marchés […] des ordres exorbitants au regard tant dans leurs nominaux cumulés que des risques qui en découlaient pour la banque, Jérôme KERVIEL a sciemment, à l'insu de la banque, détourné les moyens techniques mis à sa disposition en les utilisant à d'autres fins que celles au service desquelles ils lui avaient été confiés" ;
- d'introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, en saisissant sciemment "des opérations sans réalité économique, qu'il a par la suite pour partie annulées, dans le seul but de masquer ses engagements hors mandats et hors limites" ;
- de faux (altération frauduleuse de la vérité dans un écrit) et d'usage de faux en écritures, étant auteur "d'une succession de transferts de message [qui] ne répondait qu'à un seul souci : masquer la réalité tout en donnant à ses affirmations des accents d'authenticité et aux opérations qu'il savait fictives, une apparence trompeuse de réalité ; que ces manœuvres engageaient les services comptables et les ont conduits à valider les ajustements proposés et à admettre la fausse réalité des opérations concernées ; que les messages étaient en cela destinés à établir l'existence de faits ayant des conséquences juridiques […]".
2) La condamnation de la personne
Pour justifier les condamnations prononcées et refuser toutes circonstances réductrices de responsabilité, le Tribunal a estimé devoir stigmatiser comme suit :
- "La diversité des techniques de falsifications ou dissimulations utilisées par Jérôme KERVIEL n'a d'égal que la réactivité fulgurante, le sang froid permanent et l'impassibilité trompeuse dont il a su faire preuve quotidiennement, au fil de ces nombreux mois" ;
- "Jérôme KERVIEL a persisté au cours des débats, en parfaite cohérence avec l'attitude adoptée en cours d'instruction, à rejeter sur la banque l'essentiel de la responsabilité, jusqu'aux modalités selon lesquelles le débouclage de ses positions est intervenu" ;
- " […] la trahison de la confiance professionnelle, le cynisme des agissements de Jérôme KERVIEL s'est exprimé lorsqu'il a prétendu que la Société Générale avait fait preuve d'opportunisme en se saisissant de son affaire pour relativiser les pertes découlant de la crise des subprimes" ;
- "qu'il a mené une campagne de communication, prenant à témoin cette fois-ci l'opinion publique, véhiculant l'image d'un individu en quête d'anonymat, antinomique avec le retentissement qu'il s'est attaché à donner à l'affaire dans les médias au cours des différentes phases de l'instruction et à l'approche de son procès, voire pendant celui-ci" ;
-" […] il a mis en péril la solvabilité de la banque qui employait les 140.000 personnes dont il faisait partie et dont l'avenir se trouvait gravement hypothéqué ; que par leur ampleur, leur spécificité et le contexte de crise dans lequel ils se sont inscrits, ses actes ont incontestablement porté une atteinte à l'ordre public économique international dont l'impact financier a pu être circonscrit par la réactivité de la banque".
***
L'immédiateté et l'exhaustivité des commentaires effectués à l'égard de ce jugement, témoignent de l'importance de cette affaire au-delà de ses répercutions médiatiques.
Il en ressort surtout l'incompréhension d'une condamnation, au titre de l'action civile de la SOCIETE GENERALE, d'un individu à une somme si importante (près de 5 milliards d'Euros) qu'il lui faudrait vivre 170.000 ans pour la payer.
A contrario, les condamnations prononcées contre M. J. KERVIEL au titre de l'action publique, à savoir, emprisonnement ferme de trois années et interdiction d'exercer son activité de financier, sont quasiment passées sous silence.
Faut-il y comprendre une adhésion générale au principe de la condamnation de M. J. KERVIEL mais pas à ses conséquences, uniquement pécuniaires toutefois ?
En tout état de cause, à retenir la cohérence juridique de ce jugement, il faut toutefois en admettre sa portée dérangeante.
1) un jugement cohérent
Le droit et son application judiciaire repose sur des principes (presque) simples et constants, il s'agit de donner une traduction juridique à des situations de fait dans le but d'en dégager des solutions de droit.
En pratique, le raisonnement juridique notamment dans son application judiciaire, repose sur un raisonnement en trois phases :
Phase 1 : l'analyse des faits ;
Phase 2 : la détermination (par traduction) du droit applicable ;
Phase 3 : la mise en œuvre des conséquences juridiques (par exemple, les sanctions applicables).
Ainsi, dès l'instant où en matière pénale comme en l'espèce, la matérialité des faits et la certitude des intentions les animant, caractérisent les critères retenus dans des infractions légalement prévues (dans le respect du principe dit de légalité), les conséquences juridiques les sanctionnant (pénales et civiles), ont vocation, en toute régularité juridique, à être mises en œuvre.
En conséquence, dès l'instant où le Tribunal Correctionnel de PARIS a considéré que :
- M. J. KERVIEL était coupable des infractions poursuivies, le principe de sa condamnation, était certain ;
- la SOCIETE GENERALE n'a commis aucun manquement susceptible d'exclure ou réduire son droit à indemnisation : "les négligences imputables à la partie civile ne sauraient être prises en compte dans la détermination de l'étendue de ses droits à indemnisation résultant de la commission d'infractions volontaires ; qu'en effet, Jérôme KERVIEL a été l'unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué des dommages causés à la partie civile ; qu'il s'ensuit que la Société Générale est en droit d'obtenir la réparation de l'intégralité du préjudice financier qui en découle".
- l'indemnisation de cette dernière à hauteur des sommes réclamées, était automatique quel qu'en fut le montant.
Certes, il s'agit d'une somme astronomique, inhumaine dans ses conséquences. Pour autant, l'hallali qui a suivi cet aspect du jugement, témoigne d'une appréhension non juridique ou judiciaire de la difficulté posée.
En toute cohérence, le Tribunal ne pouvait juger autrement.
Cohérence ne signifie pour autant pas satisfaction pour les parties concernées.
En effet, cette décision apparaît dérangeante.
2) un jugement dérangeant
Finalement, le ressenti public d'un excès dans la condamnation pécuniaire prononcée contre M. J. KERVIEL au bénéfice de la SOCIETE GENERALE, constitue le plus grand atout du prévenu en cause d'appel (interjeté contre le présent jugement ainsi que Me METZER, avocat de M. J. KERVIEL l'a indiqué dès le prononcé du jugement).
Paradoxalement, cette condamnation extraordinaire devrait servir à la défense de M. J. KERVIEL devant la Cour saisi de son appel.
En effet, c'est une victoire à la Pyrrhus à laquelle la SOCIETE GENERALE semble confrontée.
Alors qu'aucune responsabilité n'a été retenue contre elle par le Tribunal (non par la Commission Bancaire qui l'a condamnée à une amende pour ses manquements à ses obligations de contrôle), la SOCIETE GENERALE adopte profil d'autant plus bas qu'elle se trouve, du fait de la réaction publique à cette condamnation pécuniaire, contrainte d'indiquer renoncer à tout ou (plus grande partie) de son indemnisation.
On pourrait y objecter qu'elle devrait être satisfaite de la reconnaissance de son droit à indemnisation intégrale et de son absence de responsabilité dans les événements litigieux.
Pourtant, telle n'est pas l'impression laissée. Au contraire, un certain malaise demeure et cette éventuelle renonciation ne pourra que lui être préjudiciable.
On en comprend, certes, les motifs commerciaux et les exigences en termes de communication mais cette réaction (trop rapide ?) en réponse à la clameur publique pourra se retourner contre elle… au profit de M. J. KERVIEL qui pourra s'en saisir avec profit en cause d'appel.
En outre, indépendamment de l'amende prononcée par la Commission Bancaire, il existe rétroactivement, une incongruité entre la présente absolution judiciaire et la purge passée dans le staff directionnel (à commencer par son Président de l'époque) et technique de la Banque.
Ces évictions posent dorénavant difficulté. M. J. KERVIEL pourrait également s'y appuyer.
Surtout, comment comprendre la contrariété de solutions entre une Commission Bancaire qui sanctionne des négligences de la Banque et une Juridiction pénale qui a estimé que la Banque, abusée par son employé, avait été particulièrement diligente dans ses réactions lors de la découverte des opérations litigieuses de M. J. KERVIEL.
Sauf à considérer qu'il s'agit là de deux domaines différents, l'un disciplinaire et l'autre judiciaire et que l'on ne peut éprouver l'un à l'aune de l'autre (c'est la position du Tribunal), la contrariété de solution ne pourra qu'être exploitée par M. J. KERVIEL en appel.
Ensuite, mais au corps défendant du Tribunal, certains des attendus de son jugement fragilisent son équilibre global.
En premier lieu, alors qu'il pouvait circonscrire le litige à la seule dimension interne à la SOCIETE GENERALE, le Tribunal a souhaité souligner la portée "macro-économique" des actes incriminés de M. J. KERVIEL, considérant notamment "que par leur ampleur, leur spécificité et le contexte de crise dans lequel ils se sont inscrits, ses actes ont incontestablement porté une atteinte à l'ordre public économique international".
Le propos est clair M. J. KERVIEL par ses actes a "porté une atteinte à l'ordre public international".
Ainsi, le Tribunal a estimé que le litige ne se limitait pas aux relations internes à une entreprise d'un salarié avec son employeur.
Cette considération pèche cependant par excès et par défaut pour les mêmes raisons, à savoir que cette référence à l'ordre public international a été uniquement retenue à charge contre M. J. KERVIEL sans avoir été appréhendée ni même analysée comme ses avocats semblaient le demander, à la décharge du prévenu.
Nul doute cependant qu'en cause d'appel, les défenseurs du prévenu, sur le fondement même du jugement dont ils auront relevé appel, ne manqueront pas d'élargir le contexte de l'affaire au système financier dont la SOCIETE GENERALE est un des importants rouages.
En second lieu, le Tribunal a reproché à M. J. KERVIEL d'avoir "mené une campagne de communication, prenant à témoin cette fois-ci l'opinion publique, véhiculant l'image d'un individu en quête d'anonymat, antinomique avec le retentissement qu'il s'est attaché à donner à l'affaire dans les médias au cours des différentes phases de l'instruction et à l'approche de son procès, voire pendant celui-ci".
Cette critique était-elle indispensable à la justification des condamnations prononcées contre M. J. KERVIEL ?
Il est permis d'en douter.
Si sa conséquence première est de créer un doute dans l'esprit du prévenu sur la stratégie qui lui a été conseillée et sur les auteurs de ces conseils, dans un second temps, elle ravive l'éternel conflit du pot de terre contre le pot de fer.
S'il n'est pas interdit au prévenu de médiatiser sa défense, pourquoi lui en faire un si dur reproche ?!
Seul confronté à la puissance du système financier et à la rigueur du système judiciaire, Monsieur J. KERVIEL aurait-il dû rester silencieux hors les murs des instructeurs de son dossier et de la salle d'audience de jugement ?
La médiatisation de cette affaire devait-elle échapper au (seul) principal concerné ?
Alors que ce grief "d'égo-surmédiatisation" n'était, pour le Tribunal, nécessaire ni à l'établissement des fautes de M. J. KERVIEL ni à la récusation de la responsabilité de la Banque, il permet au contraire au prévenu de justifier sa ligne de défense du "seul contre tous", argument qui peut être, dans certains contextes, d'une grande efficacité.
***
Dans notre précédent article à propos de l'ouvrage de M. J. KERVIEL (site Eurojuris – 12/05/2010 – Mémoires d'un trader – Analyse de l'ouvrage de M. JEROME KERVIEL), nous estimions que celui-ci décrivait mieux le système judiciaire que le système financier.
Le Tribunal Correctionnel de PARIS dans son jugement du 5 octobre 2010 a quant à lui, catégoriquement estimé que M. J. KERVIEL n'était pas convainquant dans sa ligne de défense.
Nul doute que M. J KERVIEL affinera ses arguments en cause d'appel.
Mais nous avancerions-nous trop si on augurait d'ores et déjà que la Cour d'appel saisie n'appréhendera certainement pas l'affaire comme l'a fait la 11ème Chambre du Tribunal Correctionnel de PARIS ?
Au prochain acte…alors.
L'auteur de cet article:Stéphane ASENCIO, avocat à Bordeaux
Cet article n'engage que son auteur.
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