Constitutionnalité du droit de délaissement d'un terrain inscrit en emplacement réservé

Constitutionnalité du droit de délaissement d'un terrain inscrit en emplacement réservé

Publié le : 19/07/2013 19 juillet juil. 07 2013

L'absence de droit de rétrocession au bénéfice de l'ancien propriétaire d'un emplacement réservé qui à exercer son droit de délaissement est-elle inconstitutionnelle ?

C. Constit, QPC, 21 juin 2013C'est par la négative que les Sages de la rue Montpensier ont répondu à cette question dans une décision n° 2013-325 QPC du 21 juin 2013, en déclarant conforme à la constitution les dispositions de l'article L. 123-6 du Code de l'urbanisme dans leur rédaction issue de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1976.

1. L'affaire à l'origine de cette QPCLes requérants disposaient à l'origine de plusieurs parcelles de terrain qui avaient fait l'objet d'une réserve par la Commune de Rosny-sous-Bois dans le plan local d'urbanisme (PLU) afin d'y implanter un groupe scolaire et une maternelle.

Ce classement rendant les terrains quasiment inconstructibles et finalement invendables en l'état, les requérants décidèrent de mettre en œuvre la procédure de délaissement organisée par l'article L. 123-6 du Code de l'urbanisme.

Ce droit de délaissement, recodifié depuis aux articles L. 123-17 et L. 230-1 et suivant du même code, permet au propriétaire d'un terrain réservé par un PLU d'exiger de la collectivité ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé, qu'il soit procédé à son acquisition dans un délai de deux ans à compter du jour de la demande.

Au terme de cette procédure de délaissement, la Commune de Rosny-sous-Bois devint propriétaire des terrains qui avaient été réservés dans le PLU.

Cependant, quelque temps après avoir acquis ces parcelles, la Commune décida d'abandonner son projet d'aménagement, de modifier le PLU afin de supprimer la réserve grevant les parcelles et finalement, de céder une partie de la parcelle à un promoteur immobilier, réalisant au terme de l'opération un important profit.

S'estimant lésés par ce revirement de situation, les anciens propriétaires cherchèrent à obtenir la restitution des parcelles qu'ils avaient délaissé compte tenue de la réserve qui les grevaient.
Cette demande se heurta au refus du Maire qui invoqua l'absence de tout droit de rétrocession dans le cadre de la procédure de délaissement contrairement à ce qui peut exister en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (art. L 12-6 du code de l'expropriation) et de préemption administrative (L. 142-8, L. 213-11, L. 213-14 du Code de l'urbanisme).

Le litige ayant finalement été porté devant le TGI de Bobigny, les anciens propriétaires ont alors décidé d'actionner la nouvelle procédure de Question Prioritaire de Constitutionalité afin de contester directement la constitutionnalité de cette absence de droit de rétrocession.


2. Raison d'être du droit de rétrocession
Le droit de rétrocession a été institué afin de permettre au propriétaire dépossédé pour un motif d'utilité publique de revendiquer la restitution de son bien si l'utilité publique de l'opération venait à disparaitre.

En matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, ce droit permet aux anciens propriétaires de demander, pendant un délai de 30 ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, la rétrocession de l'immeuble exproprié si celui-ci n'a pas reçu dans le délai de 5 ans la destination prévue ou a cessé de recevoir cette destination.

Ce droit constitue ainsi une garantie du droit de propriété : si l'utilité publique ayant justifiée le transfert forcé de propriété disparait ou n'est pas respectée, l'ancien propriétaire doit pouvoir revendiquer la restitution de son bien.

3. L'absence de droit de rétrocession dans le régime des emplacements réservésLe délaissement de propriété constitue incontestablement une forme de transfert de propriété forcé puisqu'à terme, en l'absence de délaissement, la collectivité publique pourra exproprier le propriétaire de l'emplacement réservé.

C'est précisément pour cette raison que la doctrine qualifie généralement le droit de délaissement "d'expropriation anticipée".

Malgré cette caractéristique, la garantie offerte par le droit de rétrocession n'existe pas dans le régime des emplacements réservés.

Cette absence de garantie a pourtant déjà été stigmatisée par le Conseil d'Etat dans une étude publiée en 1992.

Dans cette étude la Haute juridiction considérait en envisageant le présent cas d'espèce qu' " Il est anormal que des propriétaires soient alors privés de tout moyen d'action.

La Haute juridiction avait alors clairement invité le législateur à réformer le régime du droit de délaissement :

"Le Conseil d’État propose d’instituer un droit de rétrocession au bénéfice du propriétaire, analogue à celui existant en matière d’expropriation ou de droit de préemption urbain. Ce droit de rétrocession serait ouvert dès lors que la commune revendrait le terrain en vue d’une opération ne correspondant pas à la finalité pour laquelle l’emplacement réservé avait été initialement fixé. La violation de ce droit pourrait entraîner la condamnation de la commune au versement de dommages et intérêts " (Les études du Conseil d’État, La documentation française, 1992, p. 131)

Cette préconisation ne sera pourtant jamais suivie par le législateur.

Le Conseil constitutionnel, qui n'a jamais connu de ces textes dans le cadre de son contrôle de constitutionalité des lois a priori (Art. 61al. 2 Constitution) était donc pour la première fois interrogé sur la constitutionnalité de cette absence de droit de rétrocession.


4. Les moyens soutenus devant le Conseil constitutionnelDeux moyens d'inconstitutionnalité ont été soulevés :

  • En ne prévoyant pas de droit de rétrocession analogue à celui qui existe en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, les dispositions contestées portent atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la DDHC,
  • Le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en n'envisageant pas de droit de rétrocession et violé ainsi l'article 34 de la Constitution. (Théorie de l'incompétence négative)
5. La décision du Conseil constitutionnelLe Conseil rejette les deux moyens invoqués et déclare conforme à la Constitution les dispositions organisant le régime des emplacements réservé malgré cette absence de droit de rétrocession.

5.1 Sur l'incompétence négative

Le rejet de ce moyen n'appelle pas de remarque particulière : le Conseil retient simplement qu'en ne prévoyant pas de droit de rétrocession le législateur n'a en rien méconnu l'étendue de sa compétence.

5.2 Sur l'atteinte au droit de propriété

Le Conseil contrôle successivement le respect des articles 17 et 2 de la Déclaration de 1789.

5.2.1 Sur l'article 17 de la Déclaration de 1789

Rappelons que l'article 17 de la DDHC dispose que : " la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité".

En matière d'expropriation cet article pose un principe très fort : seule l'utilité publique peut justifier une atteinte au droit de propriété.

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs récemment souligné l'importance de ce principe en rappelant dans une décision QPC du 15 février 2013 que le droit de rétrocession existant en matière d'expropriation est une condition indispensable au respect de cette exigence de nécessité publique : si l'utilité publique disparait, l'expropriation n'est plus justifiée et l'ancien propriétaire doit pouvoir réclamer la restitution de ses biens. (Cons. Cont., 15 fév. 2013, n° 2012-292 QPC)

Ainsi, l'article 17 de la déclaration de 1789 tel qu'interprété par la Conseil constitutionnel offre une très forte protection constitutionnelle en présence d'un transfert de propriété forcée.

Pourtant, dans la décision qui fait l'objet de ce propos le Conseil constitutionnel va refuser d'accorder cette garantie en matière de délaissement.

Le Conseil considère en effet que l'exercice du droit de délaissement constitue une réquisition d'achat à l'initiative des propriétaires de ces terrains et qu'en conséquence, le transfert de propriété résultant de l'exercice de ce droit n'entre pas dans le champ d'application de l'article 17 de la Déclaration de 1789.

En d'autres termes, le Conseil considère que dès lors que le transfert de propriété se fait à l'initiative du propriétaire, il ne s'agit pas d'une opération d'expropriation et en conséquence cette opération n'entre pas dans le champ de l'article 17 DDHC qui offre la garantie du droit de rétrocession.

A cet égard, il est à noter qu'une telle exclusion du droit de délaissement du champ d'application de l'article 17 avait déjà été jugée exactement dans les mêmes termes par le Conseil constitutionnel dans une décision du 23 janvier 1990 (N° 90-85 DC).

Cette jurisprudence constante n'en demeure pas moins sujette à discussion dans la mesure où comme nous l'avons déjà évoqué l'exercice du droit de délaissement ne constitue ni plus ni moins qu'une anticipation de l'expropriation qui interviendra lorsque la personne publique aura décidé de mettre en œuvre le projet pour lequel elle a réservé le terrain.

Cette argument, qui avait pourtant habilement été soulevé par le conseil des requérants, n'a pas été accueilli par le Conseil constitutionnel qui rejette ainsi implicitement mais nécessairement le concept même d'expropriation anticipée.

5.2.2 Sur l'article 2 de la Déclaration de 1789 :

La jurisprudence constitutionnelle bâtie sur le fondement de l'article 2 de la DDHC impose que les atteintes au droit de propriété soient justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

Il s'agit donc d'une protection plus générale que celle offerte par l'article 17 de la Déclaration.

Interrogé sur le respect de cette garantie constitutionnelle, le Conseil considère que ces exigences ne sont pas méconnus puisque le législateur a offert au propriétaire du terrain concerné par la réserve le droit d'imposer à la collectivité publique, soit d'acquérir le terrain réservé, soit de renoncer à ce qu'il soit réservé.

En d'autres termes, le Conseil constitutionnel considère que l'atteinte au droit de propriété constituée par l'inscription d'une réserve dans le PLU est proportionné à l'objectif poursuivie y compris en l'absence de droit de rétrocession dès lors que le propriétaire dispose en contrepartie d'un droit de délaissement à faire valoir contre l'administration.


6. Ce qu'il faut en retenirCette décision confirme que l'exercice du droit de délaissement entraine un transfert de propriété irrévocable qui ne pourra pas être contesté par la suite si l'utilité publique l'ayant justifié venait à disparaitre.

Par conséquent, il appartient au propriétaire d'un bien grevé d'une réserve inscrite au PLU de ne pas exercer son droit de délaissement trop rapidement et de vérifier avec une grande attention avant d'engager cette procédure qu'aucune modification du PLU n'est envisagée ou même envisageable dans un future proche.



Cet article n'engage que son auteur.

Auteur

ROUSSE Christian

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