Testament rédigé en langue étrangère

La question de la validité d'un testament rédigé dans une langue non comprise par le testateur

Publié le : 04/02/2025 04 février févr. 02 2025

1. Les faits :

[S] [U], de nationalité italienne, est décédée le 28 février 2015, en laissant pour lui succéder ses quatre enfants, [N], [W], [Z] et [X], ainsi que son petit-fils, Mr [M] [K], venant par représentation de sa mère, prédécédée, et en l’état d’un testament reçu, en français, le 17 avril 2002, par Maître [V], notaire, en présence de deux témoins et avec le concours d’une interprète de langue italienne, et instituant ses trois filles, [N], [W] et [Z], ci-après les consorts [E], légataires de la quotité disponible.

2. La procédure :

Le petit fils a assigné en 2015 ses trois tantes en nullité du testament.

Celles-ci ont appelé en intervention forcée le notaire ayant reçu le testament.

2.1. ARRET DU 16 JUIN 2020, LA COUR D’APPEL DE GRENOBLE :

La COUR avait :

- infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions et validé le testament reçu le 17 avril 2002 par Maître [V] en son étude de la part de [S] [U] comme testament international au visa des dispositions de la convention de Washington en date du 28 octobre 1973 portant loi uniforme.

2.2. ARRET DU 2 MARS 2022,1ERE CHAMBRE CIVILE DE LA COUR DE CASSATION.

Par arrêt rendu le 2 mars 2022, la première chambre civile de la cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d’appel de Grenoble.

La Haute Cour avait relevé que " s’il résulte des articles 3, §3 et 4 §1 de la loi uniforme sur la forme d’un testament international annexée à la convention de Washington du 26 octobre 1973 qu’un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète.

Pour valider en tant que testament international le testament du 17 avril 2002, après avoir constaté que [I] [V] ne s’exprimait pas en langue française, l’arrêt retient que, si l’acte ne porte pas mention exacte que le document est le testament de [I] [V] et qu’elle en connaît son contenu, il précise qu’il a été écrit en entier de la main du notaire, tel qu’il lui a été dicté par la testatrice et l’interprète, puis que le notaire l’a lu à ceux-ci, lesquels ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu’il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s’assurer que [I] [V] en connaissait le contenu et qu’il portait mention de ses dernières volontés.
En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Le dossier était renvoyé devant la CA de LYON.

2.3. COUR D’APPEL DE LYON ARRET DU 21 MARS 2023.

La Cour d’appel de LYON par arrêt du 21 mars 2023 a validé le testament en tant que testament international au motifs que les formalités prévues par la convention de Washington du 26 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d’un testament international ont été accomplies.

3. L’arrêt rendu en Assemblée plénière le 17 janvier 2025 :

La Cour de cassation en Assemblée plénière, le 17 janvier 2025, CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 mars 2023 par la Cour d’appel de Lyon ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry.

En son arrêt publié au Bulletin la Haute Cour revient sur les conditions de validité d’un testament international avec recours à l’interprétariat par une motivation d’une clarté remarquable mais qui alimentera certainement les débats en doctrine puisqu’elle admet désormais mais sous certaines conditions le principe de la validité d’un testament international rédigé dans une langue que le testateur ne comprend pas :

Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l’obligation d’intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète.

10. C’est celle qu’a retenue la Cour de cassation dans son arrêt précité du 2 mars 2022, qui a jugé que, si un testament international pouvait être écrit en une langue quelconque, afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, il ne pouvait l’être, même avec l’aide d’un interprète, en une langue que le testateur ne comprenait pas.

11. Cette position, approuvée par une partie de la doctrine, s’inscrit dans un courant jurisprudentiel, qui, interprétant les règles formelles à l’aune de leur finalité, en l’occurrence favoriser la liberté du disposant et le respect de ses volontés tout en s’assurant de la réalité de ses intentions, subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d’en vérifier personnellement le contenu (1re Civ., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-21.770, publié ; 1re Civ., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-11.408, publié).

12. Une seconde interprétation tire de l’article V.1 de la Convention la possibilité d’avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée.

13. Elle garantit la sécurité juridique des testaments reçus en la forme internationale, par une personne habilitée par la loi d’un autre État partie, en présence d’un tel interprète, et assure, dans un contexte de mobilité des personnes et d’internationalisation des patrimoines, une application harmonisée des règles du testament international au sein des États ayant ratifié la Convention.

14. Il convient désormais de retenir cette seconde interprétation et de juger que la loi uniforme permet qu’un testament soit écrit dans une langue non comprise du testateur dès lors que, dans ce cas, celui-ci est assisté par un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée.

15. Toutefois, aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d’introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d’intervention d’un interprète.

16. Ainsi, la loi n° 94-337 du 29 avril 1994, qui désigne comme personne habilitée à instrumenter en matière de testament international, sur le territoire de la République française, les notaires, et, à l’égard des Français à l’étranger, les agents diplomatiques et consulaires français, ne contient pas de telles dispositions.

17. Le silence de cette loi doit s’interpréter comme ne permettant pas en lui-même le recours à un interprète.

18. En effet, le testament en la forme internationale a de commun avec le testament en la forme authentique que le notaire ou l’agent diplomatique ou consulaire français, habilité à le recevoir, garantit le respect des formalités prescrites. Or, en l’état des textes applicables à l’époque de l’adoption de cette loi, il était jugé que le testament authentique reçu par le truchement d’un interprète était nul (1re Civ., 18 décembre 1956, Bull. I, n° 469 ; 1re Civ., 15 juin 1961, Bull. n° 317).

19. Si, depuis lors, en modifiant l’article 972, alinéa 4, du code civil, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a assoupli le formalisme du testament authentique pour permettre, lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, que la dictée et la lecture du testament puissent être accomplies par un interprète, c’est sous réserve que cet interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel, de sorte que seul un testament authentique recueilli avec le concours d’un tel expert, postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, intervenue le 18 février 2015, pourrait, par équivalence des conditions, être déclaré valide en tant que testament international.

20. Pour valider en tant que testament international le testament du 17 avril 2002, après avoir constaté que [A] [L] l’avait dicté en présence d’une interprète en langue italienne, langue non comprise du notaire et des deux témoins, l’arrêt retient qu’en l’absence, à cette date, de disposition du droit interne prévoyant l’intervention d’un interprète, le défaut d’assermentation de l’interprète ayant assisté [A] [L] n’était pas de nature à affecter la validité du testament et que, si l’acte ne porte pas la mention formelle prévue à l’article 4, § 1, de la loi uniforme, il précise qu’il a été écrit à la machine à traitement de texte par le notaire, tel qu’il lui a été dicté par la testatrice et l’interprète, puis que le notaire l’a lu à celles-ci, lesquelles ont déclaré le bien comprendre et reconnaître qu’il exprime les volontés de la testatrice, le tout en présence simultanée et non interrompue des témoins, ce qui permet de s’assurer que [A] [L] a bien confirmé que le document était son testament et qu’elle en connaissait le contenu.

21. En statuant ainsi, alors qu’à la date du testament litigieux, aucune disposition légale ne permettait, tant en matière de testament international qu’en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament, la cour d’appel a violé les textes susvisés.


Cour de cassation, Assemblée plénière, 17 janvier 2025, 23-18.823, Publié au bulletin


Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

VINCENT-ALQUIE Marie-Christine
Avocate
ALQUIE - membre du GIE AVA , Membres du conseil d'administration, Invités permanents : anciens présidents
BAYONNE (64)
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