Congés payés

Le temps des congés payés : Comprendre le sens et la portée de la jurisprudence du 13 septembre 2023

Publié le : 20/11/2023 20 novembre nov. 11 2023

Les arrêts de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023 bouleversent à la fois notre ordre juridique national en affirmant le droit à acquisition de congés payés pour le salarié durant l’arrêt de travail de droit commun, mais également représentent une charge financière extrêmement importante pour les entreprises qui n’est pas compensée au jour où ces lignes sont écrites par des outils de régulation et d’amortissage pour les entreprises.

1- Quelques rappels sur le droit des congés payés

Rappelons quelques principes fondamentaux en matière de congés payés, lesquels peuvent être tempérés ou adaptés par des accords collectifs.

Le salarié acquiert des congés payés dès son premier jour de travail, lesdits congés étant le repos dû en contrepartie du travail effectué.

Si les congés ne sont pas pris sur la période de référence suivant leur acquisition du 1er juin au 31 mai, ils sont en principe perdus et n’ont pas à être payés à compter du moment où l’employeur a mis en mesure le salarié de prendre ses congés.

Les congés peuvent s’acquérir pendant des périodes de suspension des contrats lorsque cela est expressément prévu par la Loi, notamment pendant un congé maternité, ou un arrêt de travail pour accident du travail, ou maladie professionnelle.

Les congés payés sont fixés par l’employeur qui, selon la formule « les définit » en fixant « l’ordre des départs ».

Aux termes des trois arrêts de la Cour de Cassation du 13 septembre 2023 (2022-17.340, 2022-17.638, 2022-10.529), émerge au nom de l’attractivité des droits fondamentaux, l’idée qu’une suspension du contrat que le salarié n’a pas souhaitée, doit pouvoir générer des congés payés en matière de santé notamment.

Dès lors, durant l’arrêt de travail de droit commun, le salarié acquiert des congés payés.

Rappelons également que le sujet est très sensible pour les entreprises, la question des congés payés étant l’un des lieux emblématiques du sentiment pour l’employeur qu’il ne maîtrise pas vraiment l’organisation du travail au titre d’un inversement du lien de subordination, tant il est difficile pour lui de maîtriser les congés, pourtant de son ressort.

2- La force obligatoire du droit européen 

C’est au niveau européen que les règles se sont échafaudées qui provoquent aujourd’hui les arrêts du 13 septembre 2023.

En premier lieu, la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 institue le droit à 4 semaines de congés payés minimum.

Cette Directive a son importance au regard des solutions qui vont se dégager car il s’agit bien de 4 semaines et non 5.

La Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne notamment en son article 31 consacre en fait le droit à l’acquisition de congés payés pendant les périodes de suspension prescrites légitimement au titre d’un arrêt de travail pour un salarié.

Cette Charte a force obligatoire depuis le traité de Lisbonne du 1er décembre 2009.

La Cour de Justice de l’Union Européenne le 20 janvier 2009 (Décision C350-06) avait rappelé que le salarié malade qui ne peut pas prendre ses congés a droit à leur report ou à une indemnité compensatrice en cas de rupture du contrat de travail.

Si l’on peut vivement regretter et même reprocher à l’Etat français de nous avoir laissé un Code du Travail non-conforme depuis le 1er décembre 2009, l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation, sur laquelle cette dernière nous avait alertés depuis longtemps, était absolument inévitable.

3- Quelques enseignements fondamentaux des arrêts du 13 septembre 2023

Revirement de la jurisprudence, les arrêts enseignent en premier lieu que l’arrêt de travail de droit commun permettra de générer des congés payés afférents.

Ce changement de jurisprudence est rétroactif et il va inévitablement générer des effets immédiats sur les contentieux prud’homaux en cours d’abord, sur l’activité des CSE ensuite au regard de ce qu’annoncent les organisations syndicales, même si l’on peut considérer que le risque de conflit individuel et exclusivement lié à cette question, voire même d’actions collectives, est faible à ce jour.

En revanche, on peut prévoir au moment de la rupture du contrat, quel que soit le mode de rupture, un contentieux probable, puisque les arrêts enseignent un second élément relatif à la prescription qui ne court que si l’employeur a permis l’exercice du droit, de telle sorte qu’en l’état, c’est à compter de la force obligatoire des dispositions européennes en droit français issues du traité de Lisbonne du 1er décembre 2009 que l’on peut remonter dans le temps pour un salarié à compter du moment où l’employeur n’a pas commencé à faire courir le délai de prescription en permettant l’exercice du droit.

Se pose dès lors la question d’une stratégie pour l’employeur qui, à ce jour si elle impose pour l’avenir de tenir compte de la nouvelle jurisprudence en interrogeant le cas échéant son fournisseur en matière de paie (logiciel, prestataire extérieur, etc…), doit peut-être être tempérée pour le passé, car au-delà de la question de l’acquisition des congés payés pendant les arrêts de travail, se pose la question de la possibilité de leur report qui cette fois peut être limité selon les indications européennes, le délai de 15 mois étant considéré comme raisonnable.

De nombreuses organisations patronales en appellent à l’exécutif ou à la négociation d’un accord national interprofessionnel pour limiter le droit à report expressément, ce qui limiterait les risques, particulièrement si une rétroactivité pouvait être envisagée à ce stade.

Des recours contre l’Etat peuvent également être envisagés à raison de son inaction depuis le 1er décembre 2009, de l’absence d’information auprès des entreprises, et des conséquences financières que peut représenter pour certaines entreprises notamment les PME-TPE cette jurisprudence extrêmement onéreuse.

Rappelons que le principe de la limitation de la durée du report est fondé sur le fait qu’il n’est pas possible de générer indéfiniment sans travailler des congés payés, sauf à faire perdre tout sens à la notion de congés payés, c’est-à-dire un équilibre entre le droit à congés payés issu du travail effectif et le droit à congés payés issu de périodes de suspension que le salarié subit.

On peut également s’interroger dans le cadre de l’arrêt de travail de droit commun sur l’acquisition de congés payés qui pourrait être limitée à 4 semaines au regard de la Directive du 4 novembre 2003 citée ci-dessus, le législateur ou les partenaires sociaux ayant possibilité de limiter à 4 semaines l’acquisition au regard du droit européen, du moins c’est une hypothèse de travail.

Enfin, les arrêts énoncent que le report en l’état de l’indemnité de congés payés en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle ne peut pas être limitée à 1 an.

Ces quelques lignes sont destinées à permettre de comprendre le sens des évènements, de prendre des décisions utiles à ce jour, tout en observant de façon vigilante les évolutions qui s’imposent dans des délais très brefs à l’initiative des partenaires sociaux et de l’Etat.


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VACCARO François
Avocat Associé
ORVA-VACCARO & ASSOCIES - TOURS, ORVA-VACCARO & ASSOCIES - PARIS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
TOURS (37)
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