Droit du travail et interdiction de sanctions pécuniaires contre le salarié

Droit du travail et interdiction de sanctions pécuniaires contre le salarié

Publié le : 30/12/2011 30 décembre déc. 12 2011

Le pouvoir disciplinaire de l'employeur lui permet de définir les règles nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise. Le code du travail interdit les amendes et sanctions pécuniaires, toute disposition contraire étant réputée non écrite.

L'interdiction de sanctions pécuniaires contre le salarié: arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2011Le pouvoir disciplinaire de l'employeur, corollaire de son pouvoir de direction, lui permet de définir les règles nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise auxquelles les salariés doivent se soumettre et de sanctionner les manquements à ces règles.

Le législateur donne la définition de la sanction disciplinaire à l'article L. 1331-1 du Code du travail :

« Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

Cependant, toute réponse de l’employeur « à un agissement considéré par lui comme fautif » n'est pas systématiquement licite.

La loi et la jurisprudence interdisent le prononcé de certaines sanctions : sont notamment prohibées les sanctions fondées sur un motif discriminatoire (C. trav., art. L. 1132-1, L. 2141-5), les sanctions à l’encontre de salariés ayant subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel ou moral, ou ayant relaté ou témoigné de ces faits (C. trav. art. L. 1152-2, L. 1153-2 et L.1153-3), les sanctions à l'encontre de salariés ayant témoigné ou relaté des actes de corruption (C. trav. art. L.1161-1).

En particulier, l’article L.1331-2 du code du travail interdit les amendes et sanctions pécuniaires, toute disposition ou stipulation contraire étant réputée non écrite (C. trav. art. L 1331-2).

La prohibition des sanctions pécuniaires présente un caractère d'ordre public auquel aucune disposition conventionnelle ni contractuelle ne peut faire échec.

Cette interdiction est sanctionnée pénalement, par une amende de 3 750 € (C. trav. art. L1334-1).

Toutefois, la loi ne donne pas de définition de la notion de sanction pécuniaire prohibée et la frontière entre les amendes et sanctions pécuniaires interdites et les diminutions de rémunération licites est parfois difficile à tracer.



Que recouvre cette notion de sanction pécuniaire illicite ?


1. Opérer une réduction sur le montant de la rémunération ou d'une prime due au salarié parce qu'il a commis une faute tombe manifestement sous le coup de cette interdiction.
Ainsi, constituent des sanctions pécuniaires interdites par l'article L 1331-2 du Code du travail :

- La retenue opérée sur le salaire des contrôleurs qui n'avaient pas vérifié les titres de transport des voyageurs (Cass. soc. 16 mars 1994 n° 91-43.349) ;

- La retenue sur salaire consécutive au refus d’assister à une réunion (Cass. soc. 19 novembre 1997, n° 95-44.309) ;

- La retenue sur salaire opérée par un employeur reprochant à son salarié de ne pas avoir effectué un travail, en l’espèce de ne pas avoir réalisé le rapport que son employeur lui avait demandé (Cass. soc. 7 février 2008 n° 06-45.208 (n° 245 F-D), Tanguy c/ Sté Financière Yves Furic) ;

- La privation d'une prime de fin d'année en cas de faute grave, même si l’accord collectif qui la prévoit précise qu’elle n’est pas due dans une telle hypothèse (Cass. soc. 11 février 2009 n° 07-42.584) ;

- La privation d’une prime d’intéressement en cas de licenciement pour faute grave, même si l’accord d’intéressement des salariés de l'entreprise excluait le versement de la prime en cas de faute grave (Cass. soc. 8 novembre 2011, n° 10-15722) ;

- La suppression d'une prime de véhicule décidée par l'employeur pour compenser le montant de la franchise due à l'assurance suite à l'accident de la circulation dans lequel le véhicule de la société conduit par le salarié a été endommagé (CA Dijon 23 mai 1995 n° 94-1390, ch. soc., Mourey c/ SA MFLS Forézienne).


En revanche, le refus par l'employeur d'accorder une augmentation de salaire à certains employés, quand bien même ce refus serait motivé par la considération de leur qualité professionnelle jugée insuffisante, ne constitue pas une sanction pécuniaire prohibée (Cass. crim., 26 avr. 1988, n° 87-83.867, Cass. soc., 29 mai 1990, n° 87-40.512).

De même, la retenue opérée sur le salaire à proportion de la durée de l’absence du salarié ne constitue pas une sanction disciplinaire (Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 09-43229).


2. La jurisprudence fait également entrer dans la notion de sanction pécuniaire illicite les mesures prises en raison de faits reprochés au salarié qui entraînent indirectement une perte de salaire.
Par exemple, une réduction des horaires de travail ne correspondant ni à un déclassement ni à un changement d'affectation, utilisée comme mesure disciplinaire et sanctionnant le comportement du salarié, constitue une sanction pécuniaire nulle. Le refus du salarié d'exécuter une telle sanction n'est pas fautif et ne peut justifier son licenciement (Cass. soc. 24 octobre 1991 n° 90-41.537 (n° 3473 D), SA Océane Marée c/ Gastineau et a. : RJS 12/91 n° 1314).

De même, la rétrogradation sans modification des fonctions ou des responsabilités mais entraînant seulement une baisse de salaire constitue une sanction pécuniaire nulle (Cass. soc. 23 février 1994 n° 90-45.001).

En revanche, ne constitue pas une sanction illicite la diminution de salaire suite à la rétrogradation à une fonction ou à un poste différent et de moindre qualification. La baisse de rémunération n’est alors que la conséquence de la rétrogradation-sanction (Cass. soc. 7 juillet 2004 n° 02-44.476).

Est également licite la réduction du salaire et des primes liées à la présence en raison d’une mise à pied (Cass. soc. 19 juillet 1994, n° 90-43.785).


3. La Cour de cassation englobe encore dans la notion de sanction pécuniaire illicite la privation d'un avantage permettant au salarié de réaliser une économie.
Par exemple, est illicite la suppression d’une voiture de fonction pour non-réalisation de l’objectif commercial, même en présence d’une clause contractuelle (Cass. soc. 12 décembre 2000, n° 98-44.760).

A de même été jugée illicite la suppression à titre de sanction de l’avantage en nature consistant dans la mise à disposition permanente et exclusive d’une place de parking à un salarié (Cass. soc. 22 juin 2011, n° 08-40455).

La Haute juridiction considère encore comme une sanction pécuniaire prohibée la suppression d'un avantage accordé au salarié, au motif qu'il ne l'a pas utilisé dans les conditions prévues par l'employeur.

Ainsi, la fourniture d'une carte permettant d'obtenir deux cents litres d'essence par mois, substituée à la participation de l'employeur aux frais engagés par la salariée pour l'exercice de ses fonctions, constitue un avantage en nature et sa suppression en raison d'une utilisation à des fins non professionnelles une sanction pécuniaire prohibée (Cass. soc. 23 juin 2010 n° 09-40.825).


C’est cette même règle que vient de rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 25 octobre 2011 (Cass. soc. 25 octobre 2011, n° 10-15560).

Un pilote de ligne de la société Air France s’était vu notifier la suspension pour une durée de six mois du droit d'accès à des billets de transport à prix réduit en raison de son comportement fautif lors d'un vol où il s'était présenté en qualité de passager.

Estimant que lui avait été ainsi infligée une sanction pécuniaire illicite, le pilote de ligne a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes d'une demande d'annulation de cette mesure ainsi que d’une demande de provision à faire valoir sur le montant des dommages à intérêts pour privation d'un avantage conventionnel, demandes auxquelles la formation référé a fait droit, confirmée en cela par la Cour d’appel.

La Cour de cassation, après avoir retenu la compétence de la juridiction prud’homale, rejette le pourvoi de la société Air France en jugeant que :

- La privation temporaire d'un avantage lié à son emploi et permettant au salarié de réaliser une économie sur les vols, en raison d'une faute imputée à celui-ci, constitue une sanction pécuniaire prohibée, et caractérise un trouble manifestement illicite autorisant le juge des référés à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser ce trouble, en privant de ses effets la décision de l'employeur ;

- Le caractère manifestement illicite de cette décision ayant pour conséquence de priver le salarié d'un avantage conventionnel, le juge des référés peut allouer à celui-ci une provision à valoir sur la réparation du préjudice qui en est résulté, dès lors que l'obligation de l'employeur n'était pas sérieusement contestable.

Les éléments constitutifs de la sanction pécuniaire prohibée sont ainsi caractérisés : d'une part, cet avantage permettait au salarié de réaliser une économie sur les vols et constituait donc pour lui un avantage de rémunération ; d'autre part, sa privation temporaire avait été décidée en raison d'une faute qui lui était imputée.

La sanction est illégale : le salarié peut en demander l'annulation et solliciter des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

La solution n'est pas nouvelle.

La Cour de cassation s’est déjà prononcée en ce sens dans un arrêt du 22 octobre 1996 (Cass. soc. 22 octobre 1996 n° 93-42.390, SA Lufthansa c/ Melka-Durivaux), et a confirmé sa jurisprudence par un arrêt du 7 juillet 2010, dans lequel elle a jugé que « Le fait de retirer au salarié l'avantage statutaire constitué par l'attribution de billets d'avion à prix réduit, lié à sa qualité de salarié et lui permettant de réaliser une économie sur des vols, en raison d'un manquement de l'intéressé dans les conditions de son utilisation, constitue une sanction pécuniaire illicite ouvrant droit à indemnisation » (Cass. soc. 7 juillet 2010 n° 09-41.281, Sté Air France c/ Mormin).

La cour d'appel de Paris avait également estimé dès 1989 que la suspension pour six mois des avantages tarifaires (facilités de transport) accordés à un pilote et à un co-pilote, constituait un trouble manifestement illicite dont l'annulation pouvait être prononcée en référé (CA Paris 13 octobre 1989, 18e ch. C, Suchet c/ Cie Air Inter).

En cas d'utilisation frauduleuse des billets de transport à prix réduit, l'employeur ne peut donc en priver le salarié.

Il peut cependant prononcer une autre sanction adaptée à son comportement : avertissement, mise à pied, voire licenciement si les faits le justifient.

En cas de faute lourde du salarié, et seulement dans cette hypothèse, l’employeur pourra agir en justice pour engager la responsabilité de son salarié et obtenir sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts.



VOIVENEL Claire





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © cyrano - Fotolia.com

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