Droit public

Délégation de service public exploitée au moyen d’un réseau public relevant du domaine public : qui est compétent pour autoriser l’occupation de ce réseau ?

Publié le : 01/04/2020 01 avril avr. 04 2020

Par un arrêt en date du 24 février 2020 ( CE, 24 févr. 2020, n° 427280, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil d’Etat a jugé que la délégation à un tiers d’un service public exploité au moyen d’un réseau public, relevant du domaine public, n’emportait pas nécessairement, dans le silence de la convention, la compétence du délégataire pour autoriser l’occupation du domaine public délégué par les exploitants de réseaux de communications électroniques, ainsi que pour fixer et percevoir les redevances correspondantes.

1. Quels étaient les faits ?

Dans cette affaire, la société COLT TECHNOLOGY SERVICES avait conclu avec le Département des Hauts de Seine une convention d’occupation du domaine public qui lui permettait de déployer son réseau au sein du réseau d’assainissement du Département.

La SEVESC (Société des Eaux de Versailles et de Saint Cloud) était quant à elle titulaire d’un contrat d’affermage conclu avec le Département pour l’exploitation du réseau d’assainissement.

En juin 2015, le Département des Hauts de Seine a émis un titre exécutoire à l’encontre de la société COLT TECHNOLOGY SERVICES en vue du recouvrement de la redevance correspondant à cette occupation du domaine public au titre de l’année 2015.

La société COLT TECHNOLOGY SERVICES a formé un recours devant le Tribunal Administratif de Cergy Pontoise, tendant à l’annulation de ce titre et à être déchargée de l’obligation de payer la somme correspondante.
Après un rejet par les juges de première instance, la demande de la société requérante a été accueillie par la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES qui a jugé que :
 
  • En application du code des postes et télécommunication électroniques, seule la SEVESC, en sa qualité de concessionnaire du service public départemental et gestionnaires des « ouvrages publics nécessaires au bon fonctionnement de ce service » en vertu du contrat d’affermage, pouvait légalement octroyer les permissions d’occupation du domaine public constitué par le réseau départemental d’assainissement et percevoir les redevances correspondantes et,
 
  • et qu’un avenant au contrat d’affermage prévoyant que : « toute utilisation du patrimoine qui ne répondrait pas aux nécessités du service public de l’assainissement relève de la compétence du Département en sa qualité de propriétaire des ouvrages et équipements et autorité organisatrice du service d’assainissement » n’avait pu légalement confier au Département cette compétence.

Le Département des Hauts de Seine a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Les juges du Palais Royal ont sanctionné, sur le fondement de l’erreur de droit, l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de Versailles.

Après avoir rappelé les dispositions législatives qui prévoient en particulier que les exploitants des réseaux ouverts au public bénéficient d’un droit de passage sur le domaine public routier et dans les réseaux publics relevant du domaine public routier et non routier (article L 45-9 du code des postes et communications électroniques) et que l’autorisation d’occuper les réseaux publics visés à l’article L 45-9 fait l’objet d’une convention d’occupation du réseau public donnant lieu à versement de redevances à l’autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné, le Conseil d’Etat pose le principe selon lequel :

«  Il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucun texte, que la délégation à un tiers de la gestion du service public exploité au moyen d'un réseau public relevant du domaine public routier ou non entraîne nécessairement, dans le silence de la convention, le transfert au concessionnaire de la compétence pour autoriser l'occupation de ce réseau par les exploitants de réseaux ouverts au public visés au premier alinéa précité de l'article L. 45-9 du code des postes et communications électroniques, ainsi que pour fixer et percevoir les redevances correspondante »
Ainsi, la délégation de service public n’emporte pas, par elle-même, transfert au concessionnaire de la compétence pour délivrer les autorisations d’occupation du domaine public délégué et pour fixer et percevoir les redevances correspondantes, en particulier lorsqu’il s’agit d’autoriser l’occupation d’un réseau par les exploitants de réseaux de communications électroniques.

Or, si les conventions de délégation de service public prévoient en principe le transfert de cette compétence au concessionnaire pour les besoins de l’exploitation du service public, tel n’est pas nécessairement le cas pour les utilisations ne répondant pas à ces nécessités, mais répondant aux besoins de tiers au service délégué, en particulier les réseaux de télécommunication.

La solution retenue par la Cour administrative d’appel pouvait par ailleurs surprendre en tant qu’elle avait écarté l’avenant par lequel les parties à la convention d’affermage avaient en tout état de cause clarifié la compétence du Département sur le sujet.

2. Quelle est la portée de la décision du Conseil d'Etat ?

Il reste à déterminer la portée de cette décision du Conseil d’Etat, auquel ce dernier semble avoir voulu donner une portée de principe, et qui fait suite à plusieurs précédents jurisprudentiels sur la compétence du gestionnaire non propriétaire du domaine public pour délivrer les autorisations d’occupation et fixer la redevance due par celui-ci.
Rappelons en effet qu’il appartient en principe à l'autorité gestionnaire du domaine public de fixer les conditions de délivrance des permissions d'occupation et à ce titre de déterminer le tarif des redevances en tenant compte des avantages de toute nature que le permissionnaire est susceptible de retirer de l'occupation du domaine public. (CE 8 juill. 1996, n° 121520, Merie, CE 10 juin 2010, n° 305136, Société des autoroutes Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes)

En l'absence de toute stipulation contractuelle réservant au concédant la détermination du montant des redevances, ces règles trouvent à s'appliquer, même en l'absence de décision autorisant le concessionnaire à fixer ce montant, au concessionnaire délivrant les autorisations d'occupation du domaine public dont l'exploitation lui est concédée ( CE ,  7 mai 2012 ,  n ° 343697, Syndicat Intercommunal des Alpines Septentrionales  ; CE, 1er févr. 2012, n° 338665)

A notre sens, la décision s’inscrit dans ce courant et ne remet pas en cause ces jurisprudences : pour que le délégataire puisse délivrer des autorisations d’occupation du domaine public et réclamer le montant des redevances, encore faut-il qu’il ait été contractuellement habilité au préalable à assurer la gestion du domaine public, et ce sous réserve des limites fixées par cette habilitation, qui procèdera normalement du contrat de délégation de service public.

Ainsi, dans les affaires Merie et Société des autoroutes Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes précitées, le Conseil d’Etat prenait soin de préciser que le délégant avait confié la gestion du domaine public au délégataire et que ce dernier était donc compétent pour délivrer les autorisations en cause.

Dans l’affaire Syndicat Intercommunal des Alpines Septentrionales, le Conseil d’Etat n’évoque pas le contrat de délégation, mais précise que le concessionnaire est « chargé de la gestion du domaine public ».

Dans l’affaire ici étudiée, les juges ont estimé que le concessionnaire ne s’était pas vu confier une compétence générale de gestion du domaine public, en dehors d’une utilisation du patrimoine qui aurait répondu à une utilisation du service public de l’assainissement, et ont par conséquent exclu sa compétence.

Pour le Conseil d’Etat, le délégataire de service public exploité au moyen d’un réseau public relevant du domaine public ne s’est pas nécessairement vu transférer la compétence pour autoriser l’occupation de ce réseau par les exploitants de réseaux ouverts au public si la convention ne le prévoit pas.

Autrement dit, par cette décision le Conseil d’Etat rappelle que la condition première pour le transfert de la compétence en matière de gestion du domaine soit acquise reste que le contrat de délégation le prévoit expressément.

A défaut, la compétence demeure à l’autorité concédante.

De ce point de vue, l’arrêt s’inscrit dans la lignée des jurisprudences précitées.

Si la position du Conseil d’Etat ne fait que préciser l’état du droit et que la position de la cour administrative d’appel de Versailles apparaissait surprenante compte tenu des termes dépourvus d’ambiguïté de l’avenant au contrat d’affermage, reconnaissons toutefois dans cette espèce, que les dispositions spécifiques du code des postes et télécommunication qui prévoyaient que l’autorisation « donne lieu à versement de redevances dues à l'autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné » pouvaient être source d’incertitude en tant qu’elles faisaient référence à l’autorité concessionnaire.

Néanmoins, en écartant ces dispositions, le Conseil d’Etat ne fait à notre sens qu’application du principe rappelé ci-dessus : à partir du moment où la convention de délégation ne prévoyait pas un transfert général de la compétence pour autoriser l’occupation du domaine public – et l’excluait même par l’avenant - le délégataire ne pouvait être qualifié d’autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné, au sens des dispositions du code des postes et télécommunications.

Pour l’anecdote d’ailleurs, dans une précédente affaire opposant les mêmes protagonistes, la Cour Administrative d’Appel de Versailles avait fait droit à une demande identique des requérants en se fondant à la fois sur les dispositions du code des postes et télécommunications précitées qui réservent au concessionnaire ou gestionnaire du service public concédé la perception des redevances en matière d’occupation du domaine public, et sur un article du traité de concession alors en vigueur qui prévoyait que le Département confiait au concessionnaire la gestion, en vue de leur exploitation, de tous les biens immobiliers nécessaires au fonctionnement dudit service ( soit une formulation très proche de l’avenant en cause dans la présente affaire). Pour la Cour, le Département lui avait « par voie de conséquence […] confié le soin de gérer et d’exploiter les galeries et les goulottes destinées à accueillir les réseaux câblés des différents opérateurs de télécommunications intéressés » (CAA Versailles, 4  juillet 2013, req. n° 11VE02670).

Cette décision (qui à notre connaissance n’avait pas fait l’objet d’un pourvoi) avait d’ailleurs été publiée dans le rapport du Conseil d’Etat de 2014 au titre des décisions relatives aux modalités d’occupation du domaine public (Rapport du Conseil d’Etat 2014, Analyse d’une sélection de décisions, d’arrêts et de jugements, p. 117) et demeure encore souvent citée en référence au côté des jurisprudences de principes rappelées ci-dessus sur les modalités d’autorisation de l’occupation du domaine public par le concessionnaire autorisé.

Cette jurisprudence est désormais sans doute remise en cause par le présent arrêt du Conseil d’Etat.
A notre sens, la portée de l’arrêt est donc double : il s’agit à la fois d’une confirmation du principe jurisprudentiel imposant que le contrat de délégation de service public stipule clairement l’habilitation donné au délégataire quant à la gestion du domaine public et ses limites, et d’une prise de position quant à l’application spécifique de ce principe en matière de réseaux de communications électroniques, ce qui est loin d’être accessoire, puisque c’est au premier chef dans ce type de situation d’utilisation « mixte » que la question du transfert de la compétence est susceptible en pratique de se poser ( les contrats de délégations de service public ayant en principe pris soin de régler la question de l’utilisation de leur domaine nécessaire aux besoins de l’exploitation du service concédé).
 
Les concédants et concessionnaires de service public devront donc attacher une attention particulière aux clauses relatives aux pouvoirs du concessionnaire en matière de gestion du domaine, en particulier pour les occupations qui ne sont pas nécessaires à l’exploitation du service concédé. Les contrats concernés sont nombreux et vont d’ailleurs au-delà des seuls réseaux publics, avec un risque sur la validité et l’exécution des conventions d’occupation conclues avec des tiers.


Cet article n'engage que ses auteurs.

 

Auteurs

Marie CHENEDE
Avocate
CORNET, VINCENT, SEGUREL RENNES
RENNES (35)
Voir l'auteur Contacter l'auteur Tous les articles de l'auteur Site de l'auteur
RAMAUT Pierre-Alexis
Avocat Associé
CORNET, VINCENT, SEGUREL RENNES
RENNES (35)
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