Carte d'identité et passeport: responsabilité de l'Etat et prescription quadriennale

Publié le : 13/01/2009 13 janvier janv. 01 2009

L’illégalité du dispositif mis en place s’agissant des cartes nationales d’identité et des passeports a été reconnue comme entraînant la responsabilité de l’Etat vis-à-vis des communes concernées.

Passeport et responsabilité quadriennaleLe décret n°99-973 du 25 novembre 1999 modifiant le décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d’identité a eu pour objet de transférer, sauf à Paris, aux maires des communes dotées de commissariats de police, agissant en tant qu’agents de l’Etat, la charge de recueillir et de transmettre les demandes de cartes nationales d’identité, antérieurement dévolue aux commissariats de police.

Une disposition similaire a été introduite par un décret n°2001-185 du 26 février 2001 s’agissant des passeports.

Dans un arrêt du 5 janvier 2005, le Conseil d’Etat a annulé l’article 7 du décret du 26 février 2001 en tant qu’il confiait aux maires, agissant en qualité d’agents de l’Etat, la tâche de recueillir les demandes de passeport, de les transmettre aux préfets ou aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur étaient adressés par ces derniers, au motif que le pouvoir réglementaire ne pouvait imposer indirectement aux communes les dépenses, à la charge de l’Etat, relatives à l’exercice de ces attributions :

 CE, 5 janvier 2005, n°232888 : « Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 7 du décret du 26 février 2001 relatif aux conditions de délivrance et de renouvellement des passeports : Les demandes sont déposées auprès des maires ou, en cas d'impossibilité ou si l'urgence le justifie, auprès des préfets ou des sous-préfets ayant reçu délégation à cet effet. Les demandes déposées auprès des maires sont transmises, selon les cas, aux préfets ou aux sous-préfets, qui établissent les passeports et les adressent aux maires pour remise aux intéressés (…) ; qu'aux termes de l'article 9 du même décret : Le passeport est remis au demandeur au lieu du dépôt de la demande (…) ;

Considérant que ces dispositions, qui confient aux maires agissant en qualité d'agents de l'Etat la tâche de recueillir les demandes de passeport, de les transmettre aux préfets ou aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur sont adressés par ces derniers, ont pour effet d'imposer indirectement aux communes les dépenses, à la charge de l'Etat, relatives à l'exercice de ces attributions ; qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales que le législateur était seul compétent pour édicter de telles dispositions ; que le décret de la Convention nationale du 7 décembre 1792, pour l'application duquel a été pris le décret attaqué, ne peut être regardé comme autorisant le pouvoir réglementaire à prendre une telle mesure par dérogation à cet article ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de VERSAILLES, dont la requête doit être interprétée comme demandant l'annulation du premier alinéa de l'article 7 du décret du 26 février 2001 en tant qu'il confie aux maires la tâche de recueillir les demandes de passeport, de les transmettre aux préfets ou aux sous-préfets et de remettre aux demandeurs les passeports qui leur sont adressés par ces derniers, est fondée à demander cette annulation ; »

L’illégalité du dispositif mis en place s’agissant des cartes nationales d’identité et des passeports a été reconnue comme entraînant la responsabilité de l’Etat vis-à-vis des communes concernées.

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs rendu un avis aux termes duquel il s’est prononcé sur les conditions de l’indemnisation des communes (CE, 6 avril 2007, commune de Poitiers, n° 299825).

Un certain nombre de communes ont d’ores et déjà obtenus une indemnisation, le plus souvent en exerçant un référé-provision.

On peut ainsi citer, concernant le Tribunal administratif de Rennes les ordonnances suivantes prononcées par le juge des référés :

• ordonnance du 6 mai 2008, n°081260, commune de Paimpol, qui a vu l’Etat condamné à verser 12 554,86 euros, au titre des frais de personnels engagés, la part des dépenses et de fournitures exposées pour la réception et la délivrance des titres n’ayant pas pu être identifiée.

• ordonnance du 5 mai 2008, n°081085, ville de Lamballe, (17.396,40 euros),

• ordonnance du 15 mai 2008, n°081797, ville de Saint-Brieuc (76.394,26 euros, sans prise en compte là encore de la part des dépenses et fournitures exposées pour la réception et la délivrance des titres, ni des aménagements des locaux réalisés à cet effet),

• ordonnance du 14 avril 2008, n°08688, ville de Lannion,

La charge ainsi illégalement transférée a contraint les communes à engager un certain nombre de dépenses en assurant les tâches suivantes :

• enregistrement de la demande rédigée sur des imprimés CERFA en utilisant uniquement un stylo à bille de couleur noire,
• recueil de la signature du demandeur sur le talon photo-signature du formulaire (indispensable pour le fonctionnement du système informatique), pour les enfants mineurs, l’autorisation du représentant et sa signature sont également portées sur le formulaire. En outre, la signature du demandeur doit figurer sur la 1ère page du CERFA,
• relevé de l’empreinte digitale,
• vérification de l’identité du demandeur,
• vérification du domicile du demandeur,
• apposition des mentions nécessaires sur les documents et transmission en préfecture des demandes de passeports et de cartes nationales d’identité,
• conservation des titres jusqu’à ce que les demandeurs les réclament,
• remise du titre au demandeur et vérification que celui-ci signe et date un registre ouvert spécifiquement

Cette charge génère a généré des charges d’investissement et de fonctionnement, ainsi identifiables :

- temps passé par l’agent de la collectivité à gérer les demandes de passeports et de cartes nationales d’identité,
- acquisition de matériels nécessaires aux traitements de ces demandes, à savoir :
 photocopieur et coût des copies,
 stylos à bille noire
 tampons et vignettes nécessaires à la prise d’empreinte digitale
 pochettes photos d’identité et tampon automatique avec sceau Marianne
 frais d’envois postaux (5731.44 euros)
 coffre-fort nécessaire à la conservation des titres


En dehors des préjudices indemnisables, l’interrogation porte sur la période d’indemnisation, puisque le transfert irrégulier remonte à 1999 pour les CNI et 2001 pour les passeports.

Classiquement, le fait générateur est l’illégalité des décrets ayant transféré la charge aux collectivités locales.

La loi du 31 décembre 1968 fixant le cadre juridique de la prescription quadriennale des dettes publiques est incontestablement applicable, et fixe respectivement au 1er janvier 2000 et au 1er janvier 2002, le point de départ de la prescription, qui devait donc, à défaut d’une réclamation préalable, s’éteindre au 31 décembre 2003 (CNI) et 31 décembre 2005 (passeport).

Les communes peuvent-elles cependant solliciter l'indemnisation des préjudices nés depuis 1999 (CNI) et 2001 (passeports), notamment parce que la jurisprudence, relative à la prescription quadriennale admet que les actions engagées à l’encontre d’un fait générateur, interrompt la prescription à l’égard de toutes les victimes du même fait générateur.

En d’autres termes, le fait que des collectivités locales aient engagé une action dans le délai initial de la prescription permettrait-il aux collectivités locales qui ne l’avaient pas encore fait d’en bénéficier.

Par trois arrêts prononcés le 10 juillet 2008, la cour administrative d'appel de Versailles ( CAA Versailles, l0 juillet 2008, n°07VE02935, Cne de Clamart / n°07VE02872 Cne de Sèvres et n°07VE02871, Cne Maisons-Laffitte) a considéré, au visa des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 que l'exception de prescription quadriennale ne peut être valablement opposée par l'État au motif que la prescription ainsi encourue par toute autre commune a d'ores et déjà été interrompue par les recours contentieux précédents des autres collectivités dès lors qu'ils sont relatifs au même fait générateur des créances constitué par l'illégalité des décrets litigieux.

Cette interruption vaut donc pour toutes les communes, sans distinction.

Il s’agit de la transposition d’une jurisprudence bien établie. Le Conseil d’Etat considère que pour un même fait générateur l'action interrompt le délai quelque soit son auteur.

C'est ainsi qu'un pourvoi relatif au fait générateur d'une créance peut bénéficier à d'autres créanciers de l'Administration (Conseil d'Etat 14/3/1980 Cne de SARREGUEMINE Recueil Conseil d'Etat page 149 requête d'une victime interrompant le cours de la forclusion au bénéfice des autres et Conseil d'Etat 22/11/1987 Sté Incinération de résidus- Conseil d'Etat page 659.)

Il faut toutefois réserver la portée de cette décision dans la mesure où le Conseil d'État ne s’est pas spécifiquement prononcé à ce jour sur la question relatives aux décrets précités, et que par ailleurs les juges de première instance apparaissent divisés sur cette difficulté.





Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

Vincent LAHALLE
Avocat Associé
LEXCAP RENNES
RENNES (35)
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