Point de vue : le rapport des états généraux de la justice relatifs à la justice civile
Publié le :
25/08/2022
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Les travaux des Etats généraux de la justice se sont récemment clôturés par la remise d’un rapport général, puis de plusieurs rapports spéciaux, notamment un sur la justice civile. Ce rapport très détaillé agrémenté de fiches sur les différentes préconisations appelle quelques réflexions, qui n’engagent que l’opinion de son auteur, praticien des juridictions civiles.
Volontairement, il est précisé que l’ensemble des sujets abordés dans le rapport spécifique à la justice civile ne seront pas traités, pour ne sélectionner que les points prêtant à discussion ou à des enrichissements possibles du point de vue de l’auteur. En effet, le rapport sur la justice civile comporte beaucoup de propositions, notamment fortement axées sur le développement des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) et sur la simplification de la procédure.
I. Un appel à la révision des errements issus des dernières réformes
Les préconisations du rapport mettent clairement l’accent sur la nécessité de revenir sur certains écueils, mis au jour par la pratique, relatifs aux multiples réformes récentes de la procédure civile.1. En premier lieu, il forme une proposition en émettant le souhait de revenir sur le principe selon lequel le Juge de la mise en état serait exclusivement compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, en plus des exceptions de procédure.
Il s’agit en effet d’une disposition qui a eu pour effet d’augmenter considérablement le contentieux devant le Juge de la mise en état, avec des possibilités d’appel qui retardent l’issue des procédures au fond. La proposition de laisser l’option d’une compétence, soit au Juge de la mise en état, soit au Juge du fond (ce qui veut dire que la fin de non-recevoir pourrait toujours être soumise d’emblée à la juridiction du fond) semble pertinente.
S’agissant du fonctionnement de la mise en état, notamment en première instance, le rapport constate que, malgré l’esprit des précédentes réformes ayant institué une « audience d’orientation », le flux des dossiers et l’investissement nécessaire, outre la forme dématérialisée des audiences d’orientation, ne permettent pas que s’instaure un dialogue réel avec les parties. Il souhaite la création d’une nouvelle étape, avec une audience de dialogue permettant de faire plusieurs choix d’orientation, y compris le recours aux modes alternatifs. Pourquoi pas ? Mais, il s’agit ici de rajouter une étape en plus, avec probablement un délai supplémentaire.
Il nous semble que la première difficulté dans le dialogue entre les parties et le Juge au stade de la mise en état tient essentiellement au fait que l’ensemble des audiences de mise en état se tiennent virtuellement et de manière asynchrone, avec des logiciels ne permettant pas un réel dialogue instantané.
En outre, ajouter une audience de dialogue avec le Juge de la mise en état, à laquelle les dominus litis ne se déplaceront probablement pas, et auxquels ne seront souvent présents que les avocats postulants en charge de la procédure et n’étant pas forcément autant fait de tous les aspects stratégiques du dossier (ce n’est pas leur rôle), aboutira probablement à des dialogues assez peu constructifs.
En revanche, dans le même esprit, alors que le rapport insiste sur la nécessité d’outils modernes, faire en sorte que la mise en état puisse recourir à des procédés d’échanges ne serait-ce qu’équivalents aux outils qu’aujourd’hui l’ensemble du monde professionnel utilise (la visioconférence ou les outils de communication instantanée) permettraient probablement de résoudre une partie des problèmes.
En synthèse, le Juge chargé de la mise en état pourrait tout à fait entendre les parties par visioconférence (une audience virtuelle, donc, mais pas asynchrone), ce qui éviterait des déplacements, permettrait d’avoir en ligne directement l’avocat en charge du fond du dossier et éventuellement d’instaurer un dialogue, évitant des renvois multiples sur des incompréhensions ou au contraire des décisions mal venues sous couvert de ne pas perdre de temps.
Nous savons que les outils existent puisqu’ils ont été utilisés (très à la marge, malheureusement) pendant la période de crise du COVID par certains Juges de la mise en état.
2. S’agissant de la procédure d’appel, là encore, le rapport plaide pour que les conséquences soient tirées des errements de la réforme Magendie, qui n’a pas accéléré la durée des procédures.
Néanmoins, les préconisations formulées demeurent très marginales (rallongement de certains délais, allègement de certaines formalités) sans remettre en cause le fonctionnement, même si un appel à l’assouplissement des sanctions est formulé.
Il aurait été probablement possible de formuler des propositions plus audacieuses : Dès lors que, parallèlement, le rapport préconise même au stade de l’appel de favoriser l’usage des modes alternatifs de règlement des différends, pourquoi ne pas mettre à profit le temps de l’instance pour favoriser cela plutôt que d’y consacrer, comme cela ressort de la proposition, un rapide délai d’un mois pour savoir si un accord amiable peut être trouvé.
Pourquoi, dans cette optique, ne pas alors faire courir les délais enjoints aux parties pour conclure, non pas à compter de la déclaration d’appel, mais à compter de la fixation par la Cour, en imposant des délais rétroactifs avant la clôture prévue, avec des possibilités restreintes d’y déroger. Probablement sans les enfermer dans des délais couperets, en revenant au critère qui demeurent roi en matière de procédure civile, sous-jacents du principe de la contradiction, qu’est l’existence ou non d’un « grief » à l’appréciation du juge.
L’objectif serait alors uniquement tout en respectant le timing de la juridiction, de vérifier que les règles du procès équitable ont été observées et non pas d’instaurer des chausse-trappes visant à évacuer une partie du « stock » (terme utilisé dans le rapport).
II. De vraies innovations
Le rapport préconise notamment la création d’un tribunal virtuel pour les petits litiges en prenant l’exemple francophone du Québec. Une juridiction dématérialisée, avec un glissement souple entre l’amiable et le judiciaire.On imagine derrière une réduction du délai de jugement, une réduction des coûts avec la mise en place d’une plateforme virtuelle, dans laquelle le justiciable aurait accès aux informations avant la saisine, puis pourrait suivre en ligne à tout moment l’évolution de son litige, jusqu’à l’exécution.
C’est une orientation que les prospectivistes appellent de leurs vœux depuis de nombreuses années. On ne peut que la soutenir. Toutefois, attention au délai de déploiement d’un tel outil. Il faut probablement rappeler qu’il existe pléthore outils informatiques permettant d’imaginer ces fonctionnalités. Il pourrait sembler anachronique de tenter de recréer ce qui existe déjà par ailleurs, motif pris de la souveraineté, qui ne doit pas faire oublier les coûts inhérents à un tel développement. Il y a en outre d’excellentes société françaises capables de travailler sur de tels projets.
III. Des solutions à des problèmes récurrents
Une partie du rapport évoque notamment la question, outre celle de la contribution des citoyens par le paiement d’une taxe pour saisir les juridictions, de la prise en charge des frais d’avocat, notamment de ceux de la partie qui gagne le procès (l’article 700 du CPC). Une étude intéressante en droit comparé permet de savoir quels sont les systèmes mis en place dans les autres pays.La proposition formulée est celle d’un système dans lequel les parties justifieraient des frais réels exposés, ce qui a l’avantage de la transparence. Le rapport, et on ne peut qu’approuver, est défavorable à la production des factures en tant que telles puisqu’elles sont soumises au secret professionnel.
Le Magistrat serait alors, si l’on comprend bien, tenu de prendre en compte les frais réels, avec une latitude d’appréciation. Certes, cette latitude est probablement essentielle afin d’éviter les dérives inflationnistes et de rétablir l’égalité quant au choix des conseils. Mais il faut alors que les critères arrêtés soient précis, limitatifs et encadrés, afin d’éviter un pouvoir de modération trop large.
IV. Une part importante de la réflexion orientée autour des MARD
Le rapport part d’un constat fait par tous les praticiens : celui d’un échec relatif de l’utilisation des modes alternatifs de règlement des différends. Il évoque essentiellement la question de la conciliation et de la médiation. Dont acte. Le rapport incite à la promotion des modes alternatifs. Là encore, on ne peut qu’approuver. Cependant, le discours tenu manque de clarté quant à la réparation des rôles.Une présence du Juge au stade de la préconisation et de l’accompagnement de la mesure, de médiation ou de conciliation, puis au stade de l’homologation d’un éventuel accord amiable est préconisée. C’est évidemment une bonne chose. Néanmoins, est évoquée la question de la présence des médiateurs à des audiences, et de bureaux tenus par des médiateurs au sein de la juridiction. Or, si les conciliateurs sont des collaborateurs Service public de la Justice, ce n’est pas le cas des médiateurs, qui sont des professionnels indépendants, regroupés souvent sous forme d’associations, qui obtiennent un agrément de la Cour d’appel.
On peut donc se demander s’il est pertinent que des médiateurs « libéraux », ou des associations, soient investis de missions par les magistrats, membres du Service public de la Justice, sans pour autant disposer d’une délégation de Service public attribuée au terme d’un appel d’offres, et a fortiori s’il est pertinent que des médiateurs disposent de locaux dans ceux de l’institution.
Ceci entraine probablement alors une distorsion de concurrence dans le cadre d’un marché qui a probablement tout intérêt à s’autorégler, ne serait-ce que pour faire émerger une libre concurrence. Or, cette libre concurrence ne peut pas exister si la prime est donnée à certains au détriment d’autres. Le Service public doit alors observer une saine neutralité. Il conviendrait probablement de veiller à ne pas tomber dans les errements dans lesquels le système du Service public de la Justice a pu tomber par ailleurs en matière d’expertises judiciaires, avec toutes les conséquences qui s’en suivent sur le montant des honoraires par ailleurs taxés.
Il y aurait probablement tout lieu de considérer que le magistrat doit, dans un premier temps ordonner la médiation, mais sans désigner d’organisme de médiation ou de médiateur, quitte à en désigner un d’office, si effectivement les parties n’arrivent pas à s’accorder. Comme le Juge d’appui en arbitrage. D’autant que l’offre de médiation est aujourd’hui suffisamment diversifiée pour qu’en fonction de la nature du litige, de l’éloignement des parties, des spécificités rencontrées, telle ou telle offre de médiation soit plus adéquate qu’une autre.
V. L’absence quasi-totale de référence aux modes alternatifs
Si les modes amiables de résolution des différends sont abondamment évoqués dans le cadre des préconisations du rapport, tel n’est pas le cas des modes alternatifs. Il y a en effet une distinction aujourd’hui bien connue entre les deux. La médiation et la conciliation sont des modes amiables, visant à rapprocher les parties en résumé. Mais l’acronyme MARD peut également être lu sous celui de modes alternatifs de résolution des différends, ce qui englobe alors également l’arbitrage, dans lequel l’amiable n’est pas le sujet puisque c’est l’arbitre, juge privé, qui tranche, le plus souvent en droit.Il est tout à fait dommage, considérant la problématique sur laquelle se penchent les Etats généraux de la justice, que la question de l’arbitrage, outil très puissant, parfaitement normé, faisant l’objet d’une jurisprudence abondante, dans laquelle le contrôle du juge étatique peut s’opérer à divers stades (juge d’appuis, exéquatur, appel nullité) soit totalement passée sous silence.
Ceci est dommage dès lors que l’objectif du rapport vise à tenter de trouver des solutions face à l’engorgement d’un système étatique qui n’arrive pas à gérer les « flux » pour reprendre un terme probablement un peu barbare, mais qui a l’avantage d’être explicite.
On ne peut que regretter que ne soit pas émise une hypothèse selon laquelle le Service public accepterait de concentrer ses efforts sur les domaines régaliens, qui ne peuvent pas être soumis à des modes alternatifs, comme le pénal ou l’état des personnes, en concevant qu’à défaut, les parties pourraient tout à fait recourir à l’arbitrage pour régler les litiges ne relevant pas du régalien et notamment les litiges entre les parties privées.
Ceci est d’autant plus regrettable que le monde de l’arbitrage lui-même est aujourd’hui conscient qu’il a tout intérêt à se démocratiser et à devenir accessible. On tiendrait ici une solution facile, sans dépense d’argent public, pour régler les contentieux de manière rapide (le délai par principe pour reddition de la sentence est fixé à six mois maximum, sauf accord des parties), en puisant dans le vivier que constitue la communauté des juristes, notamment les avocats, en fonction de leurs domaines de compétence.
En conclusion, on peut saluer les travaux réalisés par les rédacteurs du rapport sur la justice civile et de manière plus générale par les acteurs ayant mené ces Etats généraux de la justice. Mais il convient de souhaiter que les pouvoirs publics se saisissent des sujets évoqués avec le plus grand pragmatisme possible en concevant des solutions ambitieuses, sans se contenter de corrections à la marge.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
ENGLISH Benjamin
Avocat Associé
Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration, SHANNON AVOCATS - La Baule, SHANNON AVOCATS - Saint-Brieuc
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