Vice caché et vendeur professionnel

Présomption de connaissance du vice caché : ne pas confondre « Professionnel » et « Vendeur professionnel »

Publié le : 01/03/2024 01 mars mars 03 2024

Dans une décision du 17 janvier 2024 (pourvoi 21-23.909 F-B), la Cour de Cassation a eu l’occasion de rappeler qu’en matière de vices cachés, il existe une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel, mais également que « vendeur professionnel » n’est pas synonyme de « professionnel ».

Le contexte :

Il ressort des dispositions de l’article 1641 du Code civil que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. », et de celles de l’article 1645 du même Code que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ».

Sur la base de ces articles, un certain nombre de principes généraux sont appliqués régulièrement par les Tribunaux.

Il ressort notamment du régime applicable à la notion de vices cachés : qu’elle s’applique à la vente de toute marchandise et de tout objet ; que les Juges du fond apprécient souverainement si la chose vendue est impropre à sa destination, ou qu’en matière de preuve, il incombe à l’acheteur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères.

Des assouplissements existent néanmoins et il a été considéré à ce titre qu’une Cour d’appel ne méconnait pas les règles relatives à la charge de la preuve en énonçant que l’incendie d’une machine a révélé l’existence d’un vice de construction dès lors qu’elle était peu ancienne, bien entretenue et récemment révisée, et qu’une imprudence ou un sabotage n’étaient pas allégués (Cour de Cassation, 1re chambre civile du 16 octobre 2021, Pourvoi 91-13 463) ou encore qu’il existe des présomptions de connaissance des vices cachés et notamment lorsqu’il s’agit de faire application des dispositions de l’article 1645 du Code civil.

Le cadre juridique :

Il ressort des dispositions de l’article 1645 du Code de procédure Civile, qu’outre l’indemnisation de la chose, le vendeur est tenu de tous dommages et intérêts envers l’acheteur.

Cet article subordonne son application à la connaissance par le vendeur des vices affectant la chose, par opposition aux dispositions de l’article 1646 du Code civil selon lequel le vendeur qui ignore les vices de la chose n’est tenu qu’à la restitution du prix et à rembourser à l’acquéreur les frais occasionnés par la vente.

L’application de cet article 1645 a conduit la jurisprudence à opérer une distinction entre les vendeurs occasionnels qui sont présumés ne pas connaître le vice, et les vendeurs professionnels qui sont présumés de manière irréfragable connaître le vice affectant la chose.

La Cour de Cassation a par exemple eu l’occasion de le rappeler dans une décision du 14 novembre 2019 rendue par la Chambre Commerciale (pourvoi 18-14502) dans lequel la Cour rappelait au visa de l’article 1645 du Code civil que « que pour limiter la condamnation de la société Jige international à la restitution du prix de vente et rejeter la demande de la société Depanoto en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt relève qu'aucun élément ne permet de retenir que la société Jige international avait, à la date de la vente, connaissance des vices affectant le véhicule ; Qu'en statuant ainsi, alors que le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose vendue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; ».

Le cas d’espèce :

Dans l’affaire ici commentée, deux sociétés ont conclu un contrat de vente ayant pour objet un tracteur.

L’acquéreur - dont l’activité professionnelle ne consistait pas en la vente habituelle de véhicules selon ses dires - donnait en location-vente l’engin agricole à un tiers exploitant une entreprise de débardage.

Par suite d’un incendie, qui entrainait la destruction du tracteur, ainsi que des dommages collatéraux, une action a été introduite sur le fondement des vices cachés afin de réclamer l’indemnisation du véhicule et la réparation des conséquences préjudiciables causées par l’incendie. 

Dans le cadre de la procédure, la Cour d’appel condamnait l’entreprise venderesse à restituer le prix de vente du véhicule, et au paiement de dommages et intérêts envers l’acquéreur sur le fondement de l’article 1645 du Code civil, considérant qu’elle devait être qualifiée de « vendeur professionnel », et donc se voir appliquer la présomption irréfragable de connaissance du vice.

A l’occasion du pourvoi en cassation, le requérant faisait grief à la Cour d’appel de lui avoir appliqué le régime de présomption irréfragable en dépit de sa qualité de professionnel de travaux forestiers, qui ne permettait pas - selon lui - de le considérer valablement « vendeur professionnel ». 

La Cour d’Appel semblait considérer pour sa part que la qualité de « professionnel » suffisait à voir appliquer le régime de présomption irréfragable qui concerne le « vendeur professionnel » : il s’agissait donc potentiellement d’un élargissement de la notion pour étendre la présomption irréfragable à l’ensemble des professionnels, avec des conséquences significatives sur le plan pratique.

La Cour de Cassation censurait toutefois cette position pour défaut de base légale sur le fondement de l’article 1645 du Code civil et après avoir rappelé qu’il « résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence », mais tout en rappelant que les Juges du fond doivent qualifier la notion de « vendeur professionnel ».

La Cour de cassation relevant en l’occurrence que le requérant au pourvoi étant un professionnel des travaux forestiers, la Cour d’appel ne pouvait le considérer nécessairement « vendeur professionnel » sans rechercher s’il se livrait de façon habituelle à la vente d'engins agricoles.

C’est ainsi que la Cour de Cassation vient rappeler que le « professionnel » ne doit pas être nécessairement assimilé à un « vendeur professionnel », et qu’elle s’oppose par la même occasion à l’élargissement de la présomption irréfragable aux simples professionnels.

La Cour de cassation semble ici s’inscrire dans la droite ligne de sa jurisprudence en ce qu’elle opérait avant cet arrêt une distinction entre le « professionnel » et le « vendeur professionnel » dans le cadre du régime applicable.

L’appréciation de la notion de « vendeur professionnel » semble devoir se faire in concreto et au regard du caractère habituel de l’activité exercée dans le cadre de la vente d’engins agricoles ; cette notion « d’habitude » n’étant toutefois pas définie précisément par l’arrêt.



 

Auteur

Nasser MERABET
Avocat Associé
Cabinet Conseil des Boucles de Seine – CCBS
ELBEUF (76)
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