L’astreinte et le temps de travail effectif

L’astreinte et le temps de travail effectif

Publié le : 06/10/2014 06 octobre oct. 10 2014

Avant d’aborder la jurisprudence rendue par la Chambre sociale de la Cour de Cassation, rappelons le cadre de légale de l’astreinte au travail.Définition de l'astreinte :
L'article L. 3121-5 du Code du travail définit l'astreinte comme une « période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif ».

Ainsi, les astreintes correspondent à des périodes pendant lesquelles le salarié, sans être à la disposition permanente de son employeur, a l'obligation de rester à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail pour l'entreprise..

En période d’astreinte, le salarié, dans l'attente d'une demande d'intervention éventuelle, peut donc vaquer librement à des occupations personnelles.

Telle est l’ambigüité de cette situation car les temps d'astreinte durant lesquels le salarié est à la disposition de l’employeur, ne constituent pas du temps de travail effectif et ne seront donc pas rémunérés comme tel.


Le critère permettant de distinguer l'astreinte du temps de travail effectif est simple :
Il s’agit du lieu où se déroule la « permanence ».
Le lieu de la « permanence », pour qu'il y ait astreinte et non pas temps de travail effectif ne doit pas être le lieu de travail.
L'astreinte doit donc se dérouler dans l’environnement de leur vie privée afin les salariés concernés puissent, pendant ce temps, vaquer à leurs occupations personnelles.

La jurisprudence a indiqué que l'astreinte pouvait s'effectuer dans un logement de fonction (Cass. soc., 5 nov. 2003, no 01-44.822), situé en dehors ou au sein de l'entreprise (Cass. soc., 31 janv. 2006, no 05-41.583 ; Cass. soc., 31 mai 2006, no 04-41.595).

Les juges du fond ont toutefois précisé que lorsque l’astreinte s'effectue dans un logement de fonction situé dans les locaux de l'entreprise, il faut, pour déterminer s'il s'agit bien d'une astreinte, prendre en compte le degré de sujétion imposé par l'employeur, sachant que la nature et l'exiguïté des locaux constituant le logement de fonction, importe peu (Cass. soc., 24 oct. 2009, no 08-40.350 ; Cass. soc., 30 juin 2010, no 09-40.082 ; Cass. soc., 5 avr. 2012, no 11-11.283).Les juges doivent donc vérifier si les salariés peuvent réellement vaquer à leurs occupations personnelles.

Une telle analyse a conduit certains tribunaux à admettre que doivent être considérées comme du temps de travail et non comme une astreinte, les gardes de nuit effectuées, depuis leur logement de fonction, par des éducateurs afin d'assurer la surveillance d'enfants (Cass. soc., 6 avr. 2011, no 10-16.203).

Idem pour :

  • un médecin qui effectue des gardes de nuit, le dimanche et les jours fériés, non dans un logement de fonction, mais dans un local de garde dans l'établissement (Cass. soc., 8 juin 2011, no 09-70.324).
  • un salarié d'une clinique vétérinaire, qui ne pouvait vaquer à ses occupations personnelles et qui assurait une permanence dans un lieu qui n'était, ni son domicile personnel, ni son logement de fonction, mais un local de veille situé près du lieu de travail et utilisé à tour de rôle par les salariés de permanence. (Cass. soc., 2 avr. 2014, no 12-27.482).

Distinction entre l’astreinte et le temps privé :
La règle est la suivante : le salarié est d'astreinte lorsqu’il doit pouvoir être joint, notamment par téléphone mis à sa disposition, en vue de répondre à un appel de son employeur pour effectuer une intervention d'urgence (Cass. soc., 10 juill. 2002, no 00-18.452).
Il s’agit effectivement d’une astreinte, le salarié pouvant vaquer à ses occupations personnelles. C'est la sujétion imposée au salarié qui est déterminante.

Il faut que cette permanence soit obligatoire.

En revanche, le fait pour un salarié de répondre occasionnellement et de son plein gré à des appels téléphoniques de sa hiérarchie ou de ses collègues, ne le place pas ipso facto en astreinte. Idem s'il effectue une intervention suite à cet appel. Seul le temps d'intervention devra dans ce cas être pris en compte. Il sera rémunéré et décompté du temps de travail.

La jurisprudence a ainsi jugé comme temps d’astreinte :

  • une salariée, embauchée en même temps que son mari, en qualité de surveillante-hôtesse d'une copropriété, et contrainte de rester dans son logement de fonction pour surveiller le standard et répondre aux demandes formulées par les copropriétaires (Cass. soc., 24 sept. 2003, no 01-44.203) ;
  • une salariée logée dans une maison attenante à un dépôt de pain et avertie de l'arrivée de clients par une sonnette (Cass. soc., 16 juin 2004, no 02-43.755) ;
  • une gardienne d'immeuble tenue de se trouver à son domicile afin de mettre un terme au déclenchement intempestif des alarmes reliées à son domicile (Cass. soc., 14 déc. 2005, no 03-47.964) ;
  • une adjointe de direction d'un hôtel, d'astreinte dans une chambre de l'hôtel et tenue de réceptionner des clients après 22 heures, en cas de panne de l'automate (Cass. soc., 5 avr. 2012, no 11-11.283) ;
  • un éclusier tenu d'écouter à son domicile le canal VHF-12 qui couvrait toute la zone de vigie des ports de Fos, Sète et de Marseille, afin de sélectionner les appels des bateliers concernant l'écluse de Port Saint-Louis (Cass. soc., 5 avr. 2012, no 11-11.443).

La gestion des temps d’intervention :
La règle est la suivante : en présence d'une véritable astreinte, seuls les temps d'intervention constituent du temps de travail effectif.
Ils sont donc rémunérés comme tel et pris en compte dans les décomptes de la durée du travail (heures supplémentaires, repos compensateur...).
Rappelons que les temps de trajet pour se rendre sur un lieu précis d'intervention et en revenir sont assimilés à du temps de travail effectif.

Le simple fait que « la permanence » s'effectue au domicile du salarié, ne suffit pas à caractériser une astreinte. Le salarié en question doit pouvoir vaquer à des occupations personnelles durant cette période.


Arrêt rendu le 2 juillet 2014 la Chambre sociale de la Cour de cassation :
La Cour de cassation a exclu catégoriquement la qualification d'astreinte pour un salarié qui ne travaillait pas dans les locaux de l'entreprise, mais qui depuis son domicile, et sur appel de son employeur, se rendait chez des clients pour y effectuer des interventions (Cass. soc. 2 juill. 2014, no 13-11.940). Il ne disposait pas de bureau dans l'entreprise. Son contrat de travail ne faisait aucune référence à des périodes d'astreinte, ni à leur indemnisation.


Dans cet arrêt du 2 juillet 2014, la Cour de cassation revient sur la notion de temps de travail effectif. Le salarié réclamait le paiement d'heures supplémentaires, arguant que les heures passées à son domicile constituaient des périodes de travail effectif.
Contrairement à la Cour d’appel de Versailles, la Cour de cassation se range cette fois du côté de l'employeur, considérant que les juges versaillais « en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le fait que, durant l'intégralité du temps passé à son domicile, le salarié se tenait à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, (...) ont violé [l' article L. 3121-1 du Code du travail ] ».


Aux termes de cet arrêt rendu le 02 juillet 2014, la Cour de Cassation rappelle ainsi avec clarté que le temps de travail effectif s'entend de toute période pendant laquelle « le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles », ces trois critères étant cumulatifs ( C. trav., art. L. 3121-1 . - Cass. soc., 7 avr. 1998, n° 95-44.343).

La Cour de cassation indique donc avec force que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. En application de ce principe, elle refuse de qualifier en temps de travail le temps passé par le salarié chez lui, entre deux clients.

Quelques jours plus tard, la Cour de Cassation renforçait davantage sa jurisprudence ( Cass. Soc., 9 juill. 2014, no 13-14.705 D) en indiquant que les périodes d'astreinte ou de permanence d'un salarié dans son logement de fonction, pendant lesquelles il peut librement vaquer à ses obligations personnelles, ne constituent pas du temps de travail effectif.

En cette rentrée sociale 2014 riche en actualité législative et jurisprudentielle plutôt contraignante pour nos entreprises, il convenait de souligner cette jurisprudence favorable aux employeurs.



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © granata68 - Fotolia.com

Auteur

ANTOINE Alain
Avocat Associé
Alain ANTOINE
SAINT-PAUL (974)
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