Notion de voisin occasionnel et troubles anormaux du voisinage
Publié le :
31/08/2011
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La Cour de Cassation a marqué sa volonté de ne plus recourir à la notion de « voisin occasionnel » pour apprécier la responsabilité des différents acteurs au chantier de construction immobilière, en matière de troubles anormaux du voisinage.
Feu la notion de voisin occasionnel en matière de troubles anormaux du voisinage ?
Par un arrêt du 28 avril 2011 (1), la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation, a au visa du principe selon lequel « nul ne doit causer un trouble anormal du voisinage », marqué sa volonté de ne plus recourir à la notion de « voisin occasionnel » pour apprécier la responsabilité des différents acteurs au chantier de construction immobilière, en matière de troubles anormaux du voisinage.
Rappelons avant toute chose quelles étaient les origines et la substance de cette notion de voisin occasionnel ?
Le 30 juin 1998 (2), la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation, a donné au voisin d’un chantier de construction immobilière, victime d’un dommage lié à la réalisation de ce chantier, la possibilité de poursuivre l’entrepreneur ayant réalisé les travaux à l’origine du dommage ce, sur le fondement de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage.
Jusqu’à cette date le fondement de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage, ne pouvait être invoqué par le voisin victime qu’à l’encontre du maître d’ouvrage, mais non à l’encontre de l’entrepreneur qui restait tenu sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Il était donc délicat pour le voisin d’agir directement à l’encontre de l’entreprise réalisant les travaux, puisque la mise en jeu de sa responsabilité et les chances de succès de son action judiciaire étaient soumises à la démonstration d’une faute.
Le critère qu’a posé l’arrêt « intrafor » pour ouvrir au voisin victime la possibilité d’agir à l’encontre de l’entrepreneur sur le fondement de la responsabilité des troubles anormaux du voisinage était celui d’un lien de « cause à effet » entre les travaux réalisés et les dommages constatés.
Ce critère a évolué avec le désormais célèbre arrêt Georges V du 22 juin 2005 (3), au sein duquel la Troisième Chambre Civile a fait état de la notion de voisin occasionnel en retenant que « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal du voisinage, ces constructeurs, étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés ».
Du lien de cause à effet entre les travaux réalisés et les dommages constatés, le critère a donc évolué vers la notion de voisin occasionnel.
La création de cette notion est apparue pour certains auteurs comme artificielle et comme contraire à l’acception traditionnelle de la notion de voisin, supposant l’existence d’un lien de droit étroit entre la personne et le fonds occupé.
L’entrepreneur ne dispose, en effet, pas de ce lien avec le fonds puisqu’il l’occupe de manière temporaire et sur autorisation du maître d’ouvrage.
Il peut donc apparaître dans ces conditions comme quelque peu sévère d’appliquer à l’entrepreneur une responsabilité objective de plein droit, qui était initialement réservée au véritable propriétaire du fonds.
L’application de la notion de voisin occasionnel aux différents acteurs du chantier de construction, conduit à leur appliquer une responsabilité objective de plein droit ce, peu importe le rôle causal qu’a pu jouer leur intervention sur le chantier dans la réalisation du dommage.
C’est en tout cas ce que laissait à penser l’arrêt Georges V qui condamnait la société en charge de la gestion du projet.
Dans un arrêt du 21 mai 2008 (4), la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation a précisé les choses, en rappelant que si les constructeurs, pouvaient être tenus pour responsables de plein droit sur le fondement de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage, comme voisins occasionnels, c’était à la condition qu’ils puissent être identifiés comme les auteurs du trouble.
En l’espèce, la responsabilité de l’entrepreneur principal a été écartée au motif que ce dernier avait sous-traité à une autre société les travaux à l’origine du dommage.
La Cour de Cassation semblait donc vouloir réintroduire l’appréciation du rôle causal de l’entreprise, tout en conservant la notion de voisin occasionnel.
L’arrêt du 28 avril 2011, précédé de l’arrêt du 9 février 2011, poursuivent l’évolution amorcée par l’arrêt précité en rompant avec la notion de voisin occasionnel.
Au sein de l’arrêt du 9 février 2011 (5), l’assureur responsabilité civile du maître d’ouvrage a, après avoir été condamné à indemniser les voisins victimes, exercé des recours à l’encontre notamment des entreprises intervenues sur le chantier, bureaux d’études et maîtres d’œuvres.
La Cour d’appel s’en tenant à la notion de voisin occasionnel a estimé que « dès lors que ces intervenants ont participé à quelque titre que ce soit à l’opération de construction de l’immeuble à l’origine des troubles, ils ne sont pas fondés à exciper de leur simple intervention intellectuelle ou ponctuelle pour s’exonérer de leur responsabilité objective en leur qualité de voisin occasionnel ».
La Cour de cassation censure la décision des juges du fond estimant que la relation directe entre les troubles subis et les missions d’études de sol, de maîtrise d’œuvre, de contrôleur technique…n’était pas établie.
Elle ne fait donc plus référence à la notion de voisin occasionnel mais à la relation directe qui doit exister entre les travaux réalisés et les dommages occasionnés.
Elle poursuit dans cette ligne par un arrêt du 28 avril 2011. Il s’agissait là encore du recours de l’assureur du maître d’ouvrage, qui après avoir indemnisé les voisins victimes, agissait à l’encontre des architectes et du bureau d’études.
La Cour d’appel avait cette fois estimé que l’assureur du maître d’ouvrage ne pouvait invoquer la responsabilité des troubles anormaux du voisinage à l’encontre des architectes et du bureau d’études qui n’occupaient pas matériellement le fonds.
La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel, estimant que ces motifs étaient insuffisants pour exclure une relation de cause directe entre les troubles subis et les missions confiées respectivement aux architectes et bureaux d’études.
La Cour de cassation semble donc avoir fait le choix de la recherche d’un lien de causalité direct, au détriment de la notion de voisin occasionnel, quant à l’appréciation de la responsabilité du locateur d’ouvrage sur le fondement de la responsabilité des troubles anormaux du voisinage.
Les deux arrêts concernaient, il est vrai, le recours du maître d’ouvrage contre le locateur d’ouvrage et non le recours direct du voisin victime à l’encontre du locateur d’ouvrage.
Reste donc à savoir si la Cour de cassation maintiendra sa position tant dans la première hypothèse que dans la seconde.
Cette évolution nous apparaît cependant comme intéressante en ce qu’elle soumet l’application de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage à la recherche préalable du rôle de chaque intervenant sur le chantier de construction immobilière.
Index:
(1) Civ.3, 28 avril 2011, n° pourvoi 10-14516, 10-14-517
(2) Civ.3, 30 juin 1998, n° pourvoi 96-13039
(3) Civ.3, 22 juin 2005, n° pourvoi 03-20068
(4) Civ.3, 21 mai 2008, n° pourvoi 07-13769
(5) Civ.3, 9 février 2011, n° pourvoi 09-71570
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © julien tromeur - Fotolia.com
Auteur
AVRIL Maud
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